Après les déclarations inquiétantes de Sheamon et d’Amalia, la conversation fut interrompue par une servante annonçant que l’intendant Dast requérait la présence de la directrice du Primera.

• Sûrement un problème avec le ravitaillement, commenta Amalia en remerciant celle-ci d’un hochement de tête. J’ai toujours des problèmes avec mon approvisionnement en vin français, et Satan sait combien les démons en raffolent ! Nous reparlerons au dîner. Triss, Sheamon, vous vous joindrez bien à moi, n’est-ce pas ?
• Je… je ne peux manger d’aliments, intervint Triss, gênée par son côté vampire.
• Oh ne t’inquiète pas, j’ai tout prévu. C’est mon devoir d’hôte de veiller au confort de mes invités, répondit Amalia en souriant sans s’expliquer davantage.

Elle se dirigea vers la porte d’un pas nonchalant, puis se tourna une dernière fois vers Triss :

• Au fait, je préfère t’avertir avant que Sheamon oublie de le faire. Seuls Mérissa, Noémy et Dast sont au courant de vos véritables identités, même si les filles ignorent tout de ton… ascendance maternel. Je leur fais entièrement confiance, donc n’hésite pas à leur demander quoi que ce soit. Mais lorsque vous êtes en public, tu seras la nièce de Nikolaï Florenta, qui parcourt le monde avec sa nièce orpheline pour tenter de trouver un remède miracle au vampirisme dont tu es affectée. Faites-en sorte de jouer le jeu. Je ne suis pas rentrée dans les détails, donc les autres employés ignorent encore ton prénom… Tu veux probablement garder le tien j’imagine. Ça ne devrait pas poser de problèmes puisque contrairement à Sheamon tu n’es pas recherchée.
• Il vaudrait mieux éviter, intervint Sheamon. Triss n’est pas un nom courant, et même si les autres mercenaires ignorent son existence, le Harakaï et les serviteurs de Forlwey connaissent son nom. S’ils apprennent qu’une certaine Triss vit ici, cela pourrait attirer leur attention.
• Hum… dans ce cas, nous allons devoir te trouver un…
• Lucy, déclara Triss, en se souvenant de l’identité qu’elle avait utilisée pour tromper Meira. Je m’appellerai Lucy.

Amalia esquissa un sourire amusé.

• Eh bien dans ce cas, c’est réglé. Ne soyez pas en retard ce soir. Et, Sheamon ? Je t’ai offert un costume impeccable il y a un an il me semble. J’aimerais avoir le plaisir de te voir au moins une fois dedans…
• Impossible. Tu sais bien que je hais ces trucs-là. Je ne peux pas bouger à mon aise avec ça sur le dos, et…

Il s’interrompit quand Amalia le fusilla du regard.

• Hum... déglutit-il péniblement. Mais je pense qu’en de rares occasions, c’est sans doute préférable.
• Merci. J’en ai assez de te voir toujours habillé comme un vagabond.

Sheamon s’était retenu de répliquer et Triss n’avait pu s’empêcher de sourire à son tour. Voir son puissant protecteur éviter de contrarier la directrice du Primera était assez amusant. Elle commençait à cerner le lien particulier qui unissait ces deux-là.

• Nous nous verrons au diner dans ce cas, avait-il lâché en emboitant le pas à Amalia qui sortait. Viens, gamine. Maintenant que tu es réveillée, on a des choses à faire tous les deux.

Ryku sauta du canapé avec agilité puis rejoignit son maître. Triss prit son épée et suivit le mouvement, intriguée par les propos de Sheamon.

Ils s’étaient séparés de la directrice du Primera à l’étage des chambres et étaient allés directement dans celle de Triss. Cette dernière se doutait que Sheamon souhaitait lui parler en privé. Et cela tombait bien, car elle-même avait des centaines de questions à lui poser.

Alors qu’ils allaient s’arrêter devant la porte, Sheamon plongea la main dans une poche et en ressortit l’Horologium de Triss.

• Je te l’avais repris quand tu étais inconsciente, pour éviter qu’un employé un peu trop curieux ne l’aperçoive. Cache-le bien.
• Je ne vois pas en quoi ce serait problématique, répondit Triss en attachant l’objet à son poignet. Elle ressemble à une simple mon…

Sheamon lui jeta un bref regard indéchiffrable. Elle se rappela alors que l’Horologium coûtait très cher et qu’il était réglé sur Sheamon. En le lui donnant, le renégat se mettait en danger.

• Désolée… je ferai attention, rectifia Triss en le remerciant d’un signe de tête.

Sans attendre, elle ouvrit la porte de sa chambre, Sheamon et Ryku sur ses talons. Triss remarqua que le bureau était désormais chargé de vêtements en tout genre, de longues robes de soirée très belles, colorées et…

Féminines.

« Jamais de la vie » se jura Triss. Elle ne pourrait pas le supporter. Sheamon se permit d’en rajouter après avoir remarqué l’amoncellement de vêtements.

• Amalia ne t’a pas épargnée non plus… constata-t-il avec un brin de fatalisme.
• Je ne vais pas porter ça, le prévint Triss.
• Je m’en doutais, c’est pourquoi j’ai réussi à te dénicher quelques affaires qui devraient te plaire. Je sais que tu aurais préféré les choisir toi-même, mais c’est un cas de force majeure et j’ai essayé de ne pas trop te décevoir.

Sur ses mots, il sortit de sa poche un minuscule sac de toile qu’il posa sur le canapé. Sheamon claqua des doigts et celui-ci grandit alors jusqu’à retrouver sa taille normale. D’un signe de tête, il l’invita à en vérifier le contenu.

Triss fouilla sans plus attendre et sentit son cœur bondir de joie. Elle ne mourrait pas d’embarras ce soir-là ! Un pantalon, des gants et un justaucorps de cuir noir, des bottes couleur argent, une ceinture avec une épaisse boucle de fer et une tunique argentée pour compléter sa tenue. Sombre, discrète et parfaitement adaptée à tout type de situation, cette tenue était parfaite !

• J’ai demandé à un cordonnier de modifier légèrement la ceinture, commenta Sheamon. Essaie-la et donne-moi ton épée.

Triss obéit sans discuter, curieuse. Elle tendit sa rapière à Sheamon et enfila la ceinture. Dès qu’il prit l’arme, elle s’illumina avant de se transformer en pièce écarlate dans la main de Sheamon.

• Sur la ceinture près de ta hanche gauche, il y a un petit anneau de fer, lui expliqua-t-il en lui rendant la pièce. Tu peux clipser la pièce à l’intérieur, elle ne bougera pas. En cas de danger, il te suffira d’un doigt pour l’enlever.

La jeune fille inséra la pièce et entendit aussitôt un déclic satisfaisant. Elle l’enleva ensuite avec facilité, transforma aussitôt son arme et se mit en garde.

• Parfait ! déclara Triss avec satisfaction tout en rangeant de nouveau son épée. Avec ça, je serai capable de prendre n’importe quel ennemi par surprise. Et surtout, je ne serai pas obligée de porter une robe…
• Content que tu aimes. Toutefois, tu devras faire plaisir à notre hôte ce soir et mettre au moins une robe de soirée, la prévint Sheamon.

Triss tressaillit de terreur et lui jeta un regard noir.

• C’est injuste ! protesta-t-elle.
• Au contraire ! répliqua ce dernier avec un sourire railleur. Il s’agit de faire plaisir à Amalia. Ce serait bien mal récompenser sa générosité en agissant autrement.

La jeune fille serra les dents en jetant un regard assassin vers la pile de robes neuves. Elle n’était pas à la pointe de la mode, mais Triss savait reconnaître ce qui valait cher d’un coup d’œil. Ces vêtements avaient dû coûter une fortune. Amalia avait dépensé sans compter pour lui offrir une garde-robe. Sheamon avait raison, elle devait au moins porter l’un de ses somptueux cadeaux.

Elle poussa un long soupir contrarié mais finit par s’asseoir sur son lit. Sheamon l’inspecta alors d’un œil critique.

• Tu as l’air d’être en meilleure forme. On dirait que ton corps a bien récupéré depuis Nice. Ne force pas trop quand même pour le moment.
• Arrêtez avec ça, grommela Triss. Je suis totalement guérie et vous le savez très bien. Maintenant, je peux aussi vous aider à trouver un moyen de quitter Lutécia.
• Ce n’est même pas la peine d’y songer, refusa Sheamon d’un ton catégorique. Vu ce qu’il s’est passé la dernière fois que je t’ai laissée seule, tu ne quitteras pas le Primera.

Triss eut l’impression de recevoir une douche froide. Très vite cependant, elle réagit avec virulence :

• Pourquoi ?! Je croyais que…
• Gamine, j’ai commis une erreur à Nice. Je n’aurais jamais dû te laisser, livrée à toi-même, tout en sachant qui étaient nos poursuivants. J’ai sous-estimé les risques et plus grave encore, j’ai compromis ta sécurité. C’est une erreur que je ne ferai pas deux fois. Tu es à l’abri ici. Amalia possède ses propres gardes qui gèrent la protection du casino et elle jouit d’une grande influence à Lutécia. Personne n’osera enquêter chez elle.
• Je me moque de tout ça ! rétorqua Triss en se levant d’un bond. Je pensais que vous aviez compris que je n’étais pas… que je pouvais me défendre ! J’ai tenu tête à une capitaine de l’Eglise, j’ai combattu des anges ! Et vous me dites malgré tout que je suis faible ?! J’ai prouvé que j’étais capable de…
• C’est vrai, tu as combattu une capitaine de l’Eglise et tu en as réchappé, ce qui est déjà un exploit en soi, la coupa Sheamon avec fermeté. Je ne remets pas en cause ta valeur. J’ai eu l’occasion de voir ton potentiel, et je sais qu’avec le temps, tu deviendras extrêmement puissante.

Il fixa son regard acéré sur Triss, et celle-ci ne put s’empêcher de tressaillir devant la pression qu’il exerçait.

• Mais laisse-moi te dire une chose, gamine. Si cette Meira Lynn avait voulu te tuer, tu n’aurais pas tenu plus de deux minutes contre elle. Même avec Ryku à tes côtés, vous n’auriez jamais réussi à lui faire le moindre mal. Elle retenait ses coups. Elle ne voulait pas se battre.

Triss ouvrit la bouche pour répliquer, mais les paroles de Sheamon faisaient écho à ses propres impressions pendant ce combat. Meira Lynn n’avait jamais eu l’intention de la tuer. Elle ne s’était résignée à blesser la jeune Nocturii que pour mettre un terme à ce combat.

• Je sais ce que tu vaux, continua Sheamon, imperturbable. Mais tu dois comprendre que c’est pour ton bien. Rien qu’ici à Lutécia… il y a des centaines d’individus qui seraient ravie de te mettre la main dessus. Et ils en ont les moyens, crois-moi. Tu n’es pas encore prête à les affronter. Alors, évite de jouer les rebelles et laisse-moi prendre les risques. C’est mon rôle.
• Je ne suis pas une lâche ! s’écria la jeune fille.
• Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais tu sais, aller au-devant du danger rien que pour prouver sa bravoure, ce n’est pas du courage. C’est de la stupidité. Pense à ton oncle, qui a tout mis en œuvre pour que tu t’échappes du Quartier Umbrella. Ce n’est certainement pas pour que tu tombes dans le premier piège qu’on te tendra.

A nouveau, la jeune fille voulut s’insurger. Sheamon ne pouvait ignorer sa valeur ! Après tout, elle avait…

Mais, à bien y réfléchir, qu’avait-elle fait au juste ?

Echapper à Meira n’était pas son exploit car en réalité elle n’avait même pas été capable de se libérer toute seule. Triss ne devait sa liberté qu’à l’intervention inopinée de Sheamon. Elle n’avait pas non plus réussi à aider Sheamon lors de son combat contre les shinobis en Italie. Et surtout, elle n’avait rien pu faire pour protéger le Quartier Umbrella de sa destruction.

Au final, Triss n’avait rien fait. A part gêner Sheamon à cause de ses caprices égoïstes, causer des ennuis à son oncle, aux habitants de Nice et de Florence, la jeune fille… n’avait été d’aucune aide. Elle, pourtant si fière de savoir se battre et de posséder des pouvoirs magiques, s’était heurtée à la dure réalité du monde. C’était pourquoi elle devait devenir plus forte. Pour pouvoir se défendre elle-même et venger son oncle.

• Alors apprenez-moi à me battre, demanda Triss. Apprenez-moi à utiliser mes pouvoirs et à me défendre ! Je vous prouverai que j’en suis capable !
• Je n’ai pas le temps pour ça, objecta Sheamon. Et puis c’est inutile. Ton oncle m’a engagé pour que je te protège. Tant que tu es avec moi ou ici, tu ne risques rien.

Triss ne se laissa pas démonter pour si peu.

• Vous oubliez deux choses, répondit-t-elle plus posément. Premièrement, vous ne pourrez pas toujours être avec moi. Deuxièmement, nous sommes poursuivis par une armée d’ennemis. Nous risquons d’être séparés comme à Nice et si je ne peux pas me défendre correctement seule contre mes adversaires… Non seulement je serai capturée, mais vous aurez échouez dans votre contrat. Vous ne toucherez donc pas votre récompense.

Sheamon parut réagir à sa dernière remarque. Cependant, il resta confiné dans son silence obstiné. Triss décida alors d’enfoncer le clou…

• En revanche, si j’apprenais à utiliser correctement mes pouvoirs, Je pourrais me rendre bien plus utile ! s’empressa-t-elle d’ajouter. Je pourrais vous soutenir et vous aider à trouver une solution pour quitter Lutécia ! Et je ne serais surtout plus aussi facile à capturer…
• Tout ce que tu veux, c’est pouvoir n’en faire qu’à ta tête hein ? répliqua le renégat en lui lançant un regard perçant.
• Je veux juste avoir un peu plus de liberté, rétorqua Triss. Je... je n’ai jamais été vraiment libre de mes mouvements au Quartier Umbrella. Des gardes du corps étaient collés à mes basques en permanence. Et j’en ai assez de laisser les autres se battre à ma place. Que ce soit mon oncle ou vous, c’est toujours la même chose. Je dois rester sagement en sécurité en attendant que les autres gèrent la situation. C’est la première fois que je quitte Florence et j’aimerais juste… voir tout ce que je peux voir. Je ne suis pas assez stupide pour imaginer que je serai traitée autrement à Varenn. Ils me placeront sûrement dans une magnifique prison dorée et ne me laisseront jamais voir le monde sous prétexte de me protéger des Nocturii. Je… je sais que c’est impossible pour moi de survivre seule et que je dois compter sur vous pour me protéger. Mais… je veux vous aider ! Je veux vous prouver que je ne suis pas un fardeau, que vous pouvez compter sur moi !

Triss se tut et fixa l’exorciste en reprenant son souffle. Ce dernier poussa un soupir contrarié. Puis, il parut soudain avoir une idée. Sheamon se leva et se dirigea vers la porte.

• Change-toi, gamine, je t’attends dehors, lui dit-il avant de sortir.

Triss hocha vivement la tête en reprenant espoir. Peut-être avait-il décidé de prendre sa requête au sérieux ! Sheamon l’emmènerait probablement avec lui la prochaine fois qu’il quitterait le Primera et elle pourrait enfin voir Lutécia de plus près. A cette pensée, le cœur de Triss bondit dans sa poitrine.

Il ne lui fallut que trois minutes pour s’habiller avec les affaires achetées par l’exorciste à son intention. En jetant un rapide coup d’œil sur son lit, Triss s’aperçut que Ryku s’était étendu de tout son long sur le matelas, et la dévisageait d’un œil à moitié fermé. Le message était clair, le félin n’avait pas la moindre intention de bouger.

• Garde la chambre, Ryku ! lui lança Triss avant de quitter la pièce à son tour.

En refermant la porte, elle vit que Sheamon l’attendait, adossé à l’entrée voisine de la sienne.

• Vous….
• Il vaudrait mieux que tu me tutoies, puisque nous sommes censés être oncle et nièce. Les employés risquent de trouver ça étrange, sinon.
• D’accord. Vo… Tu n’as pas peur que quelqu’un ouvre derrière toi ?

Rien à faire, c’était étrange. Tutoyer Sheamon lui faisait froid dans le dos. Cela lui faisait prendre conscience à quel point son destin était lié à celui de ce quasi inconnu. D’un autre côté, il n’en était plus vraiment un. Triss avait appris beaucoup de choses à son sujet et ils étaient après tout dans le même bateau. Et elle avait déjà compris que Sheamon était probablement la seule personne au monde sur qui elle pouvait réellement compter pour l’instant. Il voulait l’Aurora et, pour cela, il ne la trahirait pas.

• C’est ma chambre, gamine, répondit-il en repassant son étrange collier en forme de point d’interrogation, ce qui eut pour effet de changer à nouveau son apparence.

Devant l’air surpris de Triss, il haussa les épaules et se mit à marcher d’un pas rapide :

• Tu ne croyais tout de même pas que je logerais à l’autre bout de la ville, ironisa-t-il. C’est moi qui ai demandé à Amalia deux chambres attenantes pour pouvoir te protéger plus facilement.

-Je croyais que cet endroit était sûr, répondit Triss en haussant les sourcils avec un sourire moqueur. Vous… tu avais dit qu’Amalia avait sa garde personnelle qui protégeait le casino.

• C’est vrai, contre des mercenaires normaux. Mais contre des shinobis entraînés depuis l’enfance au combat, c’est une autre histoire. Et je ne parle même pas du nosferatu qui les dirige. La prudence n’est jamais un défaut. D’ailleurs il faudra que je pense à te déguiser un peu après. Les mercenaires n’auront pas ton signalement, mais les shinobis te reconnaitront. Et même s’il est peu probable qu’ils puissent venir jusqu’ici, il vaut mieux ne pas prendre de risques.

Ils arrivèrent bientôt à l’aquarium central. Triss monta sur une plateforme avec un brin d’excitation à l’idée de voir à quoi ressemblait le Primera.

• Niveau un, commanda Sheamon avant de se tourner vers Triss. Il va falloir traverser une partie du casino pour aller au niveau inférieur. Reste près de moi ; à cette heure-là, les gens viennent en masse au Primera pour oublier leurs soucis et passer une soirée mémorable.

Triss fronça les sourcils. Mérissa n’avait pas mentionné l’existence d’un niveau inférieur… Sheamon parut s’apercevoir de son interrogation alors que la membrane bleutée recouvrait la plateforme qui commençait à descendre lentement.

• Le niveau inférieur est un peu l’envers du décor, lui expliqua-t-il. C’est là que se trouvent les cuisines et la réserve. Cette partie-là n’est accessible que par des escaliers de service. Mais il y a une partie encore plus profonde dont le passage est dissimulé. Amalia l’a faite aménager il y a quelques années. C’est une salle dotée de puissants enchantements la rendant absolument indétectable.

Triss regarda les étages défiler derrière la bulle magique entourant la plateforme. La musique jazz entendue tout à l’heure semblait devenir de plus en plus forte. Soudain, après avoir traversé un nouvel étage, l’ascenseur se retrouva au-dessus d’un hall titanesque rempli de monde. Il était délimité par de monumentales colonnes de marbre, tandis qu’une fontaine impressionnante trônait devant l’entrée. Au fur et à mesure de la descente, Triss put voir entre les colonnes, ce qui lui permit de s’apercevoir que le hall, bien qu’immense, n’était en fait qu’une petite partie du rez-de-chaussée.

La musique se mêlait aux cris de joie et aux conversations. Sur une scène surélevée, un orchestre de nirgaëns se donnait à fond pour distraire les clients. Des servantes dans la même tenue que Mérissa et Noémy passaient entre les tables, essayant de se frayer un chemin dans la foule, un plateau chargé de boissons dans chaque main.

De part et d’autre de cette immense salle richement décorée, Triss remarqua des dizaines de tables de poker, des rangées entières de machines à sous et d’autres jeux qu’elle n’avait jamais vus. L’un d’eux en particulier attira son attention. Il s’agissait d’une reproduction d’un champ de course miniature où s’affrontaient des chars de reptiles noirs crachant de temps à autre des flammes par leurs naseaux. La maquette était entourée de clients surexcités encourageant chacun son équipe préférée. Ce jeu semblait avoir un franc succès.

• Tu arrives à voir les courses de salamandres d’ici ? S’étonna Sheamon qui avait suivi son regard.

Triss hocha la tête. Sa vision de vampire s’avérait très utile dans certaines situations.

• Les rouges sont en tête, répondit-elle en observant attentivement la course. Ah, mais les blancs sont sur leurs talons…

L’ascenseur continua lentement sa descente, jusqu’à s’arrêter à hauteur du sol. Sheamon quitta la plateforme, suivi de près par Triss. Aussitôt, cinq personnes empruntèrent à leur tour l’élévateur magique.

Sheamon se fraya un chemin parmi la foule, et Triss n’eut d’autre choix que de rester dans son sillage pour ne pas le perdre. Personne ne paraissait faire attention à elle. La jeune fille dut jouer des coudes pour avancer. Soudain, un couple croisa son regard. Ils arboraient une expression dégoûtée, voire scandalisée, murmurant entre eux.

• Que fait ce monstre ici ? chuchota la femme à son voisin.
• Peut-être que le casino organise un nouveau spectacle…

« Je vous entends » songea Triss en serrant les poings.

Sheamon aussi, apparemment. Il s’arrêta brusquement et leur lança un regard incisif. Les deux clients tressaillirent quand ils rencontrèrent ses yeux. Toute couleur quitta brusquement leur visage. Triss elle-même se sentait mal à l’aise. Sheamon… semblait dégager une sorte de pression effrayante, comme un tigre prêt à bondir sur sa proie, à l’affut de la moindre occasion. L’homme déglutit avant de prendre la femme par le bras pour l’entraîner loin de l’ange déchu. Celui-ci se remit en marche, forçant Triss à accélérer son allure pour le rattraper.

• C’était quoi ce truc à l’instant ? l’interrogea-t-elle, encore un peu frissonnante.
• Rien qu’une intimidation spirituelle. J’ai utilisé la force de mon esprit pour leur faire comprendre qu’ils devaient m’éviter. C’est ce qu’on appelle le Souffle, le pouvoir d’influencer l’esprit des autres.

Triss se rappela alors que Sheamon avait déjà eu recours à ce pouvoir lorsqu’il était venu à son secours à Nice. Il avait neutralisé les anges qui l’entouraient en un éclair. Simplement avec la force de son esprit…

L’exorciste passa sous l’une des arcades et se dirigea vers un couloir un peu à l’écart, avec une pancarte « accès réservé au personnel » accrochée au-dessus. Toutes les portes paraissaient se ressembler, mais Sheamon s’arrêta sans hésitation devant la cinquième située sur sa gauche. Il sortit une clé de sa poche et déverrouilla la serrure, l’ouvrit puis s’effaça pour laisser passer Triss avant de refermer derrière lui.

La jeune fille profita que Sheamon verrouillait à nouveau la porte pour observer cette fameuse salle secrète…

A suivre...