Chapitre 06 : Mépris dans les veines et haine dans les yeux
Un seul adjectif pouvait désigner le cours qu'elle suivait : Ennuyeux. De cet ennuie qui vous faisait penser à des choses sombres et froides, qui faisaient penser à la mort. Coraline soupirait silencieusement devant ses pensées mélancoliques. Elle n'en revenait pas que ce cours puisse être aussi soporifique et épuisant à la fois. Il s'agissait d'un cours de sciences politiques. Elle n'avait aucune passion pour cette matière et pourtant elle était indispensable pour son parcoure universitaire et sa future fonction d'avocate.
Pas moyen de continuer à subir ainsi un professeur sans vie qui lisait la feuille sous ses yeux. Ce n'était pas un cours digne d'elle. Aussi il n'y avait aucun intérêt à ce qu'elle use ses oreilles et ses yeux pour noter mots pour mots ce que tous copiaient studieusement. D'ailleurs, elle se demandait comment son professeur faisait pour ne pas s'endormir lui-même sous la monotonie des mots qui filaient entre ses lèvres. Rien que de l'observer parler, un énième bâillement la saisit. Il lui aurait resté encore une vingtaine de minutes de cours si elle était restée en place. Seulement, il n'y avait rien à faire, Coraline avait décidé qu'elle n'écouterait pas une parole sans passion de plus.
Se penchant vers sa voisine, elle lui demanda gentiment de bien prendre le cours. Elle lui inventa une excuse pour donner bonne conscience à sa camarade puis, discrètement, elle se leva et sortit de la salle pleine par la porte au fond de la salle.
L'air frais remplit ses poumons alors qu'elle sortait de la pièce dans laquelle les réflexions des étudiants viciaient l'atmosphère. Souriant vaguement à sa pensée, elle traversa l'établissement scolaire à pas vif et la tête haute. Ne croisant que quelques regards pour saluer poliment. Mais la jeune femme à la crinière châtaine aux reflets roux ne faisait pas l'école buissonnière sans raison. Il fallait qu'elle rejoigne son amie pour un dernier détail. Justement, Lio se trouvait au point de rendez-vous. Elle venait d'arriver, ses joues étaient encore roses d'avoir marché d'une façon soutenue et aussi au fait qu'elle sortait seulement ses affaires. Coraline ne s'attarda pas plus sur ce genre de détail et traversa la petite cour intérieure par un petit sentier de cailloux blancs qui traversait une large étendue herbeuse.
Quand Lio aperçut la personne qu'elle attendait, elle fit un large signe de la main et Coraline sourit faiblement se retenant de le transformer en rictus narquois. Lio Marshal était jolie, des cheveux blond foncé et bouclés de façon sauvage, un maquillage léger sur les lèvres et des vêtements toujours bien repassés. Ses yeux noirs lui donnaient une attitude caractérielle à son visage alors que lorsqu'on la connaissait, on s’apercevait rapidement que la jeune femme était simplette, naïve et trop innocente pour son propre bien. Plus petite que Coraline, Lio était l'amie la plus fidèle de Coraline et l'une des seules à souffrir les caprices de cette dernière sans rechigner.
- Bien ! Alors, laisse-moi voir ce que tu as fait ! Déclara Coraline après s'être assise doucement près de son amie aux longues boucles sauvages.
Lio ne se fit pas prier et presque aussitôt que l'ordre fut donné, elle posa son devoir bien présenté sur les genoux de Coraline.
Les yeux de la sécheuse parcourraient avec rapidité le plan et les parties bien organisées. Lio aurait sûrement une bonne appréciation. Coraline ne se trompait que rarement sur ce point et c'était dans l'optique d'avoir son avis sur son travail que Lio laissait le regard de sa camarade juger son dur labeur.
La copie fut rendue avec délicatesse et Coraline avait alors un large sourire sur les lèvres. Elle était sur le point de féliciter sa camarade, mais ce fut à ce moment qu'un troupeau leur passa devant, à quelques mètres du banc où les demoiselles avaient décidé de se voir.
L'odeur âcre et musquée de sueur avait fait retrousser les narines de la délicate noble qu'était Coraline. Elle les observait avec méprit et condescendance. Les sports études n'étaient, d'après-elle, pas mieux que des bêtes de somme. Vivre pour le sport n'avait aucun intérêt à ses yeux et n'était digne d'aucune récompense sociale. Enfin cela serait comme cela si le monde dans lequel elle vivait avait été le sien.
- Regardes-moi ça, Lio, aussi bêtes que leurs pieds. Cracha la noble à la langue acérée.
Mais elle ne laissa pas le temps à son amie de répondre quoi que ce soit qu'elle continuait d'insulter les hommes qui se chahutaient devant elles.
- Ho, Lio, qu'elle est la différence entre un sportif et un bœuf ? Demanda Coraline sur le ton de la plaisanterie.
- Hum... Le sportif ne mange pas d'herbe ? Tu me l'as déjà faite la semaine dernière celle-là, Coraline. Soupira Lio qui supportait les médisances de son amie avec peine.
- Le pire dans tout cela c'est que l'état offre des places dans leur section à des personnes qui devraient travailler dans les champs ou bien dans le bâtiment ! Les boursiers...
- ... N'ont rien à faire avec nous. Je le sais Coraline, mais que veux-tu, il faut faire une place à tout le monde. Essaya de contrer la petite blonde qui se levait du banc après avoir repris l'intégralité de ses affaires. Je dois aller à mon cours d'économie, on se retrouve dans une heure ? Lança Lio en mettant fin aux ronchonnements de Coraline.
Regardant son amie partir, Coraline s’étira doucement sur le banc. Maintenant qu'elle savait les éléments importants à mettre dans sa copie, il était temps de travailler. Elle avait une heure pour écrire une dissertation de sociologie qui tienne la route et il ne lui en faudrait pas plus, elle remerciait silencieusement Lio pour l'aide inconsciente qu'elle lui avait apportée. La tête encore pleine de tout ce qu'elle avait lu dans la copie de sa camarade, l'étudiante raffinée s'installa en salle d'étude pour travailler.
La pièce était vide, surveillée par quelques passages d’adultes responsables du bon respect du règlement intérieur. Ainsi tranquille, Coraline put laisser filer son poignet et son stylo sur sa feuille. Pas besoin de faire un brouillon, tout était dans sa tête. Devant elle se trouvait simplement sa trousse et les dernières feuilles de cours auxquels elle avait assisté. Coraline n'aimait pas la sociologie mais les anciennes notes que sa cousine Ophelie avait bien voulu lui donner lui avait donné une longueur d'avance sur toute sa classe et elle se réjouissait de pouvoir briller devant ses camarades, même s'il ne s'agissait que d’esbroufe. Ce qu'elle voulait sur ce devoir ? C'était une bonne appréciation de la part de son professeur pointilleux.
Après avoir fini et donné son devoirs à son professeur toujours de mauvaise humeur, le cours passa rapidement. Et encore une fois, Coraline pu donner de nombreuses bonnes réponses, s’attirant ainsi la sympathie de son enseignant et la jalousie de ses camarades. À la fin du cours, midi sonnait et le réfectoire accueillait les élèves inscrits à la cantine.
L'établissement, pour le bien-être des élèves et du personnel avait engagé un chef étoilé pendant quelques années, de ce fait, les menus étaient équilibrés, esthétiquement appétissants et plaisants au niveau gustatif. Coraline ne s'en était plaint que très rarement ce qui attestait de la qualité des mets. Ce jour-là, Coraline s'était laissé aller à dévorer le dessert : Profiterole et son coulis de chocolat noir. Le plaisir qu'elle en avait tiré serait lu sur ses lèvres où des résidus de cacao étaient restés avant d'être enlevés grâce à l’application de Lio.
A quatorze heures, les cours reprirent pour une grande partie des élèves. Coraline en faisait partie et ce fut sans traîner les pieds qu'elle se rendit à son cours de mathématiques. Au moins une matière où la logique n'était pas malmenée par des lois et des théories malvenues. Coraline appréciait grandement les mathématiques et surtout la professeure qui leur dispensait cette matière. Cette dernière était petite, rondouillarde et un peu fripée. Ses lèvres peintes en rouge étaient toujours pincées, prête à aboyer des réflexions acerbes et cinglantes. Oui, décidément, Coraline adorait cette professeure et se délectait des monologues d'apitoiement caricaturés qu'elle ne se privait pas de faire devant l'incapacité d'un petit groupe d'élèves à appliquer une simple règle mathématique. Coraline partageait souvent cet apitoiement tout en souriant face à l'humiliation que subissait une poignée de ses camarades.
La place que Coraline s'était attribuée se trouvait près de la fenêtre. Endroit stratégique en cas d’ennui lorsqu'elle terminait dans les premiers ses exercices. Même si elle aimait beaucoup les maths, la jeune femme aux cheveux châtains ne pouvait nier que la plupart du temps, elle s'ennuyait à devoir attendre ses camarades trop lent pour elle. Aussi, la fenêtre la divertissait au moins quelques minutes, le temps d’observer les gouttes de pluie se frayer un chemin sur le carreau jusqu'à s'écraser sur l'encadrement en plastique.
Au final, le cours qu'elle avait attendu avec impatience se présenta moins passionnant que ce qu'elle avait imaginé au départ. Au programme : seulement des corrections de divers exercices auxquels elle n’avait pas fait beaucoup d'erreurs. Alors qu'elle attendait que le temps passe, l'extérieur pluvieux l'occupait un peu, tout comme gribouiller les carreaux sur le papier de sa feuille. Tout était donc barbant dans cette journée ? Intérieurement, elle priait pour que quelque chose d’inattendu la surprenne. En attendant, elle s'occupait en essayant de reproduire les gouttes glissantes dans un coin de son cours. Tentative maladroite et malmenée, vu de loin, le résultat faisait penser à un toile d'araignée mal construite et bancale. Et, si l'on ne voyait pas une mauvaise toile, le résultat n'était pas plus glorieux, un carreau brisé venait remplacer les fins fils de soie arachnéenne.
La professeur ne faisait rien pour attirer l'attention de Coraline, alors cette dernière s'enfonçait encore un peu plus profondément dans son ennuie et alla jusqu'à soupirer discrètement. Elle attendait un événement pour la sortir de cet état de tordeur et de passivité totale. Ses camarades n'étaient pas mieux lotis, en effet, trois quarts somnolaient à cause du repas pris plus tôt. C'était affligeant d'après Coraline. Comment pouvaient-ils ainsi se laisser aller alors qu'ils n'étaient pas les meilleurs de la classe ? Mais c'était leur problème et Coraline n'avait pas de temps à perdre avec des idiots pareils, d'ailleurs, elle ne pensait déjà plus à eux, préférant se concentrer davantage sur les gouttes d'eau qui s'espaçaient de plus en plus. Non loin d'elle une de ses camarades et connaissances personnelles dormait en essayant d'être discrète. C'était peine perdue et elle se fit rappeler à l'ordre par l'enseignante avant de se faire renvoyer du cours. Coraline l'aurait bien accompagné, mais elle n'avait aucune envie de se faire mal voir du corps enseignant. Après tout, elle était l'une des élèves modèles de l'école, pratiquement une référence... Il ne fallait pas qu'elle fasse de faux pas, les appréciations comptaient tout aussi bien que les notes.
Quand la porte se fut refermée derrière la malheureuse élève endormie, Coraline pu de nouveau se concentrer sur les courses involontaires des molécules d'eau. Cependant ses yeux furent attiré par une véritable toile d'araignée ainsi que de la propriétaire des lieux qui descendait de sa résidence géométrique. Un petit sourire étira les lèvres de l'adolescente qui avait au moins une chose intéressante à observer. Mais son observation dut être écourtée. En effet, son attention venait d'être accaparée par les quelques coups discrets que l'on venait de donner à la porte principale de la salle. Curieuse et trop heureuse de briser son ennuie pendant quelques secondes, elle se redressa, pratiquement tous ses sens en alerte alors qu'elle savait très bien que tout ce cinéma était bien utile.
Le mouvement de la porte fut lent dès lors que l'enseignante eut donné le feu vert à l'inconnu. La lenteur du mouvement ne fit qu'augmenter le sentiment de frustration qui naissait chez Coraline. Elle voulait voir le visage de celui ou celle qui apaisait un peu la monotonie du cours.
Il finit par dévoiler son visage et puis sa personne en entière. Assez jeune, ce n'était pas l'un des surveillants. C'était un élève et comme elle ne connaissait pas son visage, il devait s'agir d'un plus jeune qu'elle. Mais quelque chose retint le regard de Coraline. Elle se trompait, elle connaissait ce visage. Elle ne l'avait vu qu'une fois et pas dans l'établissement scolaire. Sa bouche s'entrouvrit de surprise. Depuis quand étudiait-il dans son école privée ? Une pointe de colère mêlée d'excitation et de sadisme venait de se mélanger entre elles. Un frisson lui parcourut l'échine et son moment de stupeur s'effaça en un sourire léger et discret.
- Je vous présente encore mes excuses, professeur. Ma sœur l'avait rangée dans ses papiers importants, merci de m'avoir accordé ce délai. Déclara humblement le jeune homme dont les traits du visage le désignaient comme venant du continent asiatique.
Ce jeune homme, elle l'avait vu lors de sa sortie en compagnie de sa cousine et de ses amies. Quelle coïncidence que de le retrouver là. Dans son école à elle. Si elle avait ignoré cela, elle aurait pu le considérer comme intéressant. Mais Coraline n'était pas du genre à faire fit des apparences. Savoir que, pendant son temps libre, il était serveur dans un endroit étrange, c'était le genre de choses auxquelles s’attachait la demoiselle et en jouait. C'est ce qu'elle avait décidé de faire. Ce garçon deviendrait son souffre-douleur jusqu'à ce qu'elle en décide autrement. Bien entendu, il faudrait qu'elle face en sorte de mettre le garçon au pied du mur afin de le plier à ses moindres désirs de princesse. Ce n'était pas la première fois qu'elle ferait ce genre de chose et ça ne serait pas la dernière non plus.
- Que cela ne se reproduise plus, Kohola. Je serais moins indulgente la prochaine fois. Répondit la professeure avec un petit signe de la main pour lui dire de s'en aller.
- Je serais plus soigneux à l'avenir, merci encore, passez une bonne fin de journée, navré du dérangement. Termina la nouvelle proie de Coraline.
La demoiselle remerciait le garçon d'une certaine façon. Au moins, elle avait quelque chose sur quoi réfléchir maintenant. Et elle le faisait à toute vitesse. Maintenant qu'elle avait pris sa décision, tout irait très vite et tout devait aller très vite, pour ne pas laisser le temps à sa pauvre petite victime de se débattre.
Le fait que le garçon travaille en dehors de ses heures de cours ne signifiait qu'une seule chose. Il était boursier avec un prêt étudiant. Boursier... Ce terme lui donnait de l'urticaire. S'il était boursier, il n'avait aucune raison de se retrouver dans le même endroit que le sien. Elle allait le briser, briser son image et tout ce qui l'entourait. Et quand elle en aurait terminé avec lui, il n'oserait plus jamais se remontrer ici. Coraline savait pertinemment qu'accorder autant d'importance à un boursier n'était pas digne d’elle, elle se salissait sûrement à ainsi devenir obsédée, mais cela ne suffisait pas à briser sa volonté de destruction. Ce sentiment lui était vital, la faisait exister, donnait du sens à sa morne vie. Les boursiers n'avaient rien à faire avec des personnes ayant les moyens de dominer le monde.
La porte venait de se refermer calmement sur le garçon. C'était maintenant qu'elle devait agir ou elle devrait provoquer elle-même une situation dans les jours à venir. Levant doucement la main tout en se tenant le front de l'autre, elle grimaçait faiblement et plissait les yeux.
- Excusez-moi, puis-je prendre l'air un instant ? Demanda-t-elle d'une voix faible.
La professeure était fidèle à elle-même et devant une telle faiblesse, elle leva les yeux au ciel en secouant la tête.
- Cela ne peut-il pas attendre ? Il ne reste que dix minutes de cours.
Secouant la tête de gauche à droite, Coraline grimaça davantage. La demoiselle s’attristait de ne pas paraître plus digne, même si elle devait jouer une malade. Mais enfin, elle savait que dans ce genre de situation ses talents d'actrice étaient limités, elle ne s’apitoya pas plus sur son manque de tenue et se leva après avoir rangé ses affaires.
Une fois sortie de la salle, elle se détendit un peu et se mit à marcher avec sa motivation en tête. Le jeune homme n'était pas partie trop loin, il se dirigeait dans le couloir qui menait à la bibliothèque. Il s'agissait d'un endroit plutôt sombre et mal éclairé, étroit... C'était sa chance de lui parler en tête à tête et de le mettre à genoux à l’abri des regards indiscrets.
Au passage, elle passa devant la grande baie vitrée du bâtiment principal qui donnait sur une pelouse bien entretenue et aux arbres taillés correctement. Au-delà du paysage agréable pour un quartier de Londres, elle pu admirer l'image qu'elle offrait au monde, celle d'une étudiante modèle et irréprochable, mais dans un uniforme disgracieux. Ballerine noire, collants épais noirs, jupe plissée noire, chemise blanche surmontée d'une cravate rayée blanche et bleue, tous cela camouflé par une veste de la même couleur que la jupe. Aux yeux de Coraline, ce tableau manquait cruellement de couleurs et de formes plus étudiées. Dans cette tenue, elle ressemblait à une petite fille écervelée. Elle jouait souvent avec l'air ingénu qu'elle affichait. Qui pourrait se méfier d'une petite tête ? Personne n'irait croire qu'elle préparait un mauvais coup, et surtout pas le garçon de qui elle se rapprochait à chaque pas qu'elle faisait.
L'élève qu'elle suivait ne semblait pas pressé de s'installer devant les livres de la bibliothèque. Cela arrangeait Coraline qui n'aurait pas à lui courir après. Puis, il s'arrêta doucement, elle ralentit son pas s’adaptant aux mouvements de sa proie. Comme un félin qui se fond dans son environnement, Coraline s'adaptait à ce qui l'entourait. Elle observait discrètement le jeune homme. Adossé au mur, il avait sorti un téléphone portable depuis longtemps démodé pour la riche héritière qu'elle était. Elle s'approcha encore et encore, jusqu'à se planter devant le garçon, un petit sourire innocent aux lèvres.
Le jeune homme avait sûrement dû sentir le poids d'un regard peser sur lui, à moins que se fut la présence de Coraline qui l'avertit qu'il n'était plus entouré de solitude. Gardant son téléphone dans sa main, il releva son visage clair et son regard sombre. Ses sourcils étaient froncés. De toute évidence, la présence de Coraline ne lui plaisait pas. Cependant, il tenta de s'adoucir et c'est d'une voix posée qu'il entama la discussion.
- Est ce que … je peux faire quelque chose pour toi ? Tu me sembles un peu perdue.
- Moi ? Ho non, je ne suis pas perdue, je suis exactement là où je voulais être... Répondit tout aussi sereinement la jeune femme.
- D'accord... Dans ce cas... pourquoi t'arrêtes-tu là ? L'agacement commençant à s'entendre dans la voix du jeune homme.
Aussi, Coraline tenta de ne pas se mettre en colère. Elle se mettait facilement en rogne, déjà qu'elle faisait des efforts de parler à un boursier, si en plus celui-ci se mettait à être agressif, elle n'aurait d'autre choix que de répliquer. De plus, elle était vexée qu'il ne l'ait pas reconnue. Après tout, elle avait passé la soirée en sa compagnie et celle de ses collègues. Quel serveur peu professionnel il faisait, elle trouvait cela terriblement décevant. Mais, elle ne le laisserait pas s'en tirer aussi facilement. La demoiselle s'adossa au même mur que sa victime et tout en observant sa manucure, reprit sa conversation polie.
- Je connais ton secret... Dit-elle sur le ton de l'échange.
Coraline était assez fière de son entrée en matière. Cela avait un petit air de théâtre et la comparaison la fit intérieurement sourire. Cette sensation de supériorité passa rapidement puisque son voisin reprit sur un ton totalement faux et moqueur.
- Hoooo, elle connaît mon secret... Je suis démasqué, quel malheur... Je vais tout de suite aller me cacher dans les toilettes alors... Non mais sérieusement, qu'est-ce que tu crois faire à l'instant ? Si tu n'as rien d'autre à faire que de n’importuner, je te conseillerais de te rendre à la bibliothèque. Ils ont des magazines de maquillage et de shampoing, ça t'occupera...
Si Coraline avait été un chat, les poils de son dos se seraient sûrement hérissés. Comment une personne tel que lui osait lui parler. Outrée, elle avait eu grand peine à retenir sa mâchoire de pendre devant tant de dédain. Serrant l'un de ses poings, elle lui fit à nouveau face. Le sourire affiché sur le visage du garçon ne lui plaisait absolument pas. La condescendance qu'il affichait sans pudeur donnait à Coraline l'envie de le gifler.
Mais elle se reprit. Reprenant peu à peu contenance pour ne pas céder trop facilement à ses sentiments violents.
- Je ne sais pas si je dois être rassurée de constater que tu te fiches de ce que toute l'école penserait si l'on savait que tu servais dans ce salon... Celui de ta sœur si je ne me trompe pas.
À l'évocation de ce que savait la jeune femme aux cheveux courts, le boursier en fit tomber son téléphone après s'être figé alors que ses lèvres n'étaient plus étirées. Pour Coraline, il s'agissait là d'une petite victoire et une étape de son plan était franchie. Le jeune homme réussit cependant à reprendre contenance assez rapidement. Mais son téléphone se trouvait aux pieds de Coraline. Souriant devant sa petite victoire, elle ramassa lentement et avec délicatesse, l'objet passé de mode. Le faisait tourner dans ses deux mains, comme si le portable du jeune homme représentait la vie de son propriétaire et que c'était maintenant Coraline qui en tirerait les ficelles.
- Ho... Tu veux me faire chanter... Bien vu... Dit-il d'une voix plus assurée et étrangement plus détendue.
- C’était effectivement l'idée. Pas trop difficile de suivre les cours tout en travaillant ? Tu dois être épuisé... Lança Coraline sur un ton faussement compatissant.
- Plutôt un passe-temps... C'est aimable à toi de t'intéresser au bon déroulement de mes études. Continua le boursier qui semblait s'amuser de plus en plus de cette situation alors que sa rivale bouillonnait de rage. Elle n'en montra rien et continua la conversation, déterminée à aller jusqu'au bout.
- Un passe-temps... Il doit te permettre de payer l'autre partie de tes études non ? Enfin, ça m'étonnerait grandement qu'un emploi de vulgaire serveur puisse venir à bout des frais d'inscription de cette école.
Coraline avait toujours le téléphone du jeune homme dans les mains. Elle ne le regardait même plus, se concentrant sur les expressions son visage qu'elle voulait afficher. Elle voulait paraître joueuse mais froide, inaccessible...
- Puis-je savoir ce que cela peut bien te faire que j'ai un travail en dehors des études ? Tu es jalouse ? Je peux toujours voir avec ma sœur si elle ne veut toujours pas agrandir son personnel. Lança-t-il autant agacé qu'amusé.
Il avait croisé les bras sur sa poitrine et toisait la jeune femme agressive rapidement sans trop s’attarder sur l'uniforme standard.
- Jamais je ne salirais ma réputation dans le boui-boui dans lequel les prolétaires dans ton genre se complaisent. Je hais les personnes dans ton genre qui ne prennent pas les études au sérieux. Tu n'as pas ta place ici, tout comme tes camarades de la même espèce. Lâcha-t-elle, de plus en plus sur le point d'exploser.
- Désolé que ma présence soit une gêne pour Sa Majesté... je ferais attention à ce que mon humble existence reste à sa place... Rit-il devant le ridicule de la situation qu'il semblait vivre.
- Je me bats pour que cette école ne soit plus polluée par des gens ne se consacrant pas à fond dans leurs études, que cet établissement ne puisse accueillir que des personnes compétentes ! Ajouta Coraline fière de ses principes.
- Ho... des personnes compétentes… Mais que fais-tu encore là ! Répliqua-t-il sur le ton de l'humour.
La pique ne sembla pas plaire du tout à la jeune femme qui, piqué au vif, fit deux pas vers son martyr pour se retrouver au plus proche de lui. Dans le mouvement, elle plaqua le garçon devenu son ennemie contre le mur en usant de ses maigres forces. La surprise jouait en sa faveur et le dos du boursier claqua sans véritablement de violence contre les briques recouvertes de peinture blanche. Profitant toujours de la surprise, Coraline tira sur la cravate de son camarade pour que ce dernier ait les yeux au même niveau que les siens. Le regard du garçon, sombre au premier abord était en réalité de couleur noisette, mais Coraline se fichait complètement de ce détail. Un rictus mauvais avait remplacé son sourire innocent. Et elle ne desserra pas sa prise le temps qu'elle parla.
- On va faire un marché, tu deviens mon serveur... Ici, à l'école. Tu me serviras de chien, de garde du corps... Et en échange, ton sale petit secret en restera un. Siffla la demoiselle dont la colère rougissait les pommettes.
L'effet qu'elle attendait n'arriva pas sur le visage de Kohola. Un sourire en coin s'était installé sur les lèvres du garçon au fur et à mesure qu'elle avait posé les conditions du marché. Toujours le corps penché en avant à cause de la force exercée sur sa cravate, il répondit à sa camarade avec amusement.
- Ho, mais je t'en pris, cris le sur tous les toits si cela te chante... La moitié des filles de l'école sont au courant. Éclates-toi et fait ma publicité, ne te gêne surtout pas, ce qui me dérange c'est que je devrais te remercier à la fin...
Finissant sa tirade, il avait agrippé avec force le poignet de Coraline qui s'accrochait de plus en plus à la cravate du garçon. Il serra de plus en plus fort, jusqu'à ce que l'emprise soit trop douloureuse pour que la demoiselle résiste, ses doigts se déplièrent et le boursier rebelle était maintenant libre de ses mouvements. Il la fit reculer en la repoussant sans vraiment y mettre de la force. Coraline le toisa avec mépris, elle gardait sa dignité et sa tête haute tandis qu'une expression de dégoût prenait place sur son visage.
Le jeune homme fit un pas vers elle, et elle recula. Ils continuèrent ce jeu d'intimidation jusqu'à ce que Coraline se retrouve bloquée contre le mur derrière elle. Quelle sotte, elle avait oubliée que le couloir n'était pas le plus large. Elle dut déglutir et le tressaillement de peur qu'elle afficha une fraction de seconde fit que la confiance de son adversaire grandit considérablement. Elle pouvait sentir la victoire filer de ses doigts pour aller entourer le boursier.
Coraline était maintenant bloquée entre un autre mur de brique blanche et le garçon qu'elle avait voulu humilier. À une distance tout de même raisonnable, il bomba le torse de façon presque imperceptible et prit une inspiration avant de parler d'une voix plus forte que les autres fois où il avait murmuré ses vilenies.
- Je vais être indulgent, tu ne sembles pas savoir à qui tu as affaire. Je me présente donc. Je suis Chris Kohola, Délégué de la première année des A-Level, second au concours d'admission et sûrement l'un des meilleurs élèves de cet établissement. Malheureusement pour toi, je ne suis pas boursier. Mais, voir ton visage se décomposer à cette information fait passer le sentiment vexant que tu as installé avec tes accusations. Alors, maintenant que tu sais la vérité, tu te doutes sûrement que le délégué, peu importe l'année, a beaucoup d’influence sur tous les clubs et notamment le club chargé du journal mensuel de l'école. Il serait dommage qu'une retouche photo de toi dans une tenue de Maid se retrouve dans le prochain numéro, tu ne crois pas ? Pour éviter cela, voilà ce que tu vas faire. Dès aujourd'hui, tu devras me vouvoyer avec humilité. Ce ne sera qu'un début, mais fait moi confiance pour trouver de quoi t'occuper. Enfin, comme je ne suis pas un monstre, je ne suis pas fermé aux négociations et si tu désires réparer ton erreur de jugement, je t'invite à te rendre au premier étage du Bar To Hadès pour que l'on en discute.
De ce monologue, Coraline en eut le souffle coupé. Personne n'avait jamais osé lui parler avec temps de condescendance. Elle ne supportait pas cela et la colère lui fit se mordre la langue et serrer les poings. Ce type était affreux. Il y avait un petit pourcentage de chance qu'il bluff mais l'idée de se retrouver dans une situation compromettante et fausse serait très mauvaise pour son image et sa carrière, elle ne pouvait pas le permettre. La gorge serrée, elle n'avait même pas le réflexe de le gifler ou de l'insulter. Maintenant, les situations étaient inversées et elle se retrouvait à être la souris à la merci du gros chat monstrueux. Elle avait sûrement fait une erreur en le provoquant de front. Elle s'était trompé sur les capacités de sa cible, elle avait été trop vite en besogne et cela la mettait dans une situation délicate. Mais elle en avait assez de tout cela et surtout de sa propre attitude de repli face à quelques menaces bien trouvées. Rageant, elle prit appui sur le mur dans son dos pour pousser l'homme qui l'agressait presque.
Jamais elle n'aurait cru se retrouver dans cette situation. Elle avait bien réussi à le repousser mais au lieu de s'éloigner du mur, elle lui faisait maintenant face, les mains sur ce même mur auquel elle tournait le dos deux secondes plus tôt, ses deux mains faisant barrière pour le visage de Chris. Elle plaquait le garçon au mur. La jeune femme n'avait jamais voulu cela et c'est avec les yeux écarquillés qu'elle observa l'expression de réussite passer dans les yeux malicieux de l'asiatique. Le téléphone portable de ce dernier était passé de ses mains à celle de son véritable propriétaire, elle n'y prêta aucune attention, elle était encore sous le choc de se retrouver si près de lui, alors qu'il venait tout juste de la menacer.
Quand une lumière vive l’atteignit, elle ferma les yeux avec force par réflexe, puis une sensation chaude et douce arriva sur ses lèvres légèrement entrouvertes. Elle connaissait cette sensation, on était en train de l'embrasser. Tout cela n'avait duré qu'un bref instant. Se rendant compte de ce qu'elle avait laissé faire, elle s'éloigna vivement de deux pas de ce pervers après lui avoir généreusement offert une gifle. L'attaque avait été si forte qu'elle en s'était fait mal à la main. Sur la joue de l'agresseur une marque rouge apparut aussitôt. Mais ce dernier ne semblait pas blessé dans son orgueil. Il semblait jubiler et s'amuser comme un fou. La peur prit Coraline aux tripes. Qu'avait-elle fait, pourquoi s'était-elle jeter dans la toile de cette araignée cruelle ? N'écoutant que son instinct de survie, elle commença à lui tourner le dos dans l'intention de s'en aller, elle voulait s'éloigner le plus rapidement possible et le plus loin possible de ce type tordu. Cependant, elle n'avait pas calculé que ce gars ne voudrait pas la laisser partir, elle ne s'en rendit compte que lorsqu'une poigne ferme la reteint par l'avant bras et la bloqua dans son élan, la capturant, en l'enlaçant par la taille, lui bloquant ainsi tout mouvement.
- Je vais crier ! Lâcha Coraline qui ne voyait plus que cela comme option de défense.
- Non tu n'en fera rien. Regarde pourquoi... Répondit Chris sur un ton confiant et posé.
Il leva ensuite le téléphone devant le visage de sa prisonnière. L'écran affichait une photo, légèrement floue, mais pas assez pour masquer les deux visages qui se trouvaient dessus. Coraline se vit en train d'embrasser de façon crisper le garçon qui avait un air des plus surprit et les yeux grands ouverts. Le sang de la demoiselle ne fit qu'un tour et d'un mouvement violent, se défit de l'emprise de son ennemi et se rua sur le téléphone dans l'intention de détruire toutes les preuves possibles et inimaginables. Seulement, il avait dû comprendre ce qu'elle voudrait tenter car, aussitôt qu'elle ne fut plus dans ses bras, il leva le téléphone maudit jusqu'à le mettre hors de la porter de la rage de la riche héritière. En la voyant sautiller de façon ridicule, il éclata de rire.
- Ne fait pas de bêtises ou je l'envoie à tout mon répertoire et alors tout le monde apprendra que finalement tu ne détestes pas autant les boursiers que tu le dis... Décidément, tu as de moins en moins de chance de me faire changer d'avis... N'oublie pas que tu peux toujours me retrouver au premier étage du Bar To Hadès ! Déclara-t-il tout en rangeant les preuves dans la poche de son pantalon.
La demoiselle aux cheveux châtains voyait rouge, elle aurait hurlé si elle avait été sûre que personne ne l'entendrait. Elle aurait frappé à mort ce Chris Kohola si elle avait été certaine de l'issue de la bataille déloyale. Il l'avait trompé avec son assurance et ses paroles et sa vengeance serait terrible. Mais rien de tout cela ne se passa. Elle restait là figée devant son bourreau qui rit d'un coup avant de disparaître dans la bibliothèque de l'école sans qu'elle n'ait pu le rattraper, puis la cloche sonna. Pourquoi fallait-il que la stupidité l'accable aux moments où les choses importantes se passaient. Maintenant elle était dans de sales draps et devrait jouer les petits toutous le temps qu'elle trouve comment se sortir d se pétrin. Il faudrait qu'elle agisse vite mais elle devait également réfléchir. Dans son esprit une partie d’échecs se jouait avec Chris.
Le seul point positif dans cette journée fut que cette dernière était maintenant terminée pour elle. Évitant ses connaissances, elle sortit des bâtiments et rentra rapidement dans la limousine qui faisait les navettes quotidiennes. Karl ne posa pas de question lorsqu'il vit la mine d'enterrement de la jeune femme. Il en parlerait à son patron ce soir. Il n’interférait jamais vraiment avec les problèmes de ses jeunes maîtresses.
Un trajet rapide suivi d'une course jusque dans sa chambre ne suffit pas à apaiser Coraline, qui, une fois en possession d'un petit oreiller brodé, se mit à hurler toute sa rage dedans, étouffant ainsi sa haine pour les autres habitants du manoir. La guerre était maintenant lancée et Coraline n'était pas la meilleure des adversaires. Maintenant que Chris avait lancé les hostilités, Coraline ne se laisserait pas faire par ce type sans foi ni loi et encore moins par un boursier. L'esprit fertile de la demoiselle imaginait déjà les nombreuses tortures psychologiques et humiliantes qu'elle lui infligerait quand elle aurait pris le dessus. Au moins, elle savait à quoi s’attendre de la part de son adversaire et ne referait plus l'erreur de le croire sur parole, cela lui avait trop coûté aujourd'hui. Ses pensées meurtrières l’apaisaient un peu et la colère la quitta alors qu'elle sombrait dans le sommeil, son après-midi l'avait complètement épuisée...
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