Chapitre VII. Quand ça cague dans les tuyères
Sans volonté de lui infliger la douleur, le crayon lui frappe une fois de plus le haut du crâne d’un coup sec. C’est la cinquième fois que l’humiliant signal lui indique qu’elle est une fois de plus dans le faux. La gamine relève la tête de sa feuille comme pour mieux prendre du recul et cherche avec un mélange de frustration et d’agacement où pouvait bien se trouver cette satanée erreur.
-Quoi encore ? Geint-elle
-Qu’est-ce que je n’ai pas arrêté de te répéter de tout l’après-midi ? Lui adresse Brem
-Mais y sont bons mes signes !
-Non. Prends l’image d’un miroir, quand tu te regardes dedans ta gauche est à droite et ta droite est à gauche, d’accord ? Avec le signe égal c’est pareil, c’est un miroir, quand tu passes le chiffre de l’autre côté il s’inverse.
-Si seulement il pouvait suivre le lapin au fond du trou.
-La littérature c’était ce matin. Allé ! recommence-moi celle-là, il ne t’en reste plus qu’une.
Elle souffle.
-Et dans la bonne humeur s’il te plaît.
Namuelle buttait sur les maths, Elle n’aime pas ces chiffres sans personnalité. Elle préfère de loin la physique ou les nombres ont au moins assez d’amour propre pour porter un nom. Qu’ils s’appellent Volt, Tesla ou Ampère, elle sait au moins à qui elle s’adresse. Mais là ! Elle croit avoir affaire à des rats sans nom comme elle venus du fond. Qu’est-ce qu’ils ont ces crétins à passer d’un côté à l’autre ou à se mettre dessus où dessous, cela en est presque obscène.
Elle repère enfin le faquin qui l’empêche d’aller rejoindre les autres pour la sortie du bon. De la pointe du crayon elle l’envoie proprement de l’autre côté du miroir et obtient l’inversion clef tant nécessaire à son évasion des griffes de son geôlier professeur.
-Je crois que c’est bon, soupire-t-elle
Brem tortionnaire prend son temps. Saisis la feuille, la contemple en fronçant les sourcils et ponctue sa lecture de moues négatives. Finalement il repose la feuille devant sa jeune élève impatiente dont l’esprit est déjà parti depuis longtemps dans les coursives, le reste du corps n’en pouvant plus d’aller le rejoindre.
-Ok c’est bon tu peux y aller.
Il n’en faut pas plus pour qu’un courant d’air balaye la pièce et laisse une chaise vide.
Elle traverse les coursives comme s’il s’agissait d’un exercice d’alerte. À l’extrémité du corridor elle attrape la hampe d’une échelle et se laisse glisser pour atteindre l’entrepont. Bien que la zone soit exiguë, sa petite taille lui permet de se faufiler habilement entre les gaines techniques. Enfin à l’autre bout se trouve le local du pointage optique, autrement dit un puissant télescope d’aide à la navigation, relié à la console de Faye Lin trois ponts plus haut. La pièce dont l’immense hublot donne une vue imprenable sur l’avant du navire avait été rebaptisée « le nid » et servait de club secret aux mousses. Enfin secret était un bien grand mot dans la mesure où la plupart des membres de l’équipage, anciens mousses, connaissaient son existence. On dit même que le fondateur en serait Dami. Néanmoins un accord tacite fixait les limites de ce petit sanctuaire des Compagnons en devenir que les titulaires respectaient.
C’est sur une magnifique glissade contrôlée que Namuelle fait son entrée dans la pièce ou plusieurs de ses camarades sont déjà le nez collé à la vitre.
-On y est ? J’ai raté ?
-Nan « Tite » Nam, pose-toi, trente minutes temps approximatif, lui lance Dow
-eh ! le « le Frimeur », Tu ne devais pas être à l’ingénierie toi ?
-Ce n’est pas mon quart, « Tite ».
-Ne commencez pas vous deux ! Supplie Fran
Namuelle s’installe près d’Agus sur un sofa improvisé avec des banquettes sans doute récupérées sur une navette. En signe de paix Dow lui tend une tasse de chocolat chaud qu’il transporte dans une thermos. Mirdin silencieux comme à son habitude arrive à son tour et s’assoit sur le sol le dos contre la paroi perpendiculaire au hublot. Les autres oublient vite sa présence pour reprendre le sujet du jour
-Comment on va savoir que c’est le moment ?
Dow monte le son d’un interphone bricolé.
-En direct Live de la passerelle ! Avec les compliments du chef Pico et sans doute officieusement du capitaine.
-Temps estimé avant arrivée vingt-huit minutes. Gen le champ est stable ? Fait la voix du chef par le haut-parleur.
-Cool on peut tout entendre.
-Non, seulement Ray.
-Safah que donne la détection longue distance ?
-Ilam et Princesse sont là-haut ?
-Oui, Ils ont les meilleurs sièges.
-Tu aurais pu prendre le quart d’Ilam. Remarque Fran
-Je préfère être avec toi.
Il lui glisse un bécot dans le cou qu’elle chasse timidement embarrassée, puis se ravise pour se laisser glisser contre son ami qui l’enlace tendrement.
Namuelle réalise soudain.
-Eh ! mais où est Ruty ?
-Il n’est pas de quart ?
-Non Brem nous a mis en binôme. Il devrait être ici !
-Il s’est perdu se serait bien de ses coups.
Dow connecte son comlink au réseau.
-Eh Ruty tu vas louper le spectacle ou est-ce que tu es ?
Aucune réponse ne parvient. Namuelle a sont tours appel.
-Eh Rut espèce de plat de nouille ramène tes fesses.
Rien
-Mais où est-ce qu’il est bon sang ?
Agus s’agite.
-Je n’aime pas ça, il m’a dit qu’il passait par le mess prendre de la bouffe avant de venir ici.
-Vingt-cinq minutes avant sortie du couloir hyper.
-Il n’a tout de même pas enlevé son bracelet ce bougre d`andouille.
-Attends j’appelle Brem. - Bosco, c’est Dow, Vous n’avez pas vu Ruty ?
-Il n’est pas avec vous ? Une minute je le localise…Eh ! Mais qu’est-ce qu’il fout là ? Il est dans l’une des chambres des stabilisateurs de saut avant…Mon dieu ! Son métabolisme est en chute. Dow !
Le garçon franchissait déjà la porte suivit de Fran, Nam et Agus.
-J’y vais, mais il faut m’ouvrir la section je n’ai pas les codes.
-C’est fait, j’envoie les secours, fait vite !
-Les Stabs se trouvent à la première jonction avant d’arriver ici, une partie de la zone est en zéro G, Mais comment à-t-il fait pour entrer ?
Rapidement ils arrivent devant la lourde porte hermétiquement scellée.
-On arrive ! hurle-t-il.
-Je t’ouvre, fais attention à toi et empêche Agus et Namuelle de te suivre. Fran te file un coup de main.
-Compris.
Mais la porte commence-t-elle à pivoter qu’Agus se faufile dans l’interstice à la recherche de son ami.
-Bordel Agus !
Il pénètre à son tour suivit de Fran et bien sûr de Namuelle qui ne va pas rester derrière. Mais il ne fait pas deux pas qu’il comprend tout de suite que quelque chose ne va pas. Enfreignant la règle de bord il ouvre une connexion directe avec la timonerie.
-Ne sortez pas d’hyper, les stabos ne sont pas déployés. Mon dieu ! Ne quitter pas du couloir hyper spatial.
-Bordel c’est quoi ces conneries, demande la voix du capitaine Pico,
-C’est Dow ! Je suis dans la chambre des stabs avant, ils ne sont pas déployés ! Ne quitter pas l’hyper !
-Ici Fran, je confirme, les stabilisateurs de sortie de saut ne sont pas déployés !
Sur la passerelle malgré la confirmation du déploiement par son ingénieur de vol, le capitaine Houarn joue la précaution.
-Gen, lance un diagnostic complet. Dami, annule la séquence de fin de saut et maintient nous dans cette direction. Faye, qu’est-ce que l’on a comme marge de sécurité pour une sortie sans obstacle.
-Encore trente minutes à ce rythme et on se retrouve avec une bonne douzaine d’étoiles avant de rencontrer une nébuleuse
-Oh merde ! S’exclame Gen. Je n’ai pas de puissance dans la section cinq et le circuit hydraulique de secours est out ! Le gosse à raison les Stabs ne sont pas sorties. Mais bordel, mes voyants sont au vert ici !
-Dami c’est le moment de réviser tes procédures d’urgence de sortie de saut.
-C’est-à-dire avoir rempli mon testament et prier un dieu si j’en ai un ?
-Je vois que tu les connais par cœur. – Chef avec moi, on va essayer de les sortir en manuelle.
-En manuelle ? Mais ce n’est pas prévu pour être sortie en manuelle ces trucs !
-Tu crois que je ne le sais pas. – Faye prenez le commandement et essayez de prévenir les autres navires qu’on a un petit problème.
Les deux hommes se mettent en route
-Dow !
-PRESENT !
-Calmes toi et dis-moi ce que tu vois.
-Les stabilisateurs sont dans leurs logements et les servocommandes ont l’air grillées. Attendez ! Je vois … on dirait…putain on dirait une bombe…y’a une putain de bombe ! Oh mon dieu Ruty !
-Dow ? Dow ! Bordel. Sécurité une équipe de déminage en secteur cinq ! Maintenant !
Dans la salle des stabilisateurs le garçon vient de comprendre pourquoi son jeune compagnon ne répond pas à leurs appels. En suivant des yeux les câbles qui sortent du paquet d’explosif fixé sur la coque, il repère un émetteur laser dont le faisceau traverse un regard vitré normalement utilisé pour contrôler visuellement le bon déploiement hors de son logement du stabilisateur. Le rayon rouge cible la trappe de ce logement qui ouvre sur l’extérieur. La moindre variation de distance peut provoquer l’explosion. Mais l’ouverture ne s’était pas opérée, car le pauvre Ruty s’était jeté sur le vérin commandant la trappe, la bloquant de son corps avant qu’elle ne s’ouvre plus avant. Dow, le cœur battant, enjambe la balustrade et se jette dans le vide, mais au lieu de tomber il file tout droit en zéro gravité vers le mousse au visage tuméfié.
-Ruty ! Réponds-moi !
Il prend son pouls.
-Il est vivant, mais inconscient. Hurle-t-il à Fran. Passerelle ! Il faut fermer la porte du stab gauche !
-Négatif ! Commande Houarn au moment où il pénètre à son tour dans la chambre.
Avec l’habitude des hommes du grand sombre, Il bondit au-dessus de la barrière d’un élan qui le porte jusqu’au mécanisme.
-Il est coincé, implore Dow
-Le capteur marche dans les deux sens si on la referme elle saute, il faut découper le vérin si on ne peut pas la désamorcer.
-Mais si on découpe le vérin, on ne pourra plus sortir le stabilisateur.
-Voilà un nouveau défi pour notre ami Dami. Sortir de saut sur un seul stabo est préférable à pas de stabo du tout. Ray !
-Ici !
-Ça donne quoi ?
-Le tableau de commande a été shunté, voilà pourquoi on n’a pas d’alarme là-haut. Ensuite je ne sais pas trop ce qui s’est passé, quelqu’un a massacré les contrôles. Les trappes auraient dû continuer à s’ouvrir et les stabs à se déployer de telle manière qu’on ne puisse pas pu les replier. Je crois que le gosse en se foutant là-dedans a déclenché les sécurités qui bloquent les portes si quelque chose coince.
-Un coup de bol, il aurait été coupé en deux sinon.
-Maintenant le stab droit n’est pas piégé et les générateurs de champs d’annulation placés sur le stab sont intactes et fonctionnent. On peut le sortir en pompant du jus depuis les circuits du pointeur optique, la petite Fran s’en occupe avec les deux autres gosses. Pour celui-là, si on ne peut pas neutraliser la bombe, il va me falloir un peu de temps pour découper ce vérin, bien au-delà de notre marge de sécurité.
-Et avec un trou dans la coque ! Décidément ma confiance en Dami est en train d’augmenter de minutes en minutes.
-Même un as comme lui ne peut…
-Je ne sacrifie pas un membre de mon équipage surtout si celui-ci nous a sauvé la vie et qu’il me reste des options pour pouvoir lui dire merci. Commence à découper !
-Ok.
-Que foutent les démineurs ?
Comme pour répondre à sa question, un groupe revêtu d’épaisses combinaisons enjambait la barrière en direction de la bombe. Il ne faut pas longtemps à ces experts pour venir avec une mauvaise nouvelle.
-Cette saloperie est chaude, on a au moins deux ou trois niveaux de capteur, choc, variation de température, luminosité.
-une minuterie ?
-Aucune idée il faut démonter pour savoir. On a commencé
-Passerelle ! On va avoir un délai.
-De quel genre?
-Du genre mortel. Bonne nouvelle pour Dami il aura un stabilisateur, mauvaise nouvelle il va sans doute il y avoir une explosion, alors foutez-moi tout le monde en alerte. Faye si l’Hermine sans sort sans moi, le capitaine Mael prend le commandement de la flotte.
-Capitaine, peut-être devriez-vous évacuer la chambre.
Il saisit la main de Ruty.
-Non Faye, je ne peux pas.
Il s’adresse à Dow occupé à découper le vérin.
-Toi en revanche tu dégages.
-Négatif
-C’est un ordre !
-D’accord, vous me mettrez à pied plus tard.
Houarn connaît ce genre de détermination.
-Fran ! Où en est cette jonction ?
-Terminée, le stab commence à sortir.
-Très bien maintenant tu fiches le camp et tu emmènes les autres avec toi.
-Reçu. Mais je ne sais pas où est Nam.
-Bon sang Namuelle, pas le moment de nous pourrir l’existence.
-Je n’en ai pas l’intention, lance une petite voix derrière lui.
Il se retourne pour découvrir la jeune fille flottant vers lui en traînant des combinaisons empruntées aux démineurs
-Ça peut servir je crois.
-Pas faux dit-il en en attrapant une et en passant le reste aux autres.
-Maintenant tu fiches le camp et tu fermes l’écoutille derrière toi.
-Mais si elle est fermée comment sortirez-vous ?
-Ne discute pas toi aussi !
Elle prend appuis sur ses pieds et bondit vers le balcon pour retrouver la gravité artificielle.
-OK Chef ça donne quoi ?
-Encore dix minutes.
-Vous ne les avez pas, lance un démineur l’air sombre
-Une minuterie ?
-Il vous reste moins de huit minutes.
-Rien à faire pour la stopper ou la ralentir ?
Il expire avant de répondre à contre cœur.
-Non ce n’est pas un bricolage ce truc, ça sort d’usine, top du top.
-Alors allez-vous planquer.
-Je suis désolé capitaine.
Il fait signe à son groupe de retourner sur le balcon, mais il hésite à partir, il s’empare finalement d’une torche et se joint à la besogne.
Il y a deux zones temporelles, celle de la bombe, où les secondes accélèrent et celle du vérin ou au contraire elles ralentissent. Le métal rechigne à se laisser découper et ne ménage pas ses efforts pour compliquer la tâche des quatre hommes. Alors qu’il ne reste que quelques millimètres, Ray lâche sa torche et s’arc-boute contre la paroi pour forcer la pièce d’acier à l’aide de ses pieds. Celle-ci ne semble pas vouloir bouger, mais brusquement cède dans un tintement de cloche.
-Attrapez le gosse on dégage !
D’un bloc ils se propulsent vers le sas en entraînant Ruty.
-Combien de temps ?
-Deux minutes.
-On ne va pas avoir le temps d’ouvrir l’écoutille. S’inquiète Dow
Pour le faire mentir celle-ci se met à coulisser pour laisser apparaître Namuelle pesant de tout son poids sur le levier d’ouverture manuelle.
-Apparemment tu n’es pas le seul à désobéir aux ordres.
Suivant une trajectoire quasi balistique ils volent à travers l’encadrement sans poser pied sur le balcon et finissent dans la coursive sur une roulade.
-Tout le monde dégage, maintenant ! Ray, embarque Ruty ! Ordonne Houarn.
Il attrape Namuelle qui tente de refermer la porte pour rudement l’envoyer voler à la suite des autres.
-DAMI ! C’EST LE MOMENT DE FRIMER !
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