Chapitre 2
Un matin d’automne, Gvär emmena son troupeau pâturer dans les sous-bois sur le versant ombragé de la colline proche du village. Les chèvres raffolaient des feuilles de ces arbustes et le fermier appréciait ses moments de calme et de solitude où il avait tout le temps pour réfléchir au sens de la vie ou au bon plat que Marta lui aurait préparé pour le souper.
La journée était bien avancée. Le fermier trouva des châtaignes, un menu idéal pour constituer son repas, il n’avait rien mangé depuis le matin. Assis sur un tronc d’arbre, il les dégusta et tout en mâchouillant, il compta machinalement le nombre de têtes de son troupeau comme il avait l’habitude de le faire. Son front se plissa. Il compta à nouveau. Il manquait une chèvre.
D’un bond il se redressa et se mit à explorer les environs, puis ne voyant pas d’animal égaré à l’écart du troupeau, il grimpa au sommet d’un arbre. Heureusement la vue était dégagée sur les environs.
Il vit la bête à quelques centaines de mètres, en train de brouter au milieu d’un bosquet d’arbres.
Toutes les chèvres avaient leur propre caractère, celle-ci s’était déjà distinguée par le passé par son attitude rebelle.
Quand l’animal vit son maître approcher, elle s’enfuit ! Gvär n’avait pas envie de jouer. Il courut et faillit la rattraper, mais d’un bond de côté, elle lui échappa. La course poursuite dans les sous-bois dura un bon moment, jusqu’à ce que la chèvre épuisée s’arrêtât. Le fermier approcha doucement cette fois-ci en chuchotant à voix basse des paroles d’apaisement. Au moment de mettre la main dessus, elle eut encore une vive réaction et sauta derrière un bosquet. Le fermier contourna les arbustes en contrebas où elle avait sauté, et … rien. La chèvre avait disparu.
En examina le sol de plus près, il vit un trou. Il écarta branchages et fougères qui le recouvraient et découvrit que la cavité était suffisamment large pour que la chèvre fût tombée dedans.
La nuit n’allait pas tarder à tomber, il était trop dangereux d’entreprendre quoi que ce soit. Il devait rejoindre son troupeau et le ramener au village. Il aviserait le lendemain.
À l’aube, il s’équipa d’une longue corde et d’une torche, et il rejoignit l’endroit où était tombée sa bête. Il était hors de question de l’abandonner, il fallait récupérer la dépouille, pour la viande. Gvär vérifia que personne ne l’avait suivi, il voulait d’abord récupérer son animal avant d’avertir la communauté de l’incident. Seule Marta était au courant. En réalité, Gvär avait totalement confiance en deux personnes dans le Clan, sa femme Marta et son meilleur ami Thoron.
Arrivé sur les lieux du drame, il attacha la longe à un arbre solide, et après avoir vérifié sa résistance en tirant fort dessus, il entreprit une descente en rappel dans le trou.
Une forte odeur d’humus se dégageait. Il était dans le noir. Une sensation assez désagréable l’étreignait. Et si une bête sauvage habitait dans ce trou ? Il commençait à avoir peur, suspendu à cette corde.
Ses pieds ne tardèrent pas à rencontrer des cailloux, la paroi était raide à l’intérieur mais pas totalement verticale. Enfin il put lâcher la corde, il était arrivé sur un replat. L’obscurité immédiate fut dissipée quand il alluma sa torche. Il était au fond d’un aven.
Il vit la dépouille de sa chèvre au sol, morte probablement sur le coup. D’un geste large, il éclaira le sol tout autour, c’était une grotte assez grande, il y avait sans doute de l’autre côté au fond un autre trou ou un couloir qui s’enfonçait, il le devinait plus qu’il ne le voyait.
À la lumière vacillante, Gvär fut intrigué, car il vit qu’il y avait au milieu de la grotte des restes d’un ancien feu de camp. Quelques morceaux de bois noircis et charbonneux se trouvaient là.
Quand il balaya d’un geste large la torche à hauteur d’homme, il fut stupéfait. Sur une paroi lisse, des dizaines d’empreintes de mains étaient peintes au mur !
Il approcha son visage pour regarder avec attention les détails de ces peintures. Quand la lumière dansait dans la pénombre, les mains bougeaient. Elles faisaient signe à Gvär, il était émerveillé. Qui avait dessiné ces mains ? Était-ce un seul homme ou un groupe ? Quelle en était la signification ? Des dizaines de questions se bousculaient dans sa tête.
Il décida de garder pour lui le secret de sa découverte, peut-être en parlerait-il à Marta et à Thoron. En revanche, le révéler au conseil du village serait une source d’ennui, il le pressentait. Il attacha la dépouille de la chèvre sur son dos, éteignit la torche et grimpa à la corde.
Une fois dehors, il replaça instinctivement des branches à l’entrée de l’aven pour préserver les lieux.
Cette année-là, l’hiver fut long, de nombreuses bêtes n’avaient pas survécu et le stock de récoltes de l’été était épuisé. Le clan avait faim.
La perspective d’un printemps doux remplissait leur cœur d’espérance. Le grand projet de Dolmen et de Tumulus décidé à l’automne les aidait à tenir. Ils aimaient leur terre et il était hors de question de l’abandonner. Et puis pour aller où ? Avec femmes et enfants, il était impossible d’envisager un voyage dans ce froid mordant.
Puis, l’hiver se fit plus rude.
Une nuit, un orage de grêle éclata. Il fut si violent que des habitations furent endommagées.
La tempête dura cinq jours. Enfermés dans leurs demeures, les gens du village chantaient pour se réconforter et conjurer le sort. Le soir, les hommes s’enivraient de vin pour se donner du courage et tenir dans la tourmente. Ils étaient terrifiés. Ils suppliaient les Dieux de les épargner de leur courroux.
Puis tout redevint calme.
Le lendemain, la mort dans l’âme, quelques hommes décidèrent de partir en quête d’un environnement plus propice, une grotte ouverte à flanc de montagne serait idéale ou bien une grande clairière protégée du vent glacial … Ils ne trouvèrent rien, exceptés des feux de camp abandonnés sur des contreforts lointains.
Plusieurs jours passèrent.
Le Clan ne les vit jamais revenir.
Enfin le printemps arriva. Les corps des villageois étaient secs et marqués par la disette. Il fallait se remettre au travail pour nourrir la tribu.
Pendant que Marta donnait le sein au petit dernier, l’aîné de la fratrie jouait avec sa petite sœur. Une femme de la hutte d’à côté leur apporta du pain et un grand bol de lentilles. Les enfants se jetèrent dessus avec gourmandise, affamés qu’ils étaient. Plus loin, un homme polissait des silex et affûtait un tranchant de hache. Une autre femme était occupée à percer de petits os de mouton, elle avait dans l’idée de les relier par un fil pour en faire un collier qu’elle échangerait contre un sac de fèves.
La vie reprenait son cours.
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