Caen,  un soir d'hiver.

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18 décembre 2024, 23 heures 21.
Je viens enfin de terminer ma journée de chauffeur routier. J'avais à livrer une pleine cargaison de tomates en provenance d'Espagne et à destination de Caen, en Normandie. Le temps à Barcelone était chaud et calme quand j'en suis parti. Au fur et à mesure de ma montée vers le nord, le ciel s'est lentement et obstinément chargé de nuages de plus en plus lourds et gris. Ce soir, c'est à peine si je distingue la lune percer les nuages. Le vent s'est mis à souffler aussi. Vif, humide et froid, il n'invite guère à une balade sur les quais.
Le chemin s'arrête là pour moi, mais pas pour ces légumes qui devront encore franchir la Manche pour finir un jour dans des assiettes britanniques. Depuis que le roi Charles VIII et sa population ne font plus partie de la Communauté Européenne, les formalités de passage outre-Manche sont redevenues fastidieuses et rédhibitoires. Aussi est-ce un autre camion, anglais celui-ci, qui se chargera de finir le voyage jusqu'aux faubourgs de Londres.

Je peux enfin me reposer après une bonne douzaine d'heures de travail, dont près de dix derrière mon volant. J'ai écouté, entendu, supporté toutes les conneries racontées par des nuées de journalistes depuis l'aube. Si la radio est incontestablement nécessaire à un chauffeur longue distance pour briser le silence d'un poste de conduite, il n'est pas moins assuré que les fleuves de publicités imbéciles et de journaux politiques sans intérêt constituent une agression intellectuelle qui ne prend fin qu'à l'instant où l'index du chauffeur appuie sur le bouton "off".

Je suis tellement fatigué que je ne prends pas le temps de manger un peu. Je ferme les rideaux sur le pare-brise et les fenêtres des portières et je me dévêts rapidement pour m'allonger sur la couchette derrière moi. Mais la tension accumulée de toutes ces heures de conduite tarde à baisser et le sommeil ne vient pas. Je tourne et me retourne afin de trouver la position idéale pour vite m'endormir mais c'est en vain. Je comprends assez vite, par habitude, que je risque encore de passer une nuit blanche. Les gens ne comprennent jamais cela. Conduire un de ces énormes camions est un exercice épuisant qui ne consiste évidemment pas à simplement aller d'un point A à un point B. La fatigue, l'état des routes, l'étroitesse de la plupart des voies de circulation, la folie quotidienne des conducteurs en voiture qui coupent les routes, grillent les feux, forcent les priorités, et une multitude d'autres comportement incivils font qu'un chauffeur routier est toujours en état d'alerte. La moindre seconde d'inattention peut vite se terminer en carnage.

C'est toute cette tension nerveuse qui tarde à me quitter ce soir. J'avais des délais à respecter, aussi avais-je gardé un oeil sur ma montre. Quand les forces de l'ordre m'ont arrêté à trois reprises depuis l'Espagne, me faisant perdre presque quatre heures pour rien, j'ai senti monter en moi l'inquiétude sourde d'arriver en retard. J'imaginais déjà le bateau quitter son quai sans les marchandises que je trimbalais depuis deux jours. Mon client m'aurait incendié et j'aurais été bon pour m'asseoir sur le prix du transport, voire être obligé de payer des pénalités de retard... Artisan transporteur n'est pas un métier de tout repos.

Alors, en attendant que vienne le sommeil, j'ai rallumé ma radio.

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