Monox
Le sujet radiophonique continue sur sa lancée, entretenu par quelques écolos fanatiques qui voudraient à toute fin que nous fusionnions nos atomes avec ceux du sol pour enfin, disent-ils, entrer en harmonie avec la Nature, ce qui nous vaudrait un prompt retour au Paradis... Je soupire en secouant la tête, me disant que tous ces cons-là devraient être enfermés avant qu'ils n'accèdent un jour au Pouvoir. Si ces inquisiteurs fondamentalistes devenaient nos gouvernants, alors nous n'aurions plus qu'à fuir sur une autre planète, la nôtre devenant un enfer digne des pires bûchers du Moyen-âge.Le bulletin météo qui conclut l'émission est, en fait, plus intéressant, même s'il annonce un gros coup de vent à venir dans une poignée d'heures sur les côtes normandes. Paraît que ça va souffler vilain et qu'il faudra s'accrocher aux bastingages. Heureusement, je serai parti dès que l'Angliche aura pris ma remorque de primeurs. Encore un peu de patience et je pourrai rouler vers le sud pour une nouvelle cargaison à emmener je ne sais où. N'importe où, du moment qu'il fasse beau et chaud !
Je coupe ma radio, me retourne sur ma couchette et reprends ma lutte silencieuse pour trouver le sommeil. Seulement, cette idée que l'air allait peut-être bientôt me manquer me trotte dans la tête. Ne plus pouvoir respirer ? Cette perspective m'angoisse. Sans être resté très longtemps sur les bancs des écoles, je sais par simple expérience d'homme au travail, que si le monoxyde de carbone empoisonne le sang, il donne une mort presque douce. Avant d'empêcher la respiration, ce gaz endort sa victime pour un sommeil sans retour. C'est curieux mais la possibilité de disparaître dans de telles circonstances me rassurerait presque. Les affres de tout être pensant se sachant moribond sont de natures à déchaîner d'horribles terreurs et je sais que je suis de ceux qui redoutent de m'anéantir dans d'atroces douleurs. Alors, le monoxyde carbone... Pourquoi pas ?
Vaguement rasséréné malgré cette vision mortelle, je me dis que chaque chose arrivera en son temps et que, de toute façon, je ne pourrai interférer en rien dans la marche du monde. Autant dormir et voir ce qu'il arrivera demain !
Cependant, cette sourde urgence ne me lache pas. Au contraire, je me dis qu'avant de me transformer en purin, en potasse ou en humus, j'ai encore une multitude choses à faire. Et que, si je veux pouvoir m'en libérer, il est indispensable que, à l'image de ces écolos qui pleurent des larmes de crocodiles en échange de quelques subventions d'Etat pour alimenter leurs associations à but auto-lucratif, je m'implique sérieusement pour la sauvegarde de notre civilisation, voire de notre espèce tout entière. Enfin, j'avoue que je moque pas mal du genre humain, mais j'ai des enfants...
Enfin, le sommeil me prend et je plonge dans une inconscience réparatrice, tout juste perturbée par les coups de vent qui, un peu plus souvent que tout à l'heure, heurtent ma cabine.
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