Chapitre VI. Ruty
Elle se retrouve bientôt au mess. Il y règne une activité de ruche où les gueulements de la « reine » feraient passer le rugissement des moteurs pour un murmure.
-Te voilà toi ! Ça va la vue était belle ? Tu nous as ramené un souvenir ?
La jeune fille ainsi apostrophée rentre instinctivement la tête dans les épaules et lève un bras, prête à prendre une volée. Brem surpris du geste se radoucit.
-Eh Il n’y a pas de ça ici.
Il l’entraîne à part et lui prend fermement le menton dans son énorme main
-Mets-toi ça dans le crâne, je gueule, j’attends de toi que tu bosses que tu apprennes et que tu le fasses correctement mais jamais je ne te mettrais une trempe si tu ne le mérites pas et encore il faudrait vraiment que tu m’aies gonflé. En revanche si tu as vraiment l’intention de passer les dix prochains mois à rien foutre, ne t’inquiètes pas j’ai plein d’autre moyen de te pourrir l’existence.
-Je me suis planté sur ce coup-là ?
-Naaaa! la curiosité n’est pas toujours un vilain défaut. Je m’attendais à ce que tu nous fausse compagnie pour le départ. Toi, de toute façon, si je t’ai bien cadrée, tu vas être du genre à aller mettre ton nez partout dès qu’un truc va te titiller la caboche. On va utiliser ça pour faire de toi un bon petit matelot. Maintenant va filer un coup de main à Ruty, il a l’air d’avoir deux mains gauches.
Elle avise d’un coup d’œil le pauvre Ruty qui, malgré une évidente bonne volonté, se dépêtre tant bien que mal avec le chargement d’un chariot. Elle jette un sourire entendu au bosco et rejoint son camarade.
-Eh Ruty tu t’en sors ?
-Pfff …je dois livrer des plateaux bouffe un peu partout à bord mais chacun de ces fichus matelots à sa petite commande personnelle et je me doute que si je me plante à les servir je vais encore en prendre pour mon grade.
-Tu veux dire que tu dois aller dans tout le vaisseau avec ce chariot ? Fait-elle soudain intéressée
Il lui désigne le chariot.
-Ouais Brem m’a dit que mon ami ici présent avait besoin d’aller faire sa promenade.
-Ça tombe bien il m’a demandé de t’aider.
-Ok mais alors c’est toi qui t’occupes de gérer les commandes et si on passe par la passerelle tu t’occupes de livrer, j’aimerais éviter de croiser le capitaine pour le reste de la journée.
-D’accord, mais on commence par le pont d’envol. Suggère-t-elle avec une idée derrière la tête
-Mais c’est à l’autre bout !
-Ben oui comme ça on se rapprochera d’ici au fur et à mesure qu’on dépose nos plateaux. Ment-elle
-Pas bête, je te suis Tite Nam
En entendant son surnom, elle se plante droit devant son camarade d’une bonne tête et demie plus haut et lui brandissant son poing sous le nez s’exclame sur le ton de la demi-plaisanterie.
-Appel moi encore comme ça et celui-là tu ne le trouveras pas si « tite » que ça.
-Ok ok, fait-il en feignant la retraite, je pousse, tu ouvres les portes.
Quelques minutes plus tard ils atteignent le passage surplombant le pont d’envol où sont alignés les chasseurs et navettes.
-Regarde ! Tu crois qu’on pourrait aller les regarder de plus près ?
-Certainement pas sans se faire souffler dans les bronches. C’est hors limite pour nous.
-Tout à l’heure, j’ai vu Iliam prendre les commandes de l’Hermine, j’espère qu’on nous apprendra nous aussi.
-On est là pour ça. Bouges ! On y est, l’atelier est droit devant.
-T’es arrivé ici comment ?
-Avec Agus.
-Vous êtes du fond comme moi ?
-En quelque sorte on était du sous-niveau huit, ça ne fait pas grande différence, surtout quand les activités en familles se résument à chercher la prochaine dose pour mamie. La seule distinction avec le fond c’est qu’on y a encore des flics et ça nous à poser des problèmes avec Agus. On s’est fait balancer pour avoir choppé de la peinture.
-De la peinture ?
-Ça sonne crétin, je sais. Ag et moi on avait une planque qu’on voulait moins crado que nos foyers respectifs. On ne voulait pas être comme ces porcs. Alors on a forcé un atelier au niveau six, seulement on l’a fait avec un mec qui y bossait. Quand son patron s’est plaint, il a paniqué et nous a donné. Si encore ça avait été de la dope on aurait pu négocier avec les cognes.
-Et ?
-On est descendue au fond ou Brem nous a ramassés. Tiens, nous y voilà.
Manipulant son bracelet sans plus y prêter attention, la jeune fille ouvre la porte de l’atelier où règne un calme qui était l’opposé de ce à quoi elle s’attendait.
-Y’a quelqu’un ! Demande-t-elle en mettant sa main en portevoix.
-Ouais par ici ! Lui répond-on aussitôt.
En s’orientant dans la direction de la réponse ils découvrent deux hommes en combinaison de travail penchés sur une console et discutant technique.
-Tu vois si on réduit la ceinture du champ on augmente la vitesse d’écoulement du plasma et du même coup la vitesse de dégagement des ions.
-Ouais mais si tu augmentes aussi le champ, tu risques la surcharge des éléments et de griller les spires.
-C’est pourquoi je voudrais étendre le circuit de refroidissement, si on descend la température des éléments on diminue la résistance des supra conducteurs.
-Ok ok, on ne devrait pas avoir trop de boulot jusqu’aux limites, tu peux essayer d’installer ton idée sur l’un des moteurs de rechange, mais pas question de l’endommager, tu installes, on teste, ensuite on démonte et si ton idée est bonne on en parle au capitaine.
-Ça marche chef.
La fin de la discussion amène les deux hommes à reporter leur attention sur les jeunes gens.
-Qu’est-ce qu’on veut les gamins ?
-On vient apporter les plateaux repas.
-Une bonne chose, rien de tel qu’un bon casse dalle.
-Vous êtes bien le chef Matéo ?
-En personne et on dit « Mat » ou « chef Mat » pour faire cour, et vous mademoiselle ?
-Namuelle, mais on dit Nam pour faire cour.
-Ok Nam qu’est-ce que tu as pour moi ?
-Sand…sanouich…non…sandwouch…
-Sandwich ! C’est un vieux truc de terrien. Vas-y envois, ça ne peut être que pour moi, je me demande ou ce vieux Brem peux bien trouver du Jambon, s’il s’agit bien de jambon.
-Et vous êtes le premier mécanicien Roluald ?
-Ouaip !
-Un autre san wouich avec steak et sauce irli ?
-Ouaip.
-C’est aussi un vieux truc de terrien ?
-Plutôt une mise à jour.
-C’est quoi terrien ?
Mat répond évasif.
-Un vieux truc aussi, ouais, un vieux truc qu’on ferait mieux d’oublier.
Nam remarque l’embarras du vieil homme et comprend qu’il n’est pas nécessaire d’insister.
-C’est quoi un supra conducteur ? demande-t-elle avec sérieux tout en changeant de sujet.
La question prend de court les deux adultes.
-Vous parliez de refroidir les supra conducteurs quand on est arrivées.
-Tu ne sais pas ce qu’est un sandwich que tu demandes comment fonctionne le moteur d’un chasseur, brocarde Mat. Il s’agit de matériaux dont la résistance électrique est quasiment nulle.
-Ça sert à quoi ?
-Ben… à créer des champs magnétiques très puissants, des aimants en autre. Si tu veux tout savoir Rol voudrait pouvoir commander le resserrement des champs de confinement du plasma pour augmenter sa vitesse d’écoulement.
A la parole, il joint le geste de son index et du pouce formant un anneau qu’il referme doucement.
-Il espère ainsi donner au pilote un meilleur temps de réponse de sa machine…
-…sans avoir à utiliser plus de carburant. Finis Namuelle.
Les deux hommes se regardent surpris.
-Ben oui, continue-t-elle sur le ton de l’évidence, c’est comme avec un jet d’eau, pour nettoyer faut pas toujours foutre plein de flotte, y’a qu’à presser le bout du tuyau pour que l’eau sorte plus fort et décolle la crasse.
-Mais oui ! C’est ça, c’est exactement ça. Ah ! En voilà une qui sait se servir de ce qu’elle a entre les deux oreilles. S’exclame Mat amusé.
-J’aimerais bien en savoir plus.
-Il faut voir ça avec ton bosco ma petite. Mais comme je disais à Rol, on va être tranquille jusqu’aux limites, passe me voir quand t’es libre et je t’expliquerais quelques trucs.
-Génial merci. Faut qu’on y aille.
-Ok à bientôt Nam.
Elle attrape Ruty qui lui attrape son chariot. Le garçon se penche vers elle.
-Je n’ai rien compris de ce que tu as dit.
-C’est rien je t’expliquerais. On va où maintenant ?
-Salle d’alerte moins dix.
-Chouette on va voir les pilotes !
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