Un mois s’est écoulé et malgré les derniers évènements, rien ne s’est passé.

Après ces légers dérapages, la vie semble avoir repris son cours.

Ycare se montre très empressé envers moi, comme s’il s’en voulait de m’infliger ce mariage arrangé. Si je ne le connaissais pas, je pourrais presque le trouver attendrissant.

Bien évidemment il m’arrive de croiser Dirk, que ce soit en classe ou dans les couloirs. Dans ces cas-là nos regards se frôlent, mon cœur s’affole et … rien, pas un mot échangé. Juste ses yeux qui déshabillent mon corps… et ça me donne chaud.

Junior, lui, semble s’être calmé. Il passe beaucoup de temps dans les salles d’apprentissage, à assimiler tout ce qu’il y a à savoir sur l’Autre Monde.

Mon cadet et moi n’avons plus jamais abordé le sujet concernant ses activités. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur cette personne sortie de l’Abri. Pourquoi avoir fait ça et de qui peut-il bien s’agir ?

Junior le sait, mais ne me dira rien.

Ne pouvant rien changer à tout ça, je décide de m’octroyer un moment de lecture… mon plaisir.

Je suis assise dos au mur du couloir.

Portant un micro short en jean d’un bleu délavé et un petit haut blanc au décolleté qui aurait rendu jalouse cette chanteuse de l’Autre Monde, Beyoncé, je bouquine mon Stephen King.

J’aime cet auteur, c’est un génie. Il arrive à se servir du quotidien pour influencer nos peurs les plus profondes.

Il me donne un avant-goût de ce qu’a dû être la Terre à son époque.

À l’Abri nous n’avons que quelques-unes de ses œuvres, je souhaiterais pouvoir les lire toutes, mais les autres sont perdues au-dessus de nous, brûlées sans doute.

Et lui, ce Stephen King, de quoi est-il décédé ? Dans un attentat ? Touché par les radiations ? De mort dite naturelle ?

Plongée dans ma lecture, je n’entends pas les pas qui se dirigent vers moi pour finalement s’arrêter à ma hauteur.

- Bonjour.

Je relève la tête. Debout face à moi, un homme grand et mince, presque maigre, me regarde gentiment.

- Bonjour, me répète-t-il.

Je le dévisage, déglutit et murmure.

- Bonjour.

Il se penche vers moi.

- Je vous observe depuis tout à l’heure et vous êtes complètement plongé dans votre roman. Il doit être bien.

Je lève la couverture vers l’inconnu.

- La Tour sombre, lit-il. Ça doit faire un peu peur non ? Stephen King était le maître de l’horreur.

- Non, ça n’est pas effrayant.

- Vraiment ? dit-il simplement, j’aurais cru pourtant.

- Vous devriez le lire », ne puis-je m’empêcher d’ajouter.

J’essaie de rester polie, mais n’ai qu’une envie, que cet homme s’éloigne et en même temps, quelque chose d’indéfinissable m’attire.

Je note ses cheveux mi-longs, glissant en boucles le long de son cou, son nez, un peu trop fin et ses yeux qui sont tout à la fois sombres et bienveillants.

L’inconnu me dit comme après mûre réflexion.

- Non, ce livre ne doit pas faire peur. Vous avez une douceur dans le regard qui raconte que vous ne pouvez aimer que les belles choses.

- Merci, je ne peux m’empêcher de rougir.

Il tend vers moi une main pâle que je serre presque malgré moi.

- Orlando, se présente-t-il.

- Léa.

- Pourquoi lisez-vous chère Léa ?

Je n’ai aucune envie de continuer cette conversation, pourtant je m’entends répondre :

- Pour m’évader.

Orlando hoche la tête.

- Je comprends, il fait un signe en direction des murs, s’échapper de tout ça, de l’Abri.

- Oui.

- Eh bien jolie Léa, je vous souhaite une belle journée pleine de poésie, de choses enchantées, il fait de grands gestes avec ses mains, puis devenant soudain sérieux me murmure, faites attention à vous.

Et il s’éloigne aussi mystérieusement qu’il est apparût.

J’essaye de retenir la panique qui menace chaque fibre de mon corps. Cet homme ne fait pas partie de l’Abri. Est-ce l’individu avec qui a parlé mon frère ? Que fait-il là ?

Et surtout comment n’est-il pas mort s’il vient de l’extérieur ?

Qui ai-je eu en face de moi ?