3.13 – Une piste difficile à suivre
“ Ils sont partis par là, ils étaient au moins une quinzaine, à cheval.
— Mais vous n’y connaissez vraiment rien, ils sont paris là-bas, n’étaient que deux et à pied.”
Assis devant un bureau qui n’était pas le sien quelques semaines auparavant, Conrad s’auto-congratulait. Quel bon débarra ! Il avait désormais les mains libres et pourrait s’occuper de sa vengeance.
La personne qu’il attendait à cet instant précis, le mettrait, il n’en doutait pas, en route vers son accomplissement.
— Entre donc, Alphonse ! J’ai beaucoup entendu parler de tes talents, un jeune homme de ma connaissance m’en a fait l’éloge.
Le bougre prit une mine étonnée.
— J’en suis flatté Messire. Mais qui donc aurait pu me recommander ?
— Il s’agit d’un de tes anciens employeurs, ou du moins… son fils, tu te souviens de Guérart de Sautdebiche ?
Cette-fois-ci, ce fut une moue équivoque qui se dessina sur les lèvres du maraud.
— Hem, le souvenir que j’en ai est un peu flou, mais oui, j’ai travaillé chez ces gens-là !
— Ah ! Tu peux tout me confier, Alphonse, je suis moi aussi en froid avec ce monsieur, mais il m’a assuré que tu étais un fieffé coquin.
— On exagère mes qualités Messire, je ne possède aucun fief.
— Et tu as de l’esprit, en plus, mais ce n’est pas la qualité que je recherche, mais bien ton sens de la filouterie.
Alphonse se frottait déjà les mains.
— J’ai ouï dire que vous cherchiez quelqu’un pour une affaire particulière et que vous étiez bon payeur, c’est pourquoi je me présente à vous.
Conrad lui présenta un large sourire.
— Je le suis, mais je paye sur résultat. Voici l’affaire. L’un de mes bons amis, Messire de Boussant, reçoit, une fois par mois, une lettre. Mon désir est de connaître l’émetteur de ce message. Deux pièces d’or, voici la récompense.
— L’affaire me semble juteuse ! Mais, il va bien falloir couvrir mes frais. Si je dois pister tous les coursiers, cela risque de prendre du temps. Je pourrais même en louper…
Le nouveau baron de Laval se gratta le menton.
— Le courrier arrive en général vers la fin du mois et, de surcroît, le coursier est invariablement une femme, voilà qui vous facilitera la tâche. Pour l’instant, elle échappe à nos recherches. J’ai donc besoin de quelqu’un capable de sortir des plates-bandes et la pister correctement. Est-ce dans tes cordes ?
Alphonse ne perdait pas le nord. Il frotta plusieurs fois son majeur contre son pouce, signe qu’il souhaitait parler argent.
— Je pourrais être votre homme, mais nous parlions de couvrir certains frais. Si je dois soudoyer du monde, dormir dans des auberges, prendre des repas…
— Je peux t’avancer une partie de ton paiement, mais il sera déduit, comme il se doit, de la récompense.
— Je vous trouve bien mesquin.
Conrad se pinça plusieurs fois le nez.
— Bon, soit, une pièce d’argent, non décomptée du total.
Alphonse afficha un sourire mi-figue mi-raisin.
— Deux me sembleraient plus juste.
Un soupir.
— Eh bien, va pour deux ! Mais j’exige de rapides résultats. Sinon, je peux te renvoyer à Sautdebiche, avec une recommandation… Même si nous sommes en froid, te retrouver les ravirait !
— Alors affaire conclue, Monsieur le baron.
Il tendit la main, l’autre sortit sa bourse et y déversa les deux pièces d’argent.
— Ah ! J’allais oublier. Pourrais-tu reposer cette petite croix en or qui était posée sur mon bureau ?… Merci. Tu peux disposer.
En sortant, Alphonse ne cacha pas sa joie. Une belle affaire, oui !
§
Attablé devant l’âtre de la taverne, Alphonse contemplait la route à son aise, tout en sirotant le contenu d’une carafe de vin. Il lui suffisait d’attendre. Depuis trois jours, il planquait devant l’unique voie qui conduisait à la demeure de Boussant. À l’extérieur, il faisait bien froid en cette fin de novembre et les nuages menaçaient de déverser leur neige.
Tout à coup, un bruit de sabots retentit. Un cavalier approchait. Alphonse ouvrit la porte pour le voir passer. Il en examina attentivement le profil : une femme, un mantel bien chaud sur le dos, des chausses fourrées, mais usées, un cylindre de cuir accroché à la selle de son cheval. Aux côtés de l’animal pendait une arbalète.
La qualité du tissu et l’étui à parchemin indiquaient plutôt une employée qu’une noble, et plus précisément une coursière. Il faudrait se méfier d’elle, si elle savait se servir de son arme, il devrait redoubler de vigilance. Le temps qu’elle termine sa mission, il aurait sellé le cheval dérobé quelques jours plus tôt à un quidam et installé son sac sur celui-ci.
Il faisait froid, le jour était bien avancé. Alphonse resserra son col. La cavalière mettait du temps à redescendre, elle attendait probablement une réponse. Heureusement, il était bien équipé. Quand elle revint, il la laissa passer sans s’approcher, puis il lui emboîta le pas. L’allure à laquelle la coursière lança son cheval était soutenable, mais pas sans peine.
Bientôt, il se mit à neiger, et la nuit tombait. Le poursuivant avait de plus en plus de mal à suivre sa cible, aussi dût-il se rapprocher afin de ne pas la perdre. Elle avait emprunté pendant longtemps la même route, mais elle se mit à changer souvent de direction. Collant comme une sangsue, il restait accroché à ses basques.
La neige s’épaississait petit à petit. La cavalière laissait des marques au sol. Une chance pour Alphonse, car si la messagère disparut de son champ de vision, les traces étaient toujours. Lorsqu’il parvint à un gué, il crut un instant l’avoir perdue. Il observa les berges attentivement. Mais au moment où il distingua la demoiselle perchée dans l’arbre, il reçut le carreau qu’elle avait préparé le frappa en pleine poitrine et il s’abîma dans la rivière.
Ce qu’elle ne vit pas, c’est celui qui suivait le suiveur. Conrad avait regardé toute la scène de loin. Il n’avait plus qu’à attendre que la cavalière reprît son chemin. Quelques heures plus tard, les hauts murs de l’Auberge des Quatre Vents où vivait Pétronille apparurent. Il avait trouvé, du moins lui semblait-il, l’origine des messages, et donc, de la retraite d’Isabelle et de cette intrigante femme qui lui avait coûté deux fiancées.
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