Un œuf
Aujourd'hui, c'est mon premier jour en tant que journaliste. Le premier jour ! Un rêve qui se réalise. Le journal est juste devant moi. Un peu plus et ce sera le début d'une grande aventure. Mes pieds ne tiennent pas en place, ils sautillent, ils dansent et moi aussi. Il neige en plus ! Un jour qui ne quittera jamais ma mémoire : lundi premier décembre. La neige de ce matin recouvre tout sur son passage. L'air frais m'arrive jusqu'au cœur, mon écharpe ne garde pas assez le chaud.
J'y suis. L'intérieur du journal est très bien décoré. Tout y est si lumineux et les grandes fenêtres donnent des envies d'évasion. Les autres journalistes travaillent tranquillement à leur tâche dans ce grand espace que seuls quelques groupes de tables façonnent en formant de multiples chemins d'un bout à l'autre de la pièce. Certains discutent ensemble sur le reportage qu'ils viennent de tourner. D'autres, demandent de l'aide pour revoir leurs notes qu'ils ont écrites sur un sujet en particulier.
Un peu à l'écart mais à une position centrale, se trouve un beau et grand canapé rouge où est assis le rédacteur en chef. L'image restera à jamais gravée dans ma mémoire : son expression est sévère et douce à la fois, expression qui est accentuée par le fait qu'il discute avec les journalistes avec une voix sérieuse et amicale. Il a les yeux et les cheveux marron. Ces derniers, avec sa barbe, lui donnent une aura d'explorateur. Sans parler du fait qu'un intriguant jeu de lumière fait qu'il a le visage sombre ou clair selon les instants et que son pull noir contraste avec le rouge du canapé.
Il n'a que 35 ans, dix ans de plus que moi, et pourtant je l'admire pour tout ce qu'il a accompli depuis le début de sa carrière. C'est à lui que je dois me présenter, cet homme tout de noir vêtu, le rédacteur en chef, le meilleur journaliste que je connaisse, mon héros : Nikola von Lorentz.
Voyant que la discussion est finie, je me lance : « Bonjour.
— Ah, bienvenue ! Si c'est toujours d'accord, j'ai le contrat.
— Oui... c'est... toujours... d'accord. »
Je parle avec difficulté. Je n'en reviens pas de l'avoir en face de moi, là, maintenant. Je signe rapidement le contrat et me voilà journaliste.
« Je ne dois pas passer un entretien ?
— Pour quoi faire ? Je ne te demande pas de parler, je te demande d'écrire. J'ai lu ce que tu as envoyé ; c'était très bien. »
J'ai dû mal entendre. C'est lui qui a lu mon dossier ? Et il a trouvé que c'était très bien ? Dire que la réponse est arrivée le soir même sur mon répondeur. Je ne pouvais pas imaginer que ça irait si vite, si brusquement, tout d'un coup... Il me présente aux autres et vice versa. On est six avec moi, six tables et six chaises regroupées pour former un bloc, un groupe.
« Dès que tes affaires sont prêtes, tu peux commencer à travailler ; en groupe, seulement de temps en temps ou faire le travail individuellement. Il y a une liste de sujets affichée sur le mur près de l'entrée. Tu peux en choisir un ou décider d'écrire sur autre chose. L'important, c'est que je sache sur quoi tu travailles. Lorsque tu termines un article, on fait le point ensemble. Normalement, il faudrait traiter un sujet par jour. Mais si c'est un reportage ou que c'est un travail plus long, j'en accepte aussi un par semaine. Si tu as besoin d'aide tu peux demander aux autres. Je te souhaite bon travail. »
Je ne m'imaginais pas que j'allais vivre les trois années les plus importantes de ma vie.
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