Il y a du bruit autour de moi.

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Il y a du bruit autour de moi. Non, en fait, c'est plutôt une atmosphère affairée, occupée, qui me cerne. Ce n'est pas désagréable, d'autant qu'il ne fait pas froid. Pas chaud, non plus. Je suis dans une bulle de coton qui filtre les sons et les courants d'air qui me frôlent de temps en temps. Les yeux clos, je me laisse aller à cette reposante sensation.

Mais, au fait, où suis-je ? Je ne suis pas pressé de le découvrir. Au contraire, profitant de ce confort inconnu, je prête l'oreille avec insouciance et curiosité. Ouvrir les yeux maintenant serait, pensé-je, une erreur et la fin d'une courte période d'accalmie. Parce que je me souviens très précisément de toutes les heures récentes, des jours peut-être, durant lesquelles j'en avais bavé sans comprendre ni pourquoi, ni comment j'avais pu en arriver là. Oui, j'ai clairement en tête mon camion qui se soulève, mon éjection et ma chute sur la terre, heureusemennt molle et gorgée d'eau, mes roulades incontrolables et mon emprisonnement dans une méchante gangue de merdes. Je me souviens même de ce gros rat qui pensait peut-être faire de moi un festin.

Cependant, j'ai conscience qu'il manque quelques scènes à mon scénario. C'est comme un trou dans une étoffe, ou encore un manque dans le déroulé d'une bande dessinée. Ouais, j'ai raté un épisode, semble-t-il. Mais cet intervalle manquant a fait liaison avec des circonstances qui m'ont amené dans un endroit calme.
Je devine sans peine dans quel genre d'endroit je me trouve. Certes, les détails du décor me manquent pour le moment, mais je me dis que ce n'est pas là le plus important. Selon toute logique, je suis à présent dans un refuge, un truc de ce genre. Peut-être un hopital de campagne. Un machin d'urgence, en tout cas. Tiens, je suis peut-être même entre les mains de quelques militaires dépêchés dans le coin. C'est sûr, je n'ai aucun doute là-dessus.

Ce qui fait que je ne me sens pas pressé pour ouvrir les yeux. Je sais, alors pourquoi sortir trop tôt de cette torpeur presque chaleureuse ? Je suis allongé sur un matelas un peu dur mais qui irradie doucement ma propre chaleur corporelle. La tête posée sur un coussin, je me repose. Et cette sensation de ne plus devoir lutter me fait un bien fou. C'est con, hein ? Sûrement, j'ai toujours été un peu con, sur les bords et un peu au centre aussi... Le droit à la paresse, que certains appellent ça. Ouais, eh bien j'ai furieusement envie de paresser, aujourd'hui. Je me laisse donc aller, sans but ni envie, sauf celle de végéter un peu.

Pourtant, j'entends bientôt les pas de quelqu'un qui s'approche. Oh, c'est furtif ! Quelques froissements de tissus, aussi. Et puis la respiration d'une personne. J'imagine tout de suite un toubib ou un mec de ce genre, un type qui viendrait s'assurer que je respire toujours. Et là, la curiosité l'emporte... J'ouvre enfin les yeux.

Pour découvrir une jeune femme aux cheveux bruns et longs, ramenés en queue de cheval. Elle a le visage fin, la peau claire. Elle fait la moue en regardant ses notes puis griffonne quelques signes cabalistiques sur un bloc qui semble presque faire partie d'elle-même. Derrière une paire de lunetttes avec une affreuse monture noire et un peu grossière, je découvre deux yeux noisette, vifs. Un grand front lisse, presque surtendu. Un nez fin et droit, un peu court, peut-être, et des lèvres fines et peu ourlée. Pas très grande, la demoiselle, parce qu'elle me semble trop jeune pour être une dame, tourne autour de moi, consulte les perfusions que je découvre en suivant ses gestes, reprend quelques notes puis s'apprête à faire demi-tour quand son regard croise le mien.

- Bonjour, me dit-elle d'une voix un peu fluette.

- Bonjour, fais-je, plus par réflexe que par politesse.

- Comment vous sentez-vous ?

- Bah... A priori, tout va pour le mieux. Enfin, je crois.

- C'est bien. Vous nous avez fait peur, vous savez ? répond-elle dans un sourire bienveillant.

- C'est bien la première fois que je fais peur à quelqu'un ! fais-je d'un ton ironique.

- Vous savez où vous êtes ?

- Je dirais... Un hopital de campagne ?

- Exactement. C'est bien. On s'occupe de vous, ne vous inquiétez pas.

- Je ne me souviens pas d'avoir pris rendez-vous içi...

- C'est moi qui vous ai retrouvé coincé dans un champ, pas très loin d'içi. J'ai dû faire intervenir une équipe de sauveteurs pour vous dégager du piège dans lequel vous étiez coincé.

- Et c'est ça qui vous a fait peur ? demandé-je.

- Vous étiez à bout de force, mes gars ont bien cru qu'ils allaient vous perdre avant d'arriver là. Vos jambes étaient bloquées sous un arbre qu'ils ont dû tronçonner, au risque de faire s'effondrer les amas de gravats qui vous retenaient à la surface, vous savez.

- J'ignorais... Mais, vous dites " à la surface" ? Il me semble que j'étais empêtré dans la terre d'un champ, non ?

- Pas du tout, mon bon monsieur ! En fait, l'arbre qui vous retenait prisonnier se trouvait pile poil au-dessus d'une doline qui faisait bien dans les vingt mêtres de profondeur ! Mais je dois aller voir d'autres patients. Je reviendrais vous voir tout à l'heure, si vous le désirez. Pour le moment, dites-moi comment vous vous sentez et je ferai passer une infirmière tout à l'heure pour vos soins, ok ?

- Mes soins ?

- Je vous expliquerai tout à l'heure. Répondez-moi pour le moment, s'il vous plaît.

- Disons que je me sens bien, mieux en tout cas, fais-je un peu vexé de la voir m'expédier comme une enveloppe dans une boîte à lettres.

- Ne m'en veuillez pas. Nous avons pas mal de blessés à soigner et nous ne sommes pas assez nombreux pour le moment. Mais je vous promets de vite revenir et de vous en dire un peu plus, d'accord ?

- Ok doc ! A plus tard, donc.

Elle me sourit, un curieux éclair d'ironie dans les yeux puis, notant une dernière chose sur son bloc-notes, disparait tout d'un coup.

Son départ, très professionnel, il faut bien le reconnaître, blesse un peu mon ego. Je reviens sur Terre, en reprenant conscience du peu d'importance de mon existence dans ce monde...

Et ce monde, d'ailleurs, qu'est-il devenu ? Il est temps pour moi d'en apprendre un peu plus.

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