L'écume et la bouteille

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Je suis un poids mort. Inerte et creux j’échoue, entre les feux d’arides sables et les balafres des vagues. Moi, dans cette bouteille de verre oubliée à la mer, je remue, je pense et prie ; je noie, je saccage et déchire. J’expose contre ses parois des affiches érodées ; entre les « Ne pas déranger » et autres « Boulot boulot », « Fuit » et « Parti descendre encore un peu l’hauteur de ses épaules », un ris vrai se glisse furtif autant qu’éphémère, un instant dont la profondeur dissipe un temps le reste, un regard en couleur. Puis ça repart. Il suffit d’une goutte ; une goutte, c’est rien, mais trop pour qui boit les déluges dans sa petite fiole. C’est s’agiter dans le bain froid dont le glacial s’était amuï, c’est écorcher un peu la plaie qu’on avait laissé là pourrir et dont le mal, d’une éternité lancinante, pouvait paraître enfin modeste. Alors, tout comme je fuis la goutte, prévois la pluie et m’interdit le chant (c’est ainsi la folie, la crainte du « Trop ») ; tout comme je cours le long de mes parois dans l’angoisse effrénée, j’arrache chaque opportunité de m’en délester (quand les « Faut que » n’épient pas trop, ou qu’ils épient sans malveillance). Donnez-moi une étreinte et j’en vole en vous cent, trop peu familier à ces quelques braises dans l’océan vaste pour en voir filer l’ardeur. Mais vous partirez ; alors, pour ne pas souffrir de la chute, il faut en enterrer l’envol, et les frissons n’en seront plus quand il n’y aura, toujours, que ça.

Il y avait une éponge à côté, toute poreuse et bronze ; un vélo rouillé suivait aussi pédalant à l’envers sa nage catascrobatique. On était dans la même barque, je crois, on avançait ensemble dans cette mer des « Pourquoi ? », et leur vue me troublait autant qu’elle semblait nécessaire. Aujourd’hui, je ne les vois plus, mais étaient là hier encore ; j’ai baissé un peu les épaules, « les reverrai-je demain ? », murmurant à l’écume de ne pas trop les blesser. Je déteste l’écume. Elle est partout, elle s’infiltre en tranchant et nous fait regretter les froids flots d’eau salée. Elle pénètre, et on n’y voit plus rien. Elle envahit tout, du goulot serré de ma petite bouteille à son ventre involu, et je suffoque sa présence. Toute sa présence ; c’est long. L’écume ne s’en va jamais vraiment, mais il en vient toujours plus, aussi je crois qu’il y a, quelque part, un grand générateur d’écume, une machine à qui ça sert, ou bien qu’un mauvais diable s’amuse à souffler sur moi l’écume dont il ne veut pas. J’ai songé, une fois, qu’il n’y avait peut-être pas d’écume, ou que je m’en inquiétais trop, mais ma gorge bleue embuée a bien tôt craché cette idée.

Moi, je souhaiterais un répit, que le Temps daigne s’arrêter, rien qu’un instant, que je ressente un souffle m’envahir le cœur. C’est lui, la goutte, une goutte noire atramente ; lui dont la marche incessante pousse et pousse derrière, pousse mon pauvre verre et ses tessons d’humeurs. Je rêve, entre mil étranglements, d’un long sommeil dans un lange doux. Sans rêve. Sans bruit. Sans houle, et même sans souffle. Comme sans vie dedans. Que tout s’arrête, vraiment. Un instant.

Dans l’attente de cette main, lente, loin, opaque et trouble, j’échoue. Moi, poids mort, inerte et creux. Je suis tout entier un appel à l’aide.

Que Rage seule encore anime.

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