Pensées nocturnes
Les stations radio font ce qu'elles peuvent pour tenir leur auditoire en haleine, aussi n'hésitent-elles pas à jouer sur la corde sensible de la peur. Insécurité dans les rues, précarité des emplois, risques majeurs d'un nouveau conflit mondial : tout y passe. A force de nous assommer avec leurs prédictions cataclysmiques, je me dis qu'elles ne font que parler dans le vide, persuadées de tout mieux savoir et comprendre que tout le monde. Finalement, elles ne parviennent qu'à me saoûler avec des salamalecs dignes d'une Madame Irma, voyante à la petite semaine.
Leur discours arrive toutefois à un sujet qui me tient plus à coeur : l'écologie. Vaste domaine de réflexion qui demeure omniprésent dans un coin de ma tête depuis des années. Je ne suis pourtant pas de ceux qui militent pour renvoyer l'Humanité dans des cavernes, encore moins de ceux qui se réjouissent à l'idée de se soulager dans un seau rempli de sable. Non, et à vrai dire, je ne fais rien de précis pour "sauver la planète". Je ne fais même pas de vélo.
Comme tout le monde, j'essaie de faire le tri dans les ordures que je produis malgré moi. Je ne me souviens jamais des jours de collecte, me trompe une fois sur deux sur la couleur de la poubelle à proposer aux éboueurs. J'ai vite renoncé à comprendre cette logique un peu trop libérale à mon goût qui fait que les déchetteries n'acceptent plus que les ordures qui peuvent leur faire gagner du pognon, pendant qu'elles nous contraignent à nous rendre de plus en plus souvent vider nous-mêmes nos déchets dans leurs centres nauséabonds. Je composte au fond de mon jardin les quelques fruits qu'on n'a pas le temps de manger, je saupoudre cet humus en devenir des coupes du gazon de mon jardin, tout cela en me disant que je fais au moins ça. Pourtant, ces comportements que je voudrais vertueux me paraissent hautement inutiles.
Ce soir, pourtant, la personne qui parle trouve quelques mots qui me percutent. C'est assez fort pour que je me redresse sur ma couchette pour monter un peu le son.
Je serais bien incapable de répéter le savant discours du mec, mais, en substance, retenons qu'il avait su choisir quelques images, quelques métaphores qui surent trouver leur chemin pour grimper jusqu'à la maigre tribu de neurones qui squattent mon tout petit cerveau de chauffeur routier.
En gros, le mec émettait l'idée, assortie d'arguments crédibles, que la couche d'oxygène tout autour de la planète était en train de disparaitre, en quelque sorte écrasée par une masse toujours grandissante de monoxyde de carbone. Le danger, un de plus, était encore plus pernicieux que le Covid. Ce gaz, fatal pour tout animal terrrestre, s'accumulerait en ce moment en haute altitude, remplaçant petit à petit cet air dont nous avons besoin pour survivre. On dirait une armée en train de se mobiliser en secret, prête à fondre sur nous quand le bon moment sera venu.
Et le mec de rajouter que le monoxyde de carbone est mortel à cent pour cent, qu'il empêche les molécules d'air de se fixer dans le sang, asphyxiant sans guérison possible tout être vivant qui en absorberait une goulée de trop.
Ce mec devait être excellent en "compo" à l'école... Son discours était magistralement rodé, avec des transitions judicieuses, le tout exposé d'une voix calme et posée, presque résignée. J'aurais juré une Cassandre couillue qui professait la fin du monde, sachant que personne ne l'écouterait malgré une montagne de preuves.
Le reportage dura presque une heure, durant laquelle je suis resté entièrement absorbé par ce que j'entendais. Le mec avait visé juste : j'étais de ceux qui réagiraient obligatoirement à ses mots.
Je devais donc réfléchir, méditer, penser, cogiter sur ma condition d'homme sur Terre.
Puis, je devrais agir pour sauver l'Humanité, au moins y concourir.
Sauver la Terre entière me paraissait vraiment pas à ma portée. Et puis, à bien y réfléchir, la Terre doit pas mal se foutre de nous. Si nous disparaissions de sa surface, il lui suffirait de quelques centaines de milliers d'années pour nous oublier sans trace. L'échelle de notre temps n'est pas adaptable à celui de ce monde. Je veux dire que l'homme ne durera jamais que le temps d'une étincelle, quand celui de la planète se calcule en milliards d'années.
Cogito, ergo sum...
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