Il me fallait bien bouger
Il me fallait bien bouger pour savoir où j'étais. J'étais encore trempé comme une soupe, mais il ne pleuvait plus, ce qui était un premier bon signe. Le vent soufflait encore avec force et de l'eau boueuse ruisselait près de moi, formant par-ci, par-là des flaques malodorantes. Apparemment, les égouts étaient revenus des enfers et s'étaient largement répandus à la surface de la Terre. Ce furent donc des odeurs âcres et pestilentielles qui accueillirent mon retour à la réalité.
Et, tout de suite après, une méchante douleur au bras gauche, au niveau du coude. Je tâtai avec précaution ma peau et, après une longue auscultation, empirique à souhait, je finis par conclure que je m'étais probablement fait une belle luxation pendant mes galipettes involontaires. J'avais l'impression d'une boîte de clous plantés dans mes chairs, ou encore des couteaux fichés sous ma couenne, allant de l'épaule jusqu'au bout de mes doigts. Par prudence, ou par cette fameuse lâcheté masculine dont nous accuse toutes les femmes, je n'osais pas, toutefois risquer un oeil pour un diagnostic qui aurait pu se montrer bien moins favorable.
A première vue, je m'en sortai donc sans trop de dommages. Quelques bobos à la tête, un coude en vrac et sûrement quelques égratignures un peu partout, et le bonhomme serait en état de reprendre sa route, non ? Je tentais comme je pouvais de garder le moral. Mais je savais bien que mon premier souci, après ma petite personne, était de retrouver mon camion.
- Allons, Lazare : lève-toi et marche ! m'encourageais-je d'un ton volontairement moqueur.
Malheureusement, si bouger un bras pour tâter l'autre n'avait pas présenté de difficulté majeure, me lever s'avéra d'une tout autre complexité. Le hasard ou le Destin m'avait propulsé au fond d'une petite caverne ronde, largement ouverte vers l'extérieur mais protégée par un muret fait de toutes les cochonneries accumulées par les vents. Un vulgaire petit fossé, en fait. Il s'était peut-être même creusé pendant la tempête. J'étais donc au fond d'un trou. Enfin, pas tout à fait seul. Un énorme rat m'observait avec appétit, ses moustaches grises frétillaient d'envie. En geignant, j'attrapais un bout de bois, les détritus de tout genre ne manquaient pas, pour le chasser. Puis, quand je tentais ensuite de me lever, je constatai que j'avais les jambes coincées sous un amas de branches, de pierres et de terre. Malgré mes efforts, je ne parvins pas à me dégager. J'étais dans un sale pétrin !
Je me voyais déjà, non pas en haut de l'affiche, mais bientôt moribond au fond de ma caverne. J'avais en tête les images et les commentaires de je ne savais plus quel reportage médical qui précisait dans un savant verbiage que la circulation du sang bloquée trop longtemps dans les membres inférieurs se traduisait presque toujours par des amputations. Franchement... Me défaire de mes guiboles ne faisait pas partie de mes projets, mêmes les plus lointains ! Alors, je me suis échiné à gratter la terre pour ensuite faire basculer un peu des gravats qui m'emprisonnaient. Arc-bouté comme un condamné à mort, juste avant l'impulsion électrique fatale, je me suis débattu, ignorant la douleur lancinante et pointue de mon coude blessé. Mais ce fatras de débris fait de bois, de terre et de gravatsne voulait pas me laisser partir. Pire encore, chacun de mes mouvements faisait remonter un peu d'eau et j'avais l'affreuse impression de m'emprisonner encore un peu plus, comme des sables mouvants enferment leurs malheureuses victimes. Et l'eau qui remontait à la surface faisait que les débris se soudaient les uns aux autres, m'enfermant avec plus de fermeté. Je tentai alors de me dégager tout doucement, sans faire de remous. Mais retirer cette masse qui me retenait m'aurait pris des heures, peut-être des jours. Comment faire ? Et puis, où rejeter cette terre, sinon à quelques centimètres de moi, ce qui n'était pas suffisant, bien sûr ? Cependant, je n'avais d'autre choix que de continuer dans mes efforts. Ce que je fis avec acharnement mais sans espoir... Et, en effet, je dus admettre au terme d'efforts bien inutiles que je ne pourrais jamais me sortir de là sans assistance. J'étais coincé depuis la taille jusqu'aux orteils dans une terre qui se transformait petit à petit en ciment et, finalement, mes mains ne purent plus creuser. J'avais les doigts en sang, les ongles cassés, noirs de saletés et mon bras me torturait comme un fer chauffé à blanc. Le jour finissait et le froid pointait le bout de son nez... Franchement, j'en avais plein les bottes. Tout cela pour rien!
Mes efforts étaient vains. J'étais épuisé, endolori et désespéré. Alors vint la résignation. A quoi bon lutter, puisque la Nature avait décidé de foutre la merde partout, m'incluant dans sa colère, moi qui n'étais rien ni personne ? Je me dis qu'un peu de repos était nécessaire, que cela me calmerait et qu'une idée lumineuse viendrait peut-être. Après tout, ne dit-on pas que la nuit porte conseil ? De toute façon, j'étais coincé et fourbu, alors il ne me restait plus qu'à passer une nuit qui, si ce n'était pas la dernière, me vaudrait au moins de me refaire une petite santé.
Que pouvais-je juger de ma situation ? Je devais être relégué au fond d'un champ ou à l'orée d'une forêt peu fréquentée, je n'en savais rien. En tout cas, j'étais trop loin du genre humain et de ses puissants secours. Tout me devint vite insupportable. J'avais soif, j'avais faim, j'avais peur. C'était quand même un comble de crever de soif alors que je barbottais dans un marigot de flotte pourrie !
Enfin, puisqu'il ne me restait plus rien d'autre à faire, j'ai dormi. Avec un peu de chance, le jour à venir me sera plus favorable.
Ou tout sera fini...
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