4 - Routine

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12 avril 2024

Trois mois que je vis dans ce trou oublié du reste du monde. Bon, même si ça me déchire de l'avouer, mon père avait raison, je me suis fait des amis, par la force des choses. Internes au sein du même établissement, on ne peut que se rapprocher. Une chose de plus que je reproche à mon père, c'est qu'il ne m'a jamais dit que je serais cloîtré toute la semaine dans ce lycée ! Mes parents m'ont foutu en pension, sans mon accord ! Je les déteste pour m'avoir fait un coup pareil.

L'internat accueille près de quatre-vingt-huit élèves, garçons et filles, répartis sur deux bâtiments dans l’enceinte de l’établissement. Les élèves possèdent des chambres de un, deux ou trois lits. Je partage mon espace de vie avec Houssen, un garçon d'origine pakistanaise. On a le même centre d'intérêts, les jeux vidéos et il vient aussi de la région parisienne.

Nous bénéficions de structures de travail adaptées à notre niveau : étude surveillée, travail en chambre et nous avons accès à des espaces numériques, mais seulement pour les fichiers de cours internes, pas pour aller nous amuser sur les réseaux. Un environnement agréable pour tous ceux qui aiment la discipline, l'organisation, la surveillance et les réglements. Ce qui n'est pas mon cas. Je réfute toute forme de totalitarisme disciplinaire. Mon père me dit que je suis un ado stupide, que l'époque des hippies est révolue et qu´il me faut un bon coup de pied au cul pour réussir et survivre dans la société d'aujourd'hui. Lui et ses idées de boomer... Bref, je suis coincé ici. Les semaines sont bien longues.

Je soupire et observe le temps par la fenêtre en forme d'arche constituée de six carreaux séparés par des encadrures en fer forgé. Du givre se forme dans les coins, le soleil se reflète dans ces cristaux et offre une propagation d'arc-en-ciel sur les cheveux de Charlotte. Coude posé sur mon bureau, sourire niais, je l'admire. Soudain, je reçois une craie sur la tête. Je regarde vers le tableau le vieux professeur à la barbe rousse. Il a le droit de faire ça, sérieux ? Il tape du pied, bras croisés et me demande de répondre à la question. Je n'ai pas écouté, les élèves de la classe se mettent à rire. La honte.

Ces cours sur les formes de restauration, en respectant l’environnement, le développement durable, les règles d’hygiène, de sécurité, les impératifs de gestion, tout en valorisant les dimensions de nutrition, de plaisir et de bien-être, me fatiguent. Des heures interminables à écouter ces règles. Je n'ai pas choisi la bonne filière, je me retrouve avec des notes moyennes en service et en cuisine. Le seul domaine où j'excelle est l'accueil. « Je présente bien » me sort souvent Madame Dubois. Je lui ai tapé dans l'oeil, oui. Mais si je veux travailler dans un hôtel, autant le faire à Paris ! J'aurais préféré étudier dans une école de jeu vidéo, comme Gaming Campus à La Défense ou Isart Digital dans le 11e. Mais ce type d'établissement, pour mon père, ça le dépasse. Je me contente de la voie hôtellerie, la filière qui me semblait la moins pire parmi les différents choix de métiers.

La sonnerie retentit, fin des cours de la semaine. Nous montons dans nos dortoirs pour préparer nos valises pour le week-end. C'est le coeur lourd que je retourne à Crozon. De toute façon, je passerai mon temps à jouer sur mon PC. Mes parents se sont débarrassés de moi, qu'ils ne s'attendent pas à ce que je chante Happy de Pharrell Williams avec eux.

Avec mes nouveaux amis, nous formons un groupe de quatre, et nous vivons tous à Crozon. À mon avis, la directrice nous a volontairement regroupés par secteur. Je n'ai toujours pas accès aux réseaux sociaux ni aux jeux comme Fortnite ou League of Legends, idem pour mes camarades. Cependant, lors d'une nuit d'orages violents qui se sont abattus sur le village le 3 mars, un jeu s'est installé sur notre PC. Une fenêtre s'est ouverte et un titre est apparu. Je ne me suis pas posé de questions, j'avais sous les yeux une occupation qui me convenait enfin dans ce patelin. Sans doute un court-circuit qui avait rebooté un vieux jeu. Le but est de tuer le plus de gobelins dans la forêt de Brocéliande et ça se joue en ligne. Pas très innovant en soit, mais c'est le seul disponible et accessible. Pour un jeu gratuit et en accès restreint sur cette région, les graphismes sont plutôt bien travaillés et le mode de jeu est addictif. Son nom : War P Kor.

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