CHAPITRE 36 - Les bikers
Les deux semaines suivantes, Julio, Diego et Lola se rendaient à la coupe de bois et ramenaient chaque soir le camion de la scierie plein de bois de chauffage. Simon, Anna et Louisa les accompagnaient souvent, ils étaient chargés de faire des fagots de petit bois. Après quinze jours de travail dans la forêt, notre bûcher avait un volume impressionnant, largement de quoi nous chauffer tout l’hiver. Julio et Diego fendaient les bûches avant de les ranger contre le mur du gite.
C’était à ce moment précis qu’ils ont perçu le bruit de moteurs de motos, et il y en avait plusieurs. Diego est vite rentré dans le gite, a décroché le fusil accroché au-dessus de la porte d’entrée et attendait prudent dissimulé derrière une fenêtre. Lola s’est enfermée dans une chambre avec les filles. Simon s’est glissé par une fenêtre de derrière pour aller discrètement avertir Alfred de la présence des motards. Nous devions être prudents en attendant de connaître leurs intentions.
Un groupe d’une dizaine de bikers roulaient lentement sur le chemin qui mène au gite. Julio les attendait devant la porte, la hache toujours à la main. Les motos se sont regroupées devant lui et après avoir ôtés leurs casques, les motards l’ont salué. Ils lui ont exposé qu’ils sillonnaient le pays depuis presque un an. Ils se nourrissaient et dormaient dans les maisons vides. Ils étaient pacifiques, et ne nous voulaient aucun mal. Julio leur a expliqué que nous formions une petite communauté qui tentait de survivre isolée de tout.
Ils ne donnaient pas l’impression d’être agressifs. Leur groupe était composé de huit hommes et deux femmes, tous entre vingt et quarante ans. C’était le plus âgé qui s’exprimait posément.
Julio compris vite que nos forces étaient largement inférieures aux leurs, et qu’il valait mieux faire ami. Il demanda au plus âgé ce qui les amenait dans ce lieu aussi retiré. En fait, en quittant un petit village de la région qu’ils avaient exploré la veille, ils se sont égarés et cherchaient à rejoindre la route principale.
Julio ne leur cacha pas son inquiétude face à leur visite, et précisa qu’il se devait de protéger sa famille. Le chef du groupe le comprenait, et les autres acquiesçaient en hochant la tête. Il affirma une nouvelle fois qu’ils étaient inoffensifs et n’avaient nullement l’intention d’être malveillants à notre égard.
Julio leur demanda quels étaient leurs besoins immédiats et si l’on pouvait les aider. En fait, ils trouvaient quotidiennement leurs nécessaires, et souhaitaient juste être remis sur la bonne route afin de poursuivre leur périple.
C’est à ce moment qu’Alfred, Alberto, Miguel et Michael arrivèrent avec Simon. Ils avaient fait vite pour être présents en si peu de temps. Julio leur résuma la situation et présenta aux bikers les nouveaux arrivés. Les motards les saluèrent et répétèrent leurs intentions pacifiques.
Leur chef de groupe nous raconta qu’ils rencontraient fréquemment ce type accueil craintif à leur égard. Depuis un an qu’ils étaient sur les routes du pays, ils avaient croisé une quinzaine de communauté comme la nôtre.
Julio leur proposa de prendre un café avant de repartir. Alberto et Alfred les remettront sur la route nationale ensuite. Ils étaient d’accord, et allaient apprécier un café avant leur départ.
Tous autour de la table en buvant un café bien chaud, nous écoutions les motards nous narrer leurs aventures. Ils étaient tous issus de régions différentes. Au départ, seul le plus âgé et sa compagne, une des femmes présentes, avaient pris la route après que leur village au nord du pays fut ravagé par le virus. Et c’est au fil de leur circuit qu’ils ont rencontrés d’autres motards qui sont venus grossir leur groupe. Ils avaient l’intention pour l’hiver de s’installer sur la côte au sud du pays. Voilà, nous savions tout.
Julio leur exposa les choix qu’il avait fait pour mettre sa famille à l’abri. La conversation était intéressante, nous étions curieux de savoir ce qui se passait ailleurs. En fait, d’après leurs propos, les communautés qu’ils avaient croisées, s’étaient organisées un peu comme la nôtre.
Ils voulaient partir assez vite car ils avaient prévu faire étape pour la nuit dans une petite ville à cinquante kilomètres d’ici. C’est dans une pétarade de pots d’échappement qu’ils reprirent la route après avoir salués tout le monde. Alfred et Alberto les précédaient avec la fourgonnette.
Nous avons attendu avec impatience le retour de la camionnette. Dès leur arrivée, Alfred et Alberto nous expliquèrent où ils avaient laissés les bikers, et avaient attendu un moment pour les voir au loin s’éloigner sur la route de montagne.
Finalement, cette rencontre s’était bien passée. Une fois de plus la solidarité de notre groupe avait été positive. Simon n’en finissait pas de nous raconter comment il avait couru si vite jusqu’à la ferme, et comment Alfred avait conduit à toute allure pour arriver au gite.
Le reste de la journée et les jours suivants, nous restions sur nos gardes, avec en arrière-pensée le retour des bikers. Ils auraient aussi bien pu venir une première fois en repérage pour être moins bienveillants ensuite.
Finalement, nous n’avons pas revu les motards, ni le lendemain, ni les jours suivants.
Nous savions tous parfaitement que ce genre de visite pouvait tout à fait se reproduire et peut-être avec des inconnus moins pacifiques. Mais nous n’avions pas le choix, et l’on se devait de les accueillir avec bienveillance. Nous gardions tous foi en l’humanité, en espérant ne jamais être confronté à des voyous. Notre communauté savait s’unir aussi bien dans les travaux que dans les moments plus difficiles. Je ne sentais rassurée de nous voir aussi soudés.
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