Looser

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· Alors, comment je vous les coupe ?

· Heu, comme lui là, dis-je avec le magazine à la main.

Et voilà, l'idole des filles : François Civil. En plus, il a un air à la Jon Snow. La ressemblance est parfaite ! (Seulement dans ma tête).

Moi, C'est Nathan Sapin, j'ai 15 ans et je place beaucoup d'espoir dans cette rentrée scolaire 2023.

Aujourd'hui, c'est le 2 septembre et, évidemment, je suis à la bourre. Je passe le portail en essuyant une réflexion de la part de type qui ferme la grille : "Hé toi ! En retard dès le premier jour ! Bravo !!"

Jusque-là rien d'extraordinaire. Je cherche ma salle, la trouve et constate que les tables sont numérotées. Je me mets à repenser à ma rentrée il y a 4 ans, en 6ème. Quand j'y pense, tu parles d'un gland ! Je ne pensais pas qu'un besoin pressant allait causer ma perte... En revenant des toilettes, la classe s'était figée, avait ricané et une fille dont le nom m'échappe encore aujourd'hui s'était plantée devant moi, m'avait pointé du doigt et cria "caca !". Depuis ce jour, ils m'ont surnommé "caca". Pendant 4 années j'ai vécu l'enfer : "oh caca qui lit" quand je lisais, "voilà caca !" quand j'arrivais, "bye caca" quand je partais ... vous avez compris l'idée. Même les profs en mettaient une couche (une couche, ah ah, je suis drôle...) :

· En analysant les déjections animales, on peut trouver leur régime alimentaire. Alors, Nathan, au moins toi, tu n'auras pas de problème pour retenir ce passage ! et la classe entière :

· AHAHAHAHA !!!

L'enfer je vous dis.

Mais s'en est fini de la souffrance ! (Souvenez-vous bien de cette phrase) La rentrée va tout changer ! C'est ma revanche !!

Le prof me tire de mes réflexions hautement philosophiques :

· A partir de maintenant, vous êtes au lycée, ce n'est plus le collège. Il faut vous comporter en adultes et prendre vos responsabilités. Pour vos places, je vous fais remarquer que les tables sont étiquetées, qu'on a alterné fille/garçon et si ceux du fond ont des problèmes de vue, prévenez-moi."

Bien sûr j'atterris au fond. Pas de bol. Bon, l'important c'est que mon voisin soit une voisine.

Une personne me dit bonjour, je tourne la tête et vois une fille souriante, aux longs cheveux noirs, extrêmement belle, la plus jolie fille que je n'ai jamais vu. Je passe rouge écarlate :

· Heu...bon bonjour ! Moi c'est Nathan Sapin (mais pourquoi je donne mon nom de famille ?!)

· Moi je m'appelle Naomi.

J'ai un de ces bols ! Avoir une voisine aussi canon !

· Et, heu, ça va ? Tu arrives à lire le tableau d'ici ? Tu vois bien ?

· Oh oui, J'ai 10 aux deux yeux. Et toi, ça va ?

· Aucun souci ! Je vois super bien !

Tu parles. Je dois avoir -4 à chaque œil.. mais pas question que je change de place !

La matinée passe. Je n'ai rien écouté. Je l'ai regardé le plus discrètement possible. Elle, est concentrée. L'après-midi, après m'être renseigné :

· C'est vrai ? Tu fais du judo ?

· Oui. J'en faisais un peu quand j’étais au collège, me répond Naomi.

· Mais alors tu dois être forte ?

· Je ne suis pas mauvaise. Si j'étais agressée je saurais me défendre.

Belle, courageuse et gentille. Elle est géniale. Je crois que je vais tomber amoureux.

Un autre professeur intervient et j'en profite pour transmettre un petit mot que j'ai préparé le midi à ma future petite copine . Elle est étonnée, l'ouvre et sourit délicieusement à ma question sur la musique qu'elle écoute. Elle griffonne quelque chose et me rend le papier. En plus d'avoir entouré Pop et Rock, elle a ajouté "j'aime Shaka Ponk" suivi d'un petit cœur ! Pour qui est ce cœur ? Pour Shaka Ponk ? Pour l'émetteur du message ?!

· M. Sapin, lisez-nous donc la suite, me grille le prof alors que je suis absorbé par la réponse écrite de Naomi.

· Oui oui tout de suite...merde...merde où on en est...

· Page 10, ligne 5, me souffle ma voisine compatissante.

· Ah oui c'est là ! "L'air était pur. C'était un frais jour d'été. Sous ses yeux..." 

· Vous vous croyez peut-être en français ? me coupe le prof.

Et la classe d'ajouter un rire gras et sonore.

C'est foutu : elle va me trouver nul...

Je la regarde du coin de l'œil. Elle rit, mais pas pour se moquer. Ca l'amuse. Je l'amuse...cool !

Je prends mon livre d'anglais et rempli mon devoir d'élève en lisant le passage demandé.

Shaka Ponk... Connais pas... Je suis nul en musique en fait...

***

· Vous avez le choix : orchestre ou gradins.

La file d'attente commençait à grogner derrière moi alors que j'achetais des places pour Shaka Ponk. Hm. Qu'est-ce que je fais... Oh la la. Je vais plus avoir une tune.

· Hé devant ! Tu te dépêches !

· ouais ! tu t'magnes !

Et la femme au guichet :

· Bon, décidez-vous jeune homme, il y a du monde.

Et alors je saisis la vendeuse par l'épaule d'une main, je brandis deux doigts en l'air de l'autre main et je me mets à hurler comme si j'avais trouvé la solution au conflit Israélo-palestinien :

· ALLEZ MERDE ! DEUX "ORCHESTRE" !!

***

Quelques jours plus tard, je m'arrangeais pour partir du lycée par la même rue que Naomi :

· Les cours sont plus dur qu'au collège, tu trouves pas ?

· Si et on a bien plus de devoirs !

Tout ça pour me lancer. Allez, j'y vais. Logiquement, elle devrait accepter. Mon cœur me cogne sur les tempes. Les visages et les grimaces extravagantes de Shaka Ponk me rient au nez. Je suis interrompu :

· Oh, je suis en retard ! dit-elle en regardant sa montre. Je suis désolée, il faut que j'y aille.

· ah ! Bon, eh bien...

Qu'est-ce que je fous? ... Il faut que je lui dise. J'ai quand même dépensé tout mon argent de poche pour ces deux places de concert !!

· A la prochaine ! accompagne-t-elle d'un sourire délicat et d'un signe amical de la main.

· Ah. Euh...Rentre bien...

...

"Rentre bien" mais quel naze ! Allez. Dis-lui !

· NAOMI !

Après s'être un peu éloignée, elle se fige, surprise par la puissance incontrôlé de ma voix. Et se retourne :

· Oui, quoi ?

· Euh, eh bah...

Je tente d'ouvrir mon cartable (oui, j'ai un cartable en cuir marron parce que ça fait sérieux et adulte...en vrai c'est moche et je galère souvent à l'ouvrir), je force en le tenant à l'envers histoire d'avoir une meilleure prise, j'y parviens et là tout son contenu se vide sur mes sneakers. Livres, cahiers, trousses sur le trottoir. Naomi est étonnée par mes gestes stressés et me demande, tout en m'aidant à rassembler mes effets, ce qui ne va pas. Elle est vraiment super gentille cette meuf.

Je cherche les places dans mon bordel en suant à grosses gouttes.

Où è sont ? Mais où è sont ?!

Je les trouve et les ramasse aussi sec.

· Les voilà ! Je les ai !!

· Qu'est-ce que c'est ?

· Ce...ce sont des places pour Shaka Ponk. Ça...ça me ferait plaisir si tu venais avec moi ! Tu veux ?

· Hein..., dit-elle les yeux écarquillés. Des places pour Shaka Ponk...

· J'ai pris "orchestre". Ça doit être des bonnes places. Voyons...Hm...c'est au rang 10. Oui, au rang 10 ! Alors, Tu veux bien ?

· Mais c'est pour quand ?

· C'est pour ce samedi, ça va ?

· Euh, samedi... Hm. Qu'est-ce que j'ai à faire...

Mon dieu je vous en prie, si vous existez, donnez-moi un coup de pouce. Mon cœur signale encore sa présence à tout mon corps par un "dodom" assourdissant. Et Naomi :

· Eh bien... C'est d'accord...on y va !

· C'EST VRAI ?!! ai-je hurlé au point de faire bondir un chat derrière moi et fais peur à ma petite amie.

· Bon ben faut que j'y aille. Salut !

Je me retrouve donc au milieu du large trottoir, mes affaires étalées, des lycéens qui me regardent comme si j'avais des ailes de dragon dans le dos sans moyen de bouger tellement je n'y crois pas. Des larmes me montent aux yeux :

BEUAH !! C'EST TROP MERVEILLEUX D'ÊTRE ICI !!

***

· Bon, aujourd'hui, nous allons pratiquer le softball ensembles, filles et garçons je veux dire, pour faire des groupes de niveau, nous annonce le prof d'EPS

Et les garçons d'ajouter :

· Ooooh ! Les filles et les garçons ?! c'est super !!

Hm, réfléchissons : Si je suis avec Naomi et si je fais une gaffe et qu'on perd. Mon image va en prendre un coup. Alors tout ce que j'aurai fait jusqu'ici sera ruiné tel un vieil immeuble qu'on dynamite !! J'ai une idée :

· Hé vous trois là-bas !

· Qu'est-ce qu'il y a Sapin ? réponds un camarade.

· Si tu as du fric, planque-le, ajoute un autre.

Je leur propose un deal qu'ils ne peuvent pas refuser !

L'échauffement terminé, la partie de softball mixte commence. On admire mes performances ! Non pas que je sois devenu bon mais contre un repas complet, les gars de ma classe me facilitent le jeu. Les filles restées sur le banc en attendant leur tour m'acclament ! Tout se passe parfaitement !

Alors que je suis sur le bord du terrain, une balle est frappée haute et Naomi est en dessous. J'ai le réflexe de lancer un très bon conseil :

· Naomi, écoute-moi ! Un peu plus en avant ! Encore un peu ! Reçois-la à deux mains ! Tu vas y arriver !

Ma déesse, les yeux presque fermés de peur de prendre la balle sur la tête, réussit sa réception. Son visage s'illumine de surprise et de joie. Pure bonheur pour elle comme pour moi. je marque des points !

Arrive le moment où je prends le poste de lanceur. Je rappelle aux copains de ne pas me lâcher maintenant. Ils me chambrent en disant que Naomi est très mignonne. Je le sais déjà ! C'est parti ! Je lance une balle droite, histoire de ne pas prendre de risque et le gars rate la balle d'un geste improbable...

· Strike !

· Wah ! Comment il lance la balle ! Je suis anéanti ! Il est trop fort !

Quel crétin...C'est trop ! On va se faire griller !

Au suivant.

· Strike !

· Quel lancer, Nathan ! Super joueur ! ajoute mon camarade à grands coups de clin d'œil.

· C'est bon arrête, tu en fais trop là...

Strike ! Troisième batteur éliminé ! ça va me coûter un bras en bouffe mais ça vaut le coup !

C'est Naomi à la batte. Elle enfile son casque rouge. Cool ! Je vais lui envoyer une balle facile ! Elle se met en position. Elle a l'air déterminé. Et hop : balle en plein milieu, un cadeau.

Elle frappe bien. Elle frappe fort ! La balle passe 4 mètres au-dessus de moi. Elle court en sautillant :

· Je suis à la deuxième base ! A la deuxième base !

Je la regarde en évitant toute expression pouvant dévoiler mon plan.

· Merci ! me dit-elle en faisant un clin d'œil. Elle sait.

Enfin ! Après quatre ans j'arrive dans cette école et tout est parfait ! Quel bonheur ! Demain, nous serons seuls tous les deux au concert. Avec des milliers d'autres spectateurs mais bon, j'me comprends.

· C'est reparti ! crie le professeur.

Hein ? Encore une fille ! Alors je peux lancer une balle normale, rien ne pourra effacer mon sourire !

Je lance et j'entends :

· Crétin ! C'est Chiara ! Elle fait du baseball en club ! hurlent mes camarades corrompus.

Chiara frappe comme un bûcheron et, volontairement ou non, vise ma tête ! La balle fuse à grande vitesse en sifflant ! Je devrais la réceptionner et éliminer cette batteuse, c'est mon rôle et ça ferait de l'effet à mon public mais mon instinct de survie et ma peur omniprésente me permettent de m'accroupir à temps ! Ouf ! Puis, un "plaotch" bruyant provoque le silence de tous et toutes... Je me retourne en repensant au bon réflexe que j'ai eu, assez fier de moi ! Le projectile a fini sa course en plein dans le visage de Naomi qui perd son casque et s'étale comme une poupée de chiffon. Aaaaaaaaaah !

***

Elle n'est pas revenue en cours. Merde. Quel pauvre mec je fais ! Si seulement j'avais pas eu la trouille.

Un raclement de chaise sur le sol me sort de mes lamentations. Naomi s'assoie. Elle a un pansement sur l'arête du nez et garde les yeux fermés un moment qui parait suspendu.

· Na...Naomi ?

Un regard foudroyant me transperce.

· Ca va Naomi ?

· Oui, répond-elle en sortant ses affaires.

· Je...je suis désolé. En fait, j'ai eu peur de la balle.

· Tu parles. Tu te moques bien de ce qui peut arriver aux autres. Je crois que je me suis bien trompée sur ton compte.

Moi. Je ne me soucie pas des autres ? ... Elle est drôlement fâchée !

· Mais Naomi...

· Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi, lâche-t-elle sèchement.

· Oui...ok...

...

· Ah au fait, je voulais te dire... m'annonce-t-elle comme s'il reste un espoir.

· Quoi ? Qu'est-ce que je ...

· Ceci, en me tendant la place pour Shaka Ponk.

· Hein ?

· J'ai réussi à me procurer un billet pour le concert de samedi.

Mais alors, si elle ne veut plus de moi. Qui d'autre l'a invitée ?

· OH NON !!! C'est pas possible ! Je t'en prie, réfléchis !! Tu ne peux pas...heu...disons...reconsidérer la question ?

· Sache que je déteste les faibles.

Le monde s'écroue autour de moi. Cette phrase prend mon cœur, le plie en huit, le transperce avec une dague enduit de poison avant de le jeter dans un broyeur à viande. Elle déteste le faibles... Elle déteste les faibles... De la sueur vient à perler sur mon front, des larmes s'invitent, et en bonus, j'ai le nez qui coule en fils visqueux sur ma table.

***

La pire journée de cours de ma vie vient de prendre fin. Je quitte le lycée et marche tel un zombie vers chez moi. Des copains de classe m'appellent mais je crois que je ne veux pas les entendre.

· Hé Nathan ! Oh oh ! Tu m'écoutes ?!

Trois camarades me rattrapent, me tapent sur l'épaule et comprennent bien pourquoi je fais cette tête :

· Faut pas déprimer : il y a autant de filles que d'étoiles dans le ciel ! C'est un vieux dicton et je crois qu'il sera toujours vrai ! Mais en tout cas... TU NOUS DOIS TOUJOURS A BOUFFER POUR LE SOFTBALL !

Argh ! Les bâtards !

· Barrez-vous bande de rats !

Ils ont compris que ce n'était pas le moment. Ils me lâchent la grappe et je peux errer mollement. Dans la rue, les gens autour de moi font leur vie, discutent et sont heureux. Je suis désespéré. Je monte un trottoir. En fait, j'essaie de monter un trottoir...je me rate et, dans mon désarroi complet, je m'éclate le nez contre le bitume... je pisse le sang mais je m'en fiche. Je me relève alors qu'une vieille m'aide. Dignité proche du zéro...! Sur le front, un prospectus de la section boxe reste collé. Oui ! C'est ça que je dois faire ! Savoir me battre !

***

· Heu, excusez-moi...

Au même instant, un type prend un crochet dans le casque au point de voler dans un coin du ring, yeux exorbités, bavant salive et sang... Gloups. Six lycéens plus âgés que moi observent la scène en tenue de sport. La brute est athlétique, a les traits fins malgré un menton avancé qui le rend vraiment impressionnant.

· Waah ! Nico est vraiment le champion des poids moyens du lycée ! commente un des partenaires d'entrainement.

· Heureusement pour lui, j'ai pas mis toute la sauce, assure le puncheur arrogant, accoudé sur les cordes.

· Pardon. Je m'appelle Nathan Sapin de seconde E, je voudrais m'inscrire, dis-je timidement.

· Je suis Greg. Tu veux t'inscrire ?! Dit le lycéen en me scrutant de de la tête aux pieds. Au collège, qu'est-ce que tu pratiquais ?

· Heu...du foot.

· Ah bon. C'est qu'ici l'entrainement est sévère alors si tu as un faible tempérament, il vaut mieux t'abstenir.

· Comment ça un faible tempérament ! C'est une résolution sérieuse que j'ai prise en venant là !! Je veux devenir quelqu'un de fort !! J'ai bien l'intention d'endurer n'importe quel entrainement, aussi difficile soit-il !!

Une réponse provient du ring :

· Ha ha ha ha ha ... De toute façon tu n'es pas fait pour la boxe. Tu ferais mieux de rentrer te coucher mon p'tit. Tu vas vite comprendre que tu n'as rien à faire ici.

Je change de couleur et le fixe. Grrr. Je me tourne vers celui qui m'a accueilli :

· Laissez-moi au moins vous montrer mon punch !

· Tu es sûr que c'est nécessaire ?

En une seconde, je quitte ma veste, la jette négligemment au sol et me dirige vers le sac de frappe usé. Pour prouver ma vitesse, j'esquive à gauche, à droite ; je bouge tout en effectuant des directs dans le vide aussi rapidement que je peux. J'observe leurs réactions : ils sont étonnés ! Je possède des capacités pour le sport ! Je le savais !

· Vous voulez voir une droite dans ce sac ?! crie-je pour les impressionner, ainsi que pour me donner toute la force et le courage.

Je frappe. Je les sidère ! Un crac retentit mais ce n'est pas le tissu du sac de frappe...c'est mon poignet droit ! AÏEEEEE ! Et j'entends derrière mon dos :

· On dirait qu'il s'est fait une entorse ! Et dire qu'au début, on l'avait pris pour un dur !

· Alors ! T'as compris avec ta coupe au bol ? Tu n'as aucune dispositions pour quoi que ce soit ! lance le fameux Nicolas.

· Je crois qu'il a raison. Je t'avais prévenu à ton arrivée, ajoute gentiment Greg.

· Allez, rentre te coucher ou ta maman va te gronder très fort... continue le boxeur.

La salle de boxe explose de rire... Je pars en me tenant la main. C'est trop tôt pour se décourager. Il y a plein d'autres clubs !

Rugby : je reste au sol, une dent en moins après une mêlée. Non !

Karaté : claqué à la cuisse pendant l'échauffement. Viré. Pff...

Judo : "Tu es une vraie loque... Tu n'es pas fait pour les arts martiaux" ai-je entendu au travers des bandages...

Quelques jours après avoir essuyé mes défaites, je réfléchissais seul sur un banc de l'immense cour. j'agitais vigoureusement une canette de jus de fruit pris machinalement au distributeur. Je sais que je n'ai aucune force physique mais je ne peux pas me résoudre à cette idée. Je veux aller plus loin ! J'ouvre ma boisson. J'étais tellement concentré que je n'ai pas fait attention que c'était du soda...Je me retrouve aspergé en plein visage... Merde ! Fais chier, c'était gazeux !

· Ha ha ha ! Quel abruti !

Je connais ce rire ! Nicolas du club de boxe... re merde. Un groupe de quatre terminals approche.

· Par contre il sait faire de beaux discours :"Je veux devenir quelqu'un de fort !" Tu ferais mieux d'écrire des bouquins ! Ah ah ah !

Je reste muet, calme, j'attends qu'ils partent...

· Tête de cul infirme ! En tout cas, un caillou reste un caillou quel que soit le terrain où il se trouve !

Je reste passif en apparence mais à l'intérieur, je suis fou de rage !

· Assez perdu de temps avec ce gland. On a du taf, conclut-il avant de s'éloigner.

Merde ! une humiliation de plus sur la liste.

Je déteste les faibles. Je revois son visage impartial, froid et jugeant. Je déteste les faibles. ça me bouffe...

Je n'abandonnerai pas !

C'est bien beau mais j'ai essayé tous les clubs...

Mon regard se porte alors sur un petit bâtiment en bois, assez délabré que j'avais pris pour le cabanon du jardinier. J'approche par curiosité et ouvre la porte qui se plaint en couinant. Je tombe sur une salle de boxe ! Sac de sable en cuir défoncé et ring aux cordes distendues, trous dans le plancher et au plafond, assortiment d'odeurs rances, matériel de musculation du siècle dernier ou même du précédent... Serait-ce possible qu'il y ai un deuxième club de boxe ?! Ca à l'air abandonné, il n'y a personne.

· Tu veux t'inscrire ?!

Je me retourne et rencontre un cinquantenaire moustachu, svelte, au regard doux, presque naïf, un balai brosse à l'épaule et un chapeau de paille lui aussi d'un autre temps enfoncé bien trop loin sur la tête.

· Sois le bienvenu.

· Bonjour. Mais c'est quelle section ici ?

· Tu ne sais pas lire, dit le vieux avec une mou, c'est écrit sur le panneau.

· Quel panneau ?

· Oh. Il est tombé, en ramassant une plaque de bois par terre. Il y avait beaucoup de vent hier, précise-t-il avec un rire gêné.

Il raccroche la pancarte sur un clou complètement rouillé. Tout est pourri ! Je peux lire : Section kickboxing.

· Qu'est-ce que c'est que ça ?

· Ah ! Ah ! Ah ! C'est le meilleur sport de combat japonais. Et pas thaïlandais comme beaucoup pensent ! précise-t-il au moment où la plaque tombe à nouveau. On dirait que le bois est pourri...

Nous rentrons dans sa...cabane. L'odeur me fait faire un mouvement de recul.

· Et qu'est-ce que vous faites ici ? j'ose demander.

· Eh bien je suis le coach, l'entraineur de ce club. Je me nomme Monsieur Maurice.

· Vous êtes le coach ? Mais où sont les élèves ?

· ici !

· Je suis le seul...?

· Allons allons, nous ne sommes qu'au début de l'année. Bientôt les élèves vont affluer.

Je le regarde, perplexe. Croit-il vraiment à ce qu'il raconte...Hm. Il reprend :

· Mais il est vrai que les jeunes d'aujourd'hui n'ont pas le sang-froid nécessaire pour acquérir une bonne technique.

Je regarde le ring défoncé... et M. Maurice d'approche de moi puis, soudainement, s'accroupit comme un deuxième ligne de rugby à son pilier avant une mêlée : une main sur l'extérieur de la cuisse et l'autre entre les jambes ! Il me tripote ce vieux tordu !

· Eh ben je dois y aller !! dis-je bien fort pour qu'il s'arrête.

· Hé attends ! J'ai un truc à te prêter. Tiens, me sourit-il en me tendant un sachet en papier kraft.

· Qu'est-ce que c'est ?

· Ce sont des DVD de vidéos érotiques !!

· QUOI ?!

· Faut pas hésiter !

Nan nan c'est bon !

Finalement, pour qu'il me lâche, j'ai pris son paquet louche... Sacré grand-père ! Il a de bons côtés. C'est lui qui a insisté après tout. J'ai ma conscience pour moi... Elles sont peut-être sympas ces vidéos. Oh oui, ça va être trop excitant ! M. Maurice voyons... Si ça se trouve c'est avec des mecs !

Dans un but purement informatif (vous y croyez ?), je me dépêche de rentrer chez moi.

Je mets le premier disque dans ma vieille PS3 : Qu'est-ce que c'est que ça ?! On entend à peine et on voit que dalle !! Si j'avais su ! On dirait qu'on a filmé avec un caméscope une vieille cassette VHS ! J'essaye l'autre DVD. Pareil ! Irregardable ! Il m'a bien eu... c'était marrant quand même. Mais il y a un troisième disque : "The fight Art of KO" ... Je m'énerve ! Ce vieux pervers s'est bien foutu de moi ! Je me calme vite. Au fond, je ne suis pas étonné. C'est un vieux prof raté qui s'ennuie. Je peux toujours jeter un coup d'œil. J'ai rien d'autre à faire toute façon. La console avale "Art of KO". Encore des bagarre à la con... En quelques minutes, je suis absorbé par ce que je vois. Des boxeurs de boxe-thaï combattent et malgré leur apparente maigreur, ils frappent fort, et haut ! Je suis sidéré par un coup de pied haut impressionnant. Les scènes s'enchaînent. Ce sont des extraits de combats qui ont réellement eu lieu. Coup de genou dans l'estomac, coude à la pommette, coup de pied dans la mâchoire... INCROYABLE ! Je relance le DVD après diner et me couche surexcité par ce que j'ai découvert.

***

· Euh...excusez-moi de vous déranger...

Dès le matin, je me suis précipité à la "salle de kickboxing". M. Maurice prend son café dans un coin, à un bureau et, malgré une chaussette sale qui traîne, ça sent moins mauvais qu'hier.

· Le p'tit gars d'hier ! Alors, tu as regardé les vidéos et tu viens apprendre le kick ?

· Je n'ai encore rien dit !! lui crie-je dessus pour lui montrer que j'ai compris son arnaque.

...

· Mais c'est vrai, pour parler franchement, votre club n'est pas bien équipé.

· Tu t(inquiète pour l'équipement. Tout est dans l'athlète même. Mais si tu ne veux pas t'inscrire, je comprendrais.

Je déteste les...

· Je veux devenir quelqu'un de fort !!

M. Maurice eu un œil étonné :

· Ça c'est du regard ! Si tu n'oublies jamais ce regard, pour sûr, tu deviendras très fort ! Tiens : attrape ! fait-il en me lançant des gants de boxe bordeaux.

Je les réceptionne et constate qu'ils sont surement encore plus vieux que le coach lui-même !

Ils tombent en lambeaux ces gants. Être aussi abîmés, ça leur donne du caractère.

· Ce sont ceux dont je me servais autrefois, annonce-t-il solennellement avant de reposer son mug. Alors ! On commence ?!

· OUI !

· A partir d'aujourd'hui tu es membre de mon club de kickboxing. Tu dois le ressentir comme un honneur. Tu devras t'appliquer tous les jours !

· Oui, je tiendrai bon.

· Humm... alors...

· Oui ?

Il garde le silence, les bras croisés, les yeux clos. Il doit avoir un plan et une stratégie pour un élève comme moi. C'est sûr ! Il combattait avant ! Il doit être redoutable...

· Qu'est-ce qu'on pourrait faire ? balance-t-il en grattant son crâne brillant.

· What ?!! Coach, soyez sérieux ! C'est important pour moi !

· Ca fait tellement longtemps...

Mais où je suis tombé, bordel ! Je vais me casser. C'est à cet instant que la porte s'est mise à grincer. Un garçon encapuchonné fait son entrée. Short aux motifs coloré sur un jogging gris, un peu essoufflé, je suppose qu'il revient d'un jogging.

· Il a été mon unique élève. Il s'appelle Tchan-Poua. C'est un étudiant étranger qui vient de Thaïlande. J'aime bien l'appeler Tommy même s'il n'aime pas ça, ah ha ! ricane-t-il, je vais te présenter...

Tchan-Poua retire sa capuche. Un visage basané et souriant apparait. Il a l'air sympa. Je tente l'anglais :

· My name is Nathan and ...

Mais il me coupe la parole très rapidement :

· Je m'appelle Tchan-Poua. Enchanté !

· Comment ? Tu parles français ?! me sort spontanément.

· Oui... répond-il gêné. Puis va se changer.

Comme un con, c'est comme si je venais de le pointer du doigt en disant : "pauvre péquenaud jamais sorti de son île. Ah ah !" M. Maurice reprend :

· A l'origine, le Kick est une technique thaïlandaise. C'est un sport de lutte née principalement du Muay-thaï. Tommy vit selon l'état d'esprit Muay-thaï depuis son enfance alors il a beaucoup à t'apprendre. Bon ! Allons-y ! Montre-moi comment tu frappes du pied, me dit-il en montrant le bas du sac de sable.

· Je vois : un coup de pied bas.

· C'est ça. Le low kick, c'est la base du kickboxing.

Je repense aux DVD d'hier soir : un coup direct et vif infligera des dommages à l'adversaire qui ne lui permettront pas de rester debout.

· Comme c'est ta première leçon, je ne jugerai pas ton style...

Allez, j'y vais ! Un petit coup rapide ! YAAAH !

Ma cheville vient s'écraser mollement, rappelant le bruit que fait un visage sur un oreiller : "Slap". Ça n'a pas marché...

· Ah ah ah ah ah ! Tu y vas avec le cœur m'ais c'est ta tête qui accentuera ta force.

· Vous aviez dit que vous ne me jugeriez pas !

· Oui c'est vrai mais là c'était drôle ! Tu es complètement de travers ah ah !

Quel vieux connard ! Je me tire ! ... Je remarque qu'il s'est rapidement calmé pour me donner des conseils :

· Tu dois concentrer un maximum d'énergie pour frapper au bon moment, et en souplesse. C'est le point essentiel de passage du SEI, le calme, au DÔ, le mouvement.

· Du SEI au DÔ ? répété-je bêtement.

· Là-dessus. Le pied qui porte le coup dépend aussi du pied d'appui. Tiens : regarde-le, lui ! dit-il en me montrant son autre élève du menton, observe-le et tu comprendras ce que je dis.

Tchan-Poua, dans une partie isolée de la salle, exécute alors des mouvements très rapides de coude, de jambe, de poing. Et effectivement, il y a toujours un geste lent, comme une concentration, avant de libérer le coup. Puis, comme s'il se savait observé, il applique parfaitement la technique décrite par M. Maurice : Il épuise d'abord sa force, il avance doucement son pied d'appui, le bloque la cheville vers l'avant et sa jambe atteint une vitesse impressionnante pendant la rotation du buste. Je suis surpris de comprendre ce geste. Est-ce grâce aux vidéos de ce vieux prof ? Son mouvement est parfaitement rectiligne et il ne gaspille son énergie à aucun moment... Je crois que j'ai saisi.

Face au sac, je ferme les yeux, me voute et tente de d'abord d'évacuer l'énergie de tout le corps puis, quand je suis prêt, je visualise le mouvement et :

· YAAAAAH !!

· Pof, répond le sac.

· Le genou ! C'est ton genou ! me sourit sans moquerie Tchan-Poua. Tu allonges d'abord la jambe mais ensuite c'est le genou que tu développes

· Hein ?

Et, en me faisant la démonstration au ralenti :

· Tu ouvres ton genou "like this" !

· Ah ok ok ! Thanks pour ton aide ! Je vais réessayer !

Voyons voyons... ouvrir le genou, le pied comme ça... Je m'élance et frappe au milieu du sac. Un bruit agréable s'en échappe. Oh ! J'ai pourtant porté un coup tout bête et même avec un coup aussi doux, ça n'a pas fait le même bruit que tout à l'heure. Bon cette fois je le refais plus fort et plus vite. Je me détends, je pense à ma position et je frappe en dépliant bien le genou. Le coach et Tchan-Poua m'observent. J'ai l'impression qu'ils croient en mes capacités. Je ne me souviens pas que ça me soit déjà arrivé, jamais. Je me lance et un "Flap" convaincant retenti. M. Maurice tique. Je lis sa surprise dans ces petits yeux malicieux.

· Ouais ! C'est ça ! J'ai réussi ! Enfin je vais pouvoir devenir fort !! Merci Tchan-Poua pour tes conseils ! Ils étaient top ! Vous avez vu coach ?! dis-je en cherchant un encouragement.

· Oui, et alors ? Remets-toi au travail, lâche-t-il sèchement, les bras croisés.

Raide.

· Ohé, Tommy, montre-lui un coup bas, interpelle le coach.

· Arrêtez de m'appeler Tommy Monsieur Maurice s'il vous plaît ! Ça fait de nombreuses fois que je vous le demande ! J'aime le prénom qu'on choisit mes parents et c'est un peu raciste de faire ça !

· Mais non, allez, fais pas ta princesse et cogne ! Regarde bien Nestor !

Moi c'est Nathan...il est givré ce gars...

Tchan-Poua attend une seconde puis se lance : ses mouvements sont à la fois lents et rapides. Il place son pied d'appui en opposition et déclenche sa jambe droite en dépliant le genou. Il atteint la cible avec une force que son gabarit, équivalent au mien, ne laisse pas soupçonner. PAAAF ! Le sac libère une poussière semblant prévenir de l'intérieur.

Waouh !! Quel puissant coup de pied ! Ça doit être ça le coup de pied Muay-thaï ! Et le sac n'arrête pas son balancement !

· Vous avez à peu près la même constitution physique mais pas la même puissance. Mais ce n'est pas du tout le fait du hasard, explique le coach.

· Ah ?

M. Maurice attrape les épaules de son thaïlandais préféré pour me montrer son dos.

· Regarde, tu vas tout de suite comprendre, me dit-il en mettant en valeur cet athlète.

· Son dos est tout bosselé !

· Ces bosses sont des muscles uniquement forgés par l'exercice. Il n'est pas exagéré de dire que la puissance des coups et des coups de pied se concentre dans le dos. C'est là où se trouve la différence majeure entre lui et toi. Mais pour en arriver là il est nécessaire de s'entrainer tous les jours. Il faut avant tout muscler le dos sans négliger la partie inférieur du corps et pour ça, le meilleur moyen, c'est de courir. La technique s'apprend après.

S'entrainer tous les jours. Courir...

· Pendant deux mois tu vas devoir courir et courir sans répit.

***

Je cours sur le chemin herbeux qui longe un talus descendant en pente raide. Je la vois au loin. Je sais que c'est elle. Je cours en arrivant derrière elle et sa copine...je ne sais plus comment elle s'appelle celle-là. Pas grave. J'arrive à leur hauteur.

· Bonjour Naomi ! en stoppant ma course, et bonjour...

· Bonjour, me répond-elle.

· De quoi vous parliez ?

· Et moi ? J'ai pas de prénom ? demande la copine agressive.

· Heu...j'avoue que j'ai oublié...

· Karine ! Ça fait des semaines qu'on est en cours ensembles Nathan Sapin ! crie-t-elle sur moi.

· Désolé Karine.

Karine chuchote quelque chose à Naomi. Je crois entendre "kick-boxing".

· Ça ne te concerne pas... me répond Naomi.

Elle n'en a vraiment plus rien à faire de moi.

· Je commence le kick, pour détendre l'atmosphère.

· C'est vrai alors ? Dit Naomi.

· Ah ah, dis-je gêné, c'est pour ça que je ne prends plus le bus pour venir au lycée. J'ai pris l'habitude de courir pour me forger les muscles. Au moins le matin, il fait frais mais je suis un petit peu fatigué en cours.

Les deux filles ricanent bêtement. Je tourne la tête, voyant Naomi de profil. Qu'est-ce que j'ai dit de travers encore ? Quelles nulles ou...quel nul sûrement...! Mais...gloups...son soutien-gorge est défait ! Oh

· Naomi, ton soutien-gorge est... oups ! C'est sorti tout seul !!!

· Woh ! Où est-ce que tu oses regarder ?!

· Ah, euh, mais, euh...c'est mieux d'avoir une énorme poitrine que pas du tout !!

· Quoi ? Une énorme poitrine ?!!

Oh non ! Je m'enfonce de plus en plus !! Change de sujet Nathan bordel, vite !

· Euh...je sais que je ne suis pas très séduisant ! C'est pour ça que je vais faire attention à ne pas me relâcher ! dis-je en postillonnant.

Karine sourit mais je crois qu'elle ne sait plus où se mettre pour échapper à cette scène. Naomi est très gênée... Cette dernière s'approche de moi, le regard au sol. Va-t-elle m'encourager ? Me réconforter ? Me demander pardon parce que je suis touchant ?

Elle tend violemment les bras, ses mains me poussent par les épaules. Je perds complètement l'équilibre et j'avais évidemment oublié la pente derrière moi ! Je lâche un cri particulièrement aigu tandis que je dévale l'herbe à grande vitesse...jusqu'à m'étaler sur le passage en ciment de tout mon long sur le dos. Aïe. Pourquoi...

· Moi ! Une énorme poitrine ! Karine, arrête de rire ! On s'en va ! annonce-t-elle en partant.

***

· Vous aurez bientôt une évaluation, entends-je de loin.

Bong. Bong.

"Frappe ta jambe avec une bouteille en verre le plus souvent possible. Cela la rendra résistante." m'a conseillé le coach. Naomi me trouve ridicule. Je m'en fiche car elle comprendra plus tard.

Bong. Bong. Bong.

· Hé Karine, demande une élève en se retournant, qu'est-ce qui fait ce bruit bizarre au fond de la classe ?

· C'est Sapin là-bas pff, dit-elle bien fort en me montrant du doigt.

· Mais qu'est-ce qu'il fout ?!

Bong. Bong.

Complètement dingue ce gars...

***

J'ai déjà fait pas mal de tour de stade et j'ai beaucoup de mal à garder ma langue dans ma bouche. Mon t-shirt du club est trempé, je sue à grosses gouttes depuis un moment mais je veux continuer, encore et encore.

· Yo !

· Hein ?

Un gars se met à courir à côté de moi, suivi par cinq ou six autres. C'est Nicolas du club de boxe.

· Hm, Kick-Boxing dans le dos ? lance-t-il avec un sourire moqueur, elle existe cette section ?

Je décide de ne pas répondre à la provocation et me concentre sur ma respiration.

· Mais tu n'as pas l'air heureux. Tu sais, tu peux peut-être encore trouver un club pour handicapés ! Ça t'irait comme un gant !

· En ce moment, je m'entraine tu vois alors je ne peux pas te parler... soufflé-je péniblement.

· Oh la la pardon : Mais dis donc, tu forces trop, non ? Ton cœur va finir par lâcher ! se moque-t-il.

J'accélère pour tenter de la distancer. En vain.

· Hé ça va ? ajoute son groupe de potes en me rattrapant, tu t'emmêles les jambes !! Allez courage ah ah ! Regardez sa tête ! Il n'en peut plus là ! Tu ferais mieux de t'arrêter avant de claquer !

J'allonge les foulées alors que je sens que mon corps n'est plus vraiment d'accord... et eux :

· Assez rigolé ! On y va les gars ! en me dépassant sans effort.

· Je ne m'avouerai pas vaincu !! bafouillé-je en me sentant tomber.

Je m'éclate comme si mes os s'étaient liquéfiés. Je reste étalé au sol en tentant de reprendre mon souffle. Je ne sais pas combien de temps. MERDE ! Me voilà à quatre pattes. Je griffe la terre dure de mes ongles. C'est pas vrai ! La morve me couvre le bas du visage. Quand est-ce que je serai enfin fort ?! Je me redresse, une poignée de terre dans chaque main. Je serre le poing droit comme pour montrer au monde ma détermination et mon impatience : Et ça ne fait qu'un mois ! J'ai une grosse crotte de chien dans mon poing levé qui s'échappe entre mes phalanges...

***

J'ouvre la porte du lieu que j'appelle maintenant mon dojo bien que ce soit toujours une baraque qui tienne à peine debout. J'ai chaud et je suis fatigué mais je sens que courir chaque jour porte ses fruits. Je quitte mes tennis et m'affale en glissant le long du mur sur le parquet.

· Alors Nathan, tu abandonnes ? plaisante Tchan-Poua gentiment.

· Ah ah ! ris-je ironiquement.

Et en soulevant mon maillot :

· Cette ceinture de 10kg sur 10km, ça m'a tué !

· Monsieur Maurice est très content de ton assiduité.

· Ah oui...? Et bien je me lance.

· Il était en train de lire grand livre, au bureau, de l'autre côté du ring.

· Coach ?

· Oui, quoi ?

· Laissez-moi vous montrer mon coup de pied bas.

· Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Retourne donc courir un peu !

Je lui fais tomber son livre des mains d'un coup rapide, il atterrit sur le dos et laisse apparaître un magazine avec des femmes peu habillées. Je lui jette un regard déterminé. Il ne le prends pas mal.

· OK. Montre-moi, dit-il très sérieusement, en poussant maladroitement le magazine du pied.

· Alors, je jouerai la cible, souris Tchang-Poua, c'est mieux de s'entrainer sur un adversaire. En plus, j'ai l'habitude ! N'hésite pas ! Frappe de toute tes forces !

· Ok ! On y va !

Nous montons sur le ring. D'abord, j'évacue le surplus d'énergie. Je dois saisir le bon moment.

· Pff ne suffit pas de courir un seul mois...

Prendre un bon appui. Tordre complètement la hanche. Engager la jambe à partir du genou...

Et frapper !! YAAAA !

Le coup est puissant. Il touche le côté du mollet de mon partenaire en un bruit sec. Tchang-Poua est surpris, son visage en dit long. Je crois que j'ai réussi !

· Alors, qu'est-ce que vous en dites ?! Coach !

L'expression faciale de M. Maurice reste figée. Je ne sais pas si c'est bien ou...très bien !

· Va te doucher, tu sens le bouc, lance-t-il après trente seconde d'immobilité.

***

· Aïe, bordel, ça fait mal ! J'ai encore éclaté une ampoule !

Me voici assis dans le bac à douche du dojo. La pièce est propre puisque j'ai dû la récurer du sol au plafond (il paraît que ça faisait partie de l'entrainement ; bah voyons...) et elle ne dégage pas de mauvaises odeurs, peut-être aussi grâce à la fenêtre toujours ouverte. L'eau chaude me coule dans le dos pendant que j'examine mes plantes de pieds : des ampoules percées ont poussé comme des champignons. Je morfle ! Si je mettais un peu de salive...:

· AÏÏÏÏÏÏÏÏeux !!!!!

Je prends ma douche tant bien que mal en faisant de l'équilibre sur les parties sans ampoule quand j'entends des voix venant de la ruelle :

· Il est aussi jeune que nous mais très en avance sur certaines choses si tu vois ce que je veux dire. Son nom c'est Nicolas Malatesta. Il est au club de boxe. Poids moyen je crois.

Nicolas ? Je coupe l'eau et tend l'oreille. "Un caillou reste un caillou quel que soit le terrain où il se trouve."

· Mais cette fois, tu sais sur qui il a jeté son dévolu ? Elle est en seconde E. Elle s'appelle Naomi.

Mon sang ne fait qu'un tour : je sors dans la rue pour rejoindre ces deux garçons. J'arrive derrière eux en courant malgré la douleur et attrape l'épaule de chacun :

· Qu'est-ce que vous venez de dire ?!! Crié-je.

Par reflexe, leurs regards se porte sur mon entre-jambe. Je suis nu dans cette ruelle, je m'en fiche complètement à ce moment-là, et je tiens ces mecs par leurs vestes. Je les reconnais.

· Mais que... C'est toi qui était à la salle de boxe, non ?! bafouille l'un d'eux, et tu es vite reparti.

· Je t'ai demandé de quoi vous parliez !!

· heu... ce matin, Nicolas a déposé une rose rouge sur la table de Naomi.

· Une rose ?!

· Oui ! Il avait déjà fait pareil l'année dernière : il a tourné autour d'une fille de seconde qu'il visait pendant une semaine et puis un matin il a déposé une rose sur la table de la fille en question... Elle était super contente. Alors il paraît qu'un jour, après les cours, en lui racontant des beaux discours, il s'est arrangé pour l'emmener à l'hôtel pour...heu...

· QU...QUOI ??!!!

***

Naomi m'a raconté un évènement capital pour que vous compreniez ma colère et mon courage (ou ma témérité diront certains) : Le moment où elle a remercié Nicolas Malatesta, le vantard qui ose la draguer ! Son sac en bandoulière, il la rattrapait sur le chemin du lycée par un beau jour d'octobre :

· Je ne m'y attendais pas... fit-elle, d'un ton timide tandis qu'elle gagnait des couleurs. Quand je suis rentrée dans la salle et que j'ai vu la rose d'un rouge profond...

· Ça te gêne ? lança-t-il sûr de lui, avec un sourire en coin.

· Oh non ! Pas du tout ! C'est galant et délicat, surtout venant d'une personne aussi populaire que toi, rougit-elle.

· Ha ! Ha ! Je ne suis pas si important que ça, dit-il en se passant la main dans ses cheveux parfaits, Pour tout t'avouer, je n'ai pas résisté à ton charme.

· Oh ! Merci.

· Dis, Naomi, si on descendait par cet escalier et qu'on allait boire un café ?

· Il n'y a pas de bar par là.

· On devrait y aller... affirma-t-il en lui mettant la main sur l'épaule et en accompagnant le mouvement vers les marches.

· At...attends, je ne...

· Qu'est ce qui ne va pas ? Quelque chose t'effraie ? Je ne suis pourtant pas méchant, chuchota-t-il en lui caressant la pommette du pouce.

Naomi senti que c'était trop (yes !), elle repoussa la main brusquement :

· Ça suffit ! Arrête !!

· Il se pensait probablement irrésistible et remis sa main, mais ne s'arrêta pas à l'épaule : il empoigna le sein de Naomi sans hésiter :

· En voilà une jolie poitrine...!

· Ça va pas non ! Espèce de pervers ! cria-t-elle en tentant de le gifler. Il eut le réflexe de parer.

Le sac du dragueur tomba et un paquet d'allumettes au logo d'un hôtel proche fît de même. Nicolas saisit la Naomi par le bras. Ce n'était pas avec douceur.

***

· Attendez-un peu !!!

Naomi, Nicolas et les quelques étudiants à la ronde se retournent alors vers moi. J'ai quitté mes vêtements pour ne garder que mon short de kick-boxing. Ma future petite amie murmure un "Nathan" pour que je la tire de là et c'est ce que je vais faire ! Je suis tendu mais ose :

· Je t'interdis de la toucher ! Fuck !! que j'accompagne d'un doigt d'honneur des plus expressif.

J'entends des découragements venus de l'extérieur de ce duel : "Non mais qu'est-ce que tu espères, Sapin ?", "Il va se faire défoncer !", "Arrête, t'es tout maigre, si y a du vent, on va t'perdre !"

· Méfie-toi, p'tit ou dans quelques minutes il faudra qu'on appelle un médecin ! rétorque Nicolas en se recoiffant de sa main libre.

· Ferme-la, et lâche son bras tout de suite !!

La colère monte en moi, je dois être rouge écarlate.

· Oh ! Oh ! Oh ! Hors de question mon pote ! C'est ma meuf. On s'aime tous les deux !

· Parle pour toi !! hurle Naomi.

· C'est pourquoi, quoi que nous fassions, tu n'as rien à dire. Par exemple, si nous décidions de nous embrasser...

· ARRÊTE DE LA FORCER !! crié-je en me précipitant vers eux.

En ce jour, j'inflige mon premier low-kick à un adversaire plus fort que moi, sur le côté du genou. L'impact n'est pas négligeable, la cible plie en partie la jambe. Le public est encore plus surpris que moi.

· Petit con ! Tu vas le regretter ! lance-t-il de colère. Morveux !! en armant son poing.

Je prends le coup en plein sur la joue ce qui me déclenche un saignement de nez pendant que je tombe lourdement par terre. Les élèves se figent et un pense judicieux d'ajouter :

· Ce fut bref...

· Voilà pour le microbe. Bon, Naomi, on y va maintenant ?

· Non !! Lâche mon bras, tu m'fais mal !

Qui serais-je si j'étais hors-jeu dès la première difficulté ? Ce n'est qu'un coup de poing, je n'ai presque pas mal, je crois... Je me relève péniblement, le sang coule d'une de mes narines :

· Attendez. Je t'ai interdit de la toucher je crois.

Je suis debout ! Je n'y crois pas moi-même. Le boxeur a enfin laissé tomber le bras de Naomi (voilà ! Quand on se fâche, il y a des résultats !) pour mieux me frapper... Je n'ai pas le temps de comprendre mais on m'a dit par la suite que j'avais pris deux crochets et un direct dans le nez. Mais ce qui compte, c'est que cette fois, je ne me suis pas écroulé. J'ai trouvé je ne sais où la force de porter le même coup de pied bas, au même endroit. Je reprends un crochet mais je suis comme un robot : je refrappe avec le seul mouvement que je connais, toujours dans le genou. Les spectateurs, tantôt dégoutés, tantôt peinés évoquent le massacre en cours mais aussi ma résistance au coup. Je reprends deux ou trois punchs et entends un ange :

· Non ! Arrêtez ! Je vous en prie ! ARRÊTEZ !!

· Elle me donne la force de faire le contraire et je frappe à nouveau cette jambe. Je ne vois qu'elles (Naomi et la jambe) tant mes yeux me font souffrir. Les chocs cessent. Les gens autour soufflent.

· Vu ta grande ténacité, j'accepte de te laisser t'en aller. Je ne devrais pas m'énerver pour un parasite.

· T'as bientôt fini tes salades, gros connard ?!

Le visage amoché, le nez qui ne s'arrête pas, je me redresse et lève le doigt au ciel :

· Je fais la promesse que tu ne t'approcheras plus de Naomi. C'est toi qui vas t'en aller !

· Tu n'es qu'un gosse qui ne veut pas entendre raison...je vais t'expliquer.

Il s'élance. Il cogne au ventre. J'ai l'impression que Nicolas me casse en deux avec une énorme droite à l'estomac. Mon cerveau ne sait pas quoi faire de cette douleur. J'ai envie de vomir. Piqué à l'égo par mon obstination à rester debout, il s'élance le poing serré et crie :

· Je vais en finir avec toi !!!

Je vais refaire la seule chose que j'ai apprise. Je fais un pas, pivote et lance mon pied au même niveau. Ce que le champion de boxe ne savait pas, c'est que s'appuyer sur un membre qui a subi des coups, ça augmente le risque de chute. Son genou plia comme du carton, le faisant quasiment s'assoir au sol et plaçant sa tête où il y aurait dû y avoir son genou. Le choc est terrible : Je sens mon pied s'écraser contre sa nuque en un bruit sec. J'ai eu mal à la cheville alors je n'imagine pas pour son cas... Les spectateurs sont saisis tandis que le vaincu s'étale, les yeux révulsés. Alors que des camarades tentent de le réanimer, je m'approche de ma voisine de classe :

· Tout va bien Naomi ?

· Euh...oui. Nathan...Euh...mer...merci beaucoup

· Pour ça ? Ça fait partie de mon entrainement...

Je ramasse mes affaires et marche tant que je peux encore. J'ai su par la suite que M. Maurice avait assisté à ce duel. Il m'a juré qu'il est allé dire à Naomi que j'étais un garçon sincère...mais je ne l'ai pas cru ce vieux manipulateur !

***

Suis-je mort ? "Je déteste les faibles". J'ai tellement mal. Est-ce à force de courir ? "Je t'aime Nathan". C'est le paradis ? L'enfer ? J'ai battu mon adversaire je crois ou bien il m'a tué. Peut-être suis-je dans le coma... J'entends des voix familières :

· Ça va mieux ?

· Admirablement on dirait !

· Ça à l'air d'aller effectivement.

Je suis allongé sur le dos, sur un matelas, sous un simple drap. Je sens mes muscles douloureux dès que je tente un geste. Suis-je au dojo ? Les yeux clos, je capte une odeur qui n'est pas celle âcre de la salle de kick-boxing. J'entre-ouvre discrètement un œil : M. Maurice et Tchan-Poua sont debout, près de moi. Je constate que je suis au niveau du sol. Ils regardent plutôt le bas de mon corps. Suis-je plâtré ? Amputé ?! Je ne me souviens plus de la fin du combat. Je n'ose pas regarder...

· Ça me rappelle le bon vieux temps ! s'esclaffe le coach.

Je dois voir mes jambes ! J'ai survécu, c'est déjà pas mal ! Je suis un héros même !

La conclusion tombe : j'ai une érection comme jamais !!

· Où j'suis ?! dis-je en m'asseyant rapidement, les mains à l'entre-jambe.

· Tu es chez moi, Monsieur Sapin, et tu as vaincu un adversaire plus fort que toi !

· C'est votre maison, coach ?

En regardant autour de moi, je remarque immédiatement un cadre avec un jeune homme athlétique au regard déterminé, en tenu de boxeur Muay-thaï, très impressionnant. Mes idées se remettent en place. Ah oui ! J'ai voulu sauver Naomi. Je me suis disputé avec Nicolas, l'as du club de boxe et là, miraculeusement, je l'ai mis K.O. avec un low kick dans la tronche ! et ensuite...plus rien.

· On t'a emmené à l'hôpital où tu es resté en observation 24 heures. On a rassuré tes parents qui ne sont pas venus d'ailleurs. Lève-toi et file en cours !

· Ah oui ! Faut que je me grouille, il y a des évaluations cette semaine ! dis-je en marchant comme un zombie.

· Hé ! me reprend Tchan-Poua, mets peut-être des habits !

· Ah oui merde...

· Tu peux aller dans la pièce à gauche, c'est la salle de bain, me précise M. Maurice.

Alors que je luttais pour enfiler chaque vêtement, j'entends mes compagnons d'entrainement dans le salon :

· Il est assez incroyable, non ? Il a encaissé tous les coups de Malatesta et il a tenu le choc. Il devrait être mort ! Et il pouvait encore donner des coups de pied.

· Je sais. J'ai vu. Il possède une souplesse innée très importante en kick-boxing. Cela lui a permis d'amortir la puissance des coups du boxeur avec tout le corps. Mais c'est l'appartenance à mon club qui a été décisive pour l'issue du combat.

· Comment ça ?

· Dans ce grand lycée, on peut dire qu'il y a trois sortes de sections de sport. Il y a celles avec un super équipement comme la boxe, celle intermédiaire comme le base-ball et les laissé-pour-compte qui ne sont même pas connues. C'est parce qu'il ne nous accordait aucune importance que Nicolas Malatesta a été battu pourtant il est fort mais le fait d'appartenir à un club réputé l'a gonflé d'orgueil.

· En tout cas, ça va rabattre leur caquet à ces fanfarons du club de boxe !

· Bon et bah j'y vais, dis-je en remettant machinalement ma montre et me dirigeant vers ce que pense être la porte d'entrée.

· Tu es encore là ! réponds le coach, tu vas être obligé de mettre la seconde pour tenter d'arriver à l'heure gamin !

Je regarde l'heure à mon poignet. Le verre du cadran forme une étoile blanche. J'ai oublié de retiré ma montre pour le combat...Quel crétin ! J'ouvre la porte en hâte et je me prends une vague de divers objets plus ou moins lourds, empilés là, dans ce placard... Merde !

· C'est la porte à côté Nathan...me précise Tchan-Poua.

· Oui ! Merci ! ... Chié ! Bon...j'ai combien de temps ?

· Vingt minutes au lieu de la demi-heure habituelle d'ici.

Je prends mon courage à deux mains et je prie pour que mes jambes ne me laissent pas tomber !

Je cours... Je cours jusqu'à sentir tous mes muscles brûler, jusqu'à sentir dans mes veines de l'acide sulfurique à la place du sang. Puis, je cours encore.

Mais pourquoi je pense à Fight Club maintenant moi ?!

Putain, j'ai été absent en plus, j'ai pas de mot... Faut passer à la vie scolaire comme au collège ? J'sais pas... Où est la vie scolaire ? Mais...y a une vie scolaire au fait ? Oh je m'en fiche ! Et les autres...Si ça se trouve, ils ont déjà oublié mon exploit genre "t'es qui toi ? Tu ne te serais pas trompé de classe ?" ou alors je me suis fait repérer et ils vont me regarder d'un sale œil...Et ça redeviendra comme avant : "En analysant les déjections animales, on peut trouver leur régime alimentaire. Alors, Nathan, au moins toi, tu n'auras pas de problème pour retenir ce passage !". Non non, ça n'a pas de rapport. Cours Nathan, arrête de réfléchir !

Je franchis l'entrée de l'établissement trois minutes avant la sonnerie ! Ils sont déjà en classe mais le cours n'a pas dû commencer. Je m'épate moi-même ! Faut bien parce que je vais encore être la risée de tout le monde, "le mec le plus nul de la Terre". J'arrive à la porte de la classe. De toute façon, je n'ai pas le choix : il faut que j'y aille. Je pousse délicatement cette porte. La classe s'exclame :

· Ah ! Celui qu'on attendait ! Voilà le gars le plus balèze du pays !! Tu as été merveilleux Nathan ! T'as mis Nicolas au tapis !! Dire qu'on te pensait faible, tu nous as bien eu ! Tu as démoli celui qu'on pensait le plus fort du lycée. Maintenant, c'est toi le numéro un !! Sapin, t'es un vrai héros !

· Un...un héros ?

· Oui ! Tu es un héros ! Tu es allé aider Naomi malgré tes faibles chances de l'emporter !

· Euh, attendez...Moi, le héros du lycée ? Eh bien en fait...Vous en doutiez ?! Ah ah ah !

Ce second degré n'a pas fait mouche... Je suis incompris. Et maladroit...

· Allez à vos places, annonce la professeur en entrant.

Mon cœur se met en branle quand il comprend que je vais revoir Naomi. Va-t-elle être indifférente ? Reconnaissante ? Excitée sexuellement ? Folle amoureuse de moi ?! Je délire encore... Elle a les yeux fermés, la bouche pincée. Elle est magnifique... Je commence :

· Bonjour Naomi...

Elle ouvre les yeux, l'air surpris :

· Euh...bonjour.

Eh bien, c'est pas terrible... Je lui ai pourtant démontré ma force. Elle n'a toujours pas l'air satisfaite...

J'ai besoin de me poser cinq minutes. Je croise les bras sur ma table et y pose ma tête subitement lourde de tout. J'entends le cours de français au loin, de plus en plus loin...

· Nathan ? chuchote une voix d'ange.

Je n'ai pas la force de bouger. Une voix masculine laisse une trace dans mon esprit :

· Notre héros a besoin de repos.

Je m'endors. La voix douce et sensuelle de ma voisine me tire une fois de plus de ma torpeur :

· Nathan ? Tu m'entends ? Pour l'autre jour, tu sais, je n'ai pas eu l'occasion de te remercier.

· Hein ? dis-je en me redressant, toujours lié à mes bras par un épais filet de salive.

HAAAAAAAA ! TU AS LE VISAGE SUPER GONFLE !!!

***

· Ha. Ha. Ha ! C'est à cause des coups. N'oublie pas que tu as subit le terrible punch de Malatesta, se moque M. Maurice en me voyant arriver.

· Mouais...avec la coupe de François civil, ça fait pas top.

· Tu t'es accordé 24 heures de pause mais à partir d'aujourd'hui on passe au "nouveau menu", accompagne-t-il ses mots d'un regard perçant et de quatre doigts immitants des guillemets.

· J'étais dans le coltard !

· Ouais ouais.

· Bon, quel nouveau menu ?

· Le coup de pied de la jambe gauche. Au boulot !

· Mais coach, je suis droitier !

· Ton adversaire n'a pas pu bloquer tes coups car c'est un boxeur mais un coup un simple low-kick de la jambe droite est facile à bloquer. Voici un de mes ancien kimono ouaté, usé et un peu rapiécé. Je l'ai porté pendant trente ans ! Ne fais pas cette tronche ! Je l'ai lavé depuis. à partir de maintenant tu vas enrouler ça autour de ton mollet gauche. ça tiendra lieu de charge.

Il joint le geste à la parole et me fixe son tissu épais avec de l'adhésif pour carton de déménagement marron.

· Oh ça va, ce n'est pas lourd du tout, fais-je en contemplant son œuvre.

· Attends ici.

Il revient avec un arrosoir plein. Il commence à faire couler l'eau sur le genou, remplissant le kimono qui semble assoiffé.

· Frappe le sac de sable avec cette jambe alourdie.

Faire le vide. Même geste, en miroir. j'y vais. C'est lourd ! "Ploach"

· Quand tu auras surmonté ce handicap, tu pourras frapper aussi vite et aussi fort qu'avec ta jambe droite. Là ça fait "Ploach". Ce sera bon quand ça fera "Zam". Alors ta jambe gauche sera au point. Ce sera ta nouvelle arme.

De "Ploach" à "Zam" . à non mais c'est super technique le kick-boxing quand on n'a pas l'habitude...

***

Quel plaisir d'aller en cours. Depuis que j'ai battu Malatesta, tout a changé. Je suis une star pour tout le monde. Je me dirige tranquillement vers le foyer du lycée.

· Salut everybody !

Beaucoup sont rassemblés autour du grand tableau d'affichage. Tout le monde s'agite et m'ignore complètement. "C'est une blague", "Il ne va rien rester de lui !", "Le pauvre...". Je m'approche et retourne deux de mes camarades de classe :

· Qu'est-ce qui se passe de si bonne heure ? C'est le journal du lycée ?

· Quelque chose qui te concerne Nathan...

La une de la gazette du lycée n°3 publie la photo d'un type aux gants de boxe jaunes mettre un crochet à un gars avec mon portrait en petit en bas à droite. Elle titre : "L'affrontement de deux techniques de combat différentes va faire trembler l'établissement !" et sous-titre "Compatissons pour Sapin Nathan". Le boxeur à l'air agressif s'appellerait Ryan Yacek, crâne rasé, petits yeux enflammés...une tête de tueur d'Europe de l'est !

· Tu vas te faire ma-ssa-crer... m'annonce Tchan-Poua.

· Massacrer ?! D'où il sort lui ?!

· Il paraît qu'il te cherche. Il est allé faire les gros bras auprès des capitaines de sections des sports de combats du lycée, je l'ai vu casser une vitrine à main nue ! Il dit être le champion des lycées de Paris.

· Quoi ?!!

· Il est allé insulter Malatesta, comme quoi c'est une fillette de s'être fait battre par toi...

· Mais qu'est-ce que je vais faire !!

· Ces deux-là se réunissent à la salle de boxe anglaise cet après-midi après les cours. Tu sais tout ce que je sais Nathan.

***

J'ai des jumelles x100, j'ai mis un talkie-walkie avec le bouton scotché dans la salle ce midi à la place de déjeuner. Il a des piles neuves. Je crois que personne ne m'a capté. Du haut du long talus (ça me rappelle quelque chose...peu importe), j'ai une vue imprenable sur la baie vitrée en coin de ces vaniteux avec leurs gueules de gros durs à la petite semaine (merde, je me mets à reprendre des expressions du coach...). J'ai mon casque de vélo et un skate s'il y a besoin de se barrer vite. Je penserai à Marty dans ce vieux film. Hi, hi, j'ai pensé à tout ! Comme toujours mon plan est parfait ! Je m'effraie moi-même parfois...! Je m'installe à plat ventre, les coudes plantés dans l'herbe fraîche et j'attends. Voilà mes victimes ! J'allume mon talkie mais pas trop fort car une fenêtre de la salle est ouverte.

· Dans tout le lycée, on parle de ta défaite, commence Ryan Yocek, mais si encore tu étais seul en cause...c'est une bataille entre les sections sportives dont il est question pour l'assemblée générale. Et ces amateurs de ce club de kick-boxing de troisième rang nous ont battus, nous, le club le plus prestigieux, le plus riche, un club de premier ordre. Le club de boxe a été discrédité.

· Rien à foutre de cette putain d'assemblée, arrangez-vous avec le mollusque ! s'énerve Nicolas Malatesta.

· Alors tu te fiches du déshonneur infligé à la section ? Et tu te donnes des airs importants !! Tu n'es qu'un minable. Je vais me charger de massacrer cet avorton !

Ryan fait quelques pas vers une poire de vitesse et frappe si fort dedans qu'elle se décroche de son support métallique. La boule noire va alors finir sa course contre un mur avant de s'immobiliser, dans le silence.

Le son du punch m'a fait sursauter ! Je crois que je me suis un peu pissé dessus...S'il m'avait frappé au lieu de ce punching-ball, il m'aurait...arracher la tête ! Je crois que j'ai oublié de prendre des mouchoirs... Je sens que le jean est humide ! pas agréable. Je me redresse et me mets à quatre pattes pour trouver une solution. J'aperçois Naomi et son amie (j'ai encore oublié son nom...) qui regardent à travers l'autre baie vitrée. Qu'est-ce qu'elle fait là ?! Pour mieux la voir, je mets une main et un genou un peu trop près du bord. Aïe, ça glisse ! Je n'arrive pas à m’arrêter ! J'ai mon bandage imbibé d'eau entourant ma jambe gauche qui ne m'aide pas ! Je vois la branche d'un arbuste planté là. Mes réflexes me sauveront ! J'attrape la branche mais avec la vitesse, elle casse sans même me ralentir ! Je suis parfois sur les fesses, parfois je fais quelques pas avant de tomber à nouveau, je ne contrôle plus rien !

· Meeeeeeerdeeeeeeeux !!

Je dévale la pente en hurlant et, après avoir miraculeusement passé la fenêtre ouverte, j'atterris lamentablement entre les deux boxeurs. Je suis dans la merde ! En plus, Naomi me regarde ! Si je perds la face devant elle, c'est sûr, ma vie à l'école redeviendra misérable... Mon système de survie se met en marche : Ryan n'a pas dû comprendre que j'arrive par la fenêtre mais il remarquera qu'il faut du courage pour venir seul. On se réconcilie en se serrant la main et je lui dis vite au revoir ! Il faut que je l'incite à me serrer la main.

Nicolas me parle le premier :

· Sapin ! Qu'est-ce que tu fous ici bordel ?!

Je l'ignore et me plante à trois mètres du nouveau, bien en face, les bras croisés, le casque de travers et le pantalon mouillé :

· Comme nous allons être tous les deux adversaires, j'étais venu pour te saluer.

· Hummm. Tu ne manques pas de courage, Sapin... dit-il doucement en me tendant la main.

Ça y est, j'ai réussi ! Quel fin psychologue je fais ! Bon, maintenant, je vais vers lui, je suis serre la main et je me casse. J'entame mon mouvement mais je perçois un déséquilibre. Le coach et son entrainement à la con me rappelle à l'ordre : j'ai le kimono à la jambe qui est sacrément lourd et fais contrepoids. Je garde l'équilibre au prix d'une démarche ridicule et hasardeuse sans pour autant me stopper. Le sort qui s'acharne provoque la rencontre entre mon pied droit et son entre-jambe alors qu'il a la main tendue pour moi...

· Espèce de...

Comme possédé, je lève un doigt en l'air et annonce avec une détermination de façade :

· C'est avec cette jambe que je te mettrai K.O. !

· ESPECE DE MERDEUX !!!

Maintenant, je ne peux plus reculer.

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