Ecila

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Une maison de poupée.

Une maison de poupée avait remplacé le Jardin de Minuit.

J’étais dans une espèce de pièce circulaire de taille moyenne, sans fenêtre ni porte, aux murs en bois d’acajou ocre. Le mobilier se résumait à une table de verre dont l’unique pied avait été ciselé en forme de rosier aux fleurs transparentes closes. Les tiges épineuses s’enlaçaient et soutenaient le plateau de la table tandis que leurs racines s’enfonçaient littéralement dans le plancher. Et, juste en dessous de la desserte, la maison de poupée.

Aucune trace des enfants. Ni des dragons, à mon grand soulagement.

Je levai la tête. Le plafond devait être un miroir parce que je pouvais voir la pièce vue du dessus. Mais moi, je ne me reflétais nulle part.

D’après la glace la salle était vide.

C’est alors que quelque chose retint mon attention. Sur le reflet de la table était posée une petite bouteille de cristal, fermée d’un bouchon de liège, contenant un liquide d’un rouge sombre avec un petit mot : Bois-moi.

Or, dans la réalité, aucun récipient ne se trouvait sur la surface de verre.

Encore un de ces satanés casses-têtes ou chose théoriquement impossible, songeai-je, agacée.

Je venais de passer un vortex, j'avais vu un jardin de nuit éternelle, fuis un essaim de dragons et vu une fillette se planter la main dans la poitrine pour en sortir une montre, tout cela en un temps records et voilà que je me retrouvais ici.

Je fronçai les sourcils, soudain pensive.

Je ne pouvais pas en juger, vu que le seul rêve dont je me souvienne était celui de la forêt, répété en millier de nuits, mais, dans les rêves en général, les lieux se succédaient sans logique non plus, n'est-ce pas ?

Je grimaçai.

Si je voulais finir ce jeu, je devais "jouer le jeu", et arrêter de vouloir trouver une logi...

Mes pensées se figèrent net.

Un jeu.

Dans un jeu les pions passaient d'une case à l'autre sans véritable logique...

- Bon, la Reine m'a envoyé des dragons. White Rabbit m'a envoyé ici, pour je ne sais quelle raison. Apparement, même s'ils ni elle ni son "frère" ne sont des joueurs, ils peuvent quand même intervenir... Très bien, c'est donc mon tour.

Je me mis à examiner la pièce sous tous les angles et à réfléchir.

La clef de l’énigme résidait dans cette boisson étrange qui n’apparaissait qu’au plafond.

La maisonnette miniature devait également avoir un rôle à jouer.

Une salle apparemment sans issue.

Une table vide avec le reflet d’une bouteille.

Une maison de poupée.

Ne me dîtes pas que…

Réexaminant avec soin la situation, j’en viens hélas à la même conclusion délirante : mon ticket de sortie était la maison et la solution se trouvait dans le liquide grenat, que je devinais être la potion à rapetisser que j'avais entrevu dans mes... souvenirs ? rêves ? Bref.

Problème : la fiole n’était qu’un reflet.

Un puissant sentiment de déjà-vu s’imposa à moi.

Par le passé, j’avais connu pareille prise de tête. C’était une certitude. Une réminiscence de mon dernier voyage à Luna ?

Un reflet. La bouteille était un reflet. Donc, logiquement, un reflet pouvait prendre un reflet. Mais, et c’était là que le bât blesse, moi je n’avais plus de reflet.

Comment faire ?

Les premiers mots de la tirade mystérieuse que Cheshire et White Rabbit, m’avaient récité juste avant de me retrouver prisonnière ici, me revinrent en mémoire : tu es le reflet, le reflet est toi.

- Je suis Alice et j’étais aussi Ecila, mais Ecila est morte… je suis Alice et… j’étais aussi Ecila, je suis Alice et… pourquoi « j’étais » ? Je suis toujours Alice donc… Si Alice est encore vivante… Ecila devait l’être aussi… Un reflet n’existe que parce que l’objet reflété est présent !

Je relevai les yeux, excitée et terrifiée à la fois, criant de toutes mes forces le nom de mon reflet, mon nom inversé. Un long moment s’écoula, mais rien de se produisit.

Bon, ce n'était pas ça... alors quoi ?

- Un reflet ne bouge que parce que l'être reflété bouge... Rhaaa, je n'y comprends rien ! Je suis le reflet, le reflet c'est moi, tu parles d'un charabia ! Et dire qu'ils osent appeler ça un "jeu" ! Un jeu c'est pour fait pour s'amuser, pas pour se creuser les méninges pendant des heures ! On fait semblant, dans un jeu, si on meurt, ce n'est pas grave, on recommence, il n'y a pas d'enjeux ni...

Attends une minute...

J'écarquillai les yeux.

- On fait semblant dans un jeu, répétai-je.

Je relevai la tête et fixai la fiole dans le miroir.

- Je suis le reflet, le reflet c'est moi... Je n'ai pas forcément besoin de me refléter... si je fais semblant de boire de la fiole...

Au point où j'en étais, ça valait le coup d'essayer...

Je fis comme si je saisissai la fiole et la portai à ma bouche. Dans le miroir, la fiole se mit à léviter, pourtant, entre mes doigts, je ne voyais rien et ne sentais que le vide...

Je renversai la tête en arrière, le goulot contre mes lèvres. Aucun changement. Je tiltais. Le bouchon. Je n'avais pas enlevé... enfin, fait semblant d'enlever le bouchon...

Je réparai cet oubli, recommençai à "boire"... et failli m'étrangler quand un liquide doux-amer me coula dans la gorge.

Je toussai pour retrouver mon souffle, cependant je continuai de m'étouffer.

Bientôt, je manquai d'air. Mes jambes cédèrent sous moi, le sol se précipita à ma rencontre.

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