Chapitre 13 : Jonas Perceval, Partie 2

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Sheamon fixa la main tendue et secoua la tête.

  • Si tu veux essayer de me piéger, ne le fais pas avec une intention aussi évidente, le prévint-il en sortant de la cellule.

Jonas haussa les sourcils surpris.

  • Je ne vois pas de…
  • Tu peux voir l’avenir des gens par contact direct, n’est-ce pas ?

Le sourire de Jonas s’élargit.

  • Tu as l’esprit vif, mon ami, le complimenta-t-il en se redressant. Désolé, c’est une vieille habitude de joueur, histoire d’avoir un coup d’avance sur mes adversaires. J’étais curieux de savoir quel avenir attendait le fameux Sheamon Wave.
  • N’essaie pas non plus de lire mon futur si tu veux que notre partenariat dure…

Sur cette mise en garde, l’exorciste se dirigea rapidement vers la sortie de la prison. Il entendait derrière lui le pas de Jonas qui se pressait à sa suite, heureux de retrouver sa liberté. Le chemin du retour s’avéra tranquille puisqu’ils ne rencontrèrent aucun garde sur le chemin, à part ceux que Sheamon avait déjà neutralisés. Avant de quitter la prison, ils passèrent par le dépôt attenant à la grande salle circulaire.

Une fois entrée dans la remise, Jonas parcourut les grandes étagères remplies de bacs numérotés, contenant les affaires des prisonniers. Il trouva rapidement le sien. Le devin se débarrassa de son uniforme de détenu pour enfiler des habits émeraude, une sacoche en cuir et une lourde ceinture équipée d’une gaine dans laquelle reposait un couteau de chasse. Sa tenue se complétait d’un large chapeau de cowboy.

  • Ce n’est pas parce que je suis un démon que je suis obligé de porter du rouge ! se justifia-t-il devant le regard réprobateur de Sheamon. Et j’aime le vert. C’est un crime ?
  • Niveau discrétion, j’ai connu mieux… répliqua ce dernier.

Enfin, Jonas sorti du bac contenant ses affaires une grande carabine noire et argentée avec une lunette de visée. Jonas se tourna vers Sheamon, un sourire satisfait sur les lèvres.

  • Jolie, non ? lui dit-il en passant la bandoulière de l’arme à son épaule avec délicatesse. C’est un fusil que j’ai fait forger en fer skaarien. Assez léger pour son poids, plutôt rapide et d’une précision digne d’un…
  • Génial, grommela Sheamon en se détournant. Dépêchons-nous, nous n’avons plus de temps à perdre.
  • Attend deux secondes, l’arrêta Jonas en levant la main.
  • Quoi encore ? s’agaça Sheamon en se retournant.
  • Je ne vais pas commettre deux fois la même erreur. Je veux juste vérifier comment va se passer notre petite évasion.

Jonas s’était immobilisé, le regard vide. Sheamon sentit que le démon concentrait ses pouvoirs magiques en lui. Soudain, ses yeux s’illuminèrent d’un éclat azuré, avant de reprendre graduellement leur couleur d’origine. Jonas tressaillit et parut revenir à lui.

  • On a un problème mon ami, l’informa le devin avec une ombre d’inquiétude sur le visage. C’est même plus grave que ce que je redoutais. Si on continue ainsi, ton plan va échouer.

Sheamon haussa les sourcils.

  • Comment ça ? l’interrogea-t-il.
  • J’ai eu plusieurs visions du futur, dans une heure ou deux, je dirais… Et cela se passait mal. Soit on se fait capturer par la milice au pied des portes, soit on se fait désintégrer en tentant de passer la barrière.
  • C’est impossible ! rétorqua Sheamon. Nous n’aurions pas réussi à obtenir la Marque ?
  • Si, on l’avait tous les trois, j’ai vu le maire nous l’apposer dans son bureau… Au passage, c’est qui cette gamine avec nous ?
  • Aucune importance. Si nous avions la Marque, alors pourquoi…
  • Le sceau n’a pas marché, le coupa Jonas. Apparemment, le fait que le maire appose la Marque de sa main ne la rend pas valide pour autant. Il semble qu’il y ait une condition supplémentaire dont on ne sache rien… Mais Thénardier lui est forcément au courant, c’est sans doute pour cela qu’il n’a opposé pratiquement aucune résistance.

Sheamon réfléchissait à toute vitesse. Si la Marque ne fonctionnait pas, cela signifiait que toute leur opération tombait à l’eau. Or Sheamon et Triss devaient absolument quitter Lutécia ce soir-là. Ils ne parviendraient pas à se cacher éternellement chez Amalia et finiraient par être démasqués au Primera ou en tentant de fuir Paris pour rejoindre les Enfers autrement.

  • Il y a une solution, intervint Jonas. Je possède une relique très puissante qui peut briser les enchantements. Dorkos t’en a parlé, non ? C’est une poignée d’épée brisée. Elle pourrait nous permettre de passer à travers la Barrière, et…

Vif comme l’éclair, Sheamon attrapa soudain la veste du démon et le plaqua contre les étagères. Jonas en eut le souffle coupé, mais ne tenta pas de se débattre. Il ne semblait même pas surpris.

  • C’est étrange… gronda le renégat avec fureur en accentuant sa pression. La Marque ne marcherait pas et pas et le seul moyen de sortir d’ici serait de récupérer ta relique ? Tu ne penses pas que tout s’emboite mystérieusement bien dans ton sens ? Je me demande si je peux vraiment te faire confiance…

Il desserra légèrement sa prise pour permettre à Jonas de répliquer.

  • Ecoute, déclara ce dernier d’une voix essoufflée. Je sais que mes propos ont vraiment l’air suspects… mais il faut que tu aies confiance en moi. On n’a pas le choix. Le sceau ne marchera pas, c’est ce que j’ai vu. Tu dois savoir que Thénardier est presque aussi fourbe que Dorkos. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait prévu un dispositif annulant l’enchantement au cas où quelqu’un le forcerait à lui apposer la Marque. C’est tout à fait le genre de choses dont il serait capable...
  • J’ai vu la Barrière magique des Portes de l’Enfer, rétorqua Sheamon. C’est l’un des plus puissants et complexes enchantements que j’ai pu observer. Il faudrait une puissance titanesque pour parvenir à la détruire, donc je doute que ton bout de ferraille rouillée puisse…
  • Ce n’est pas n’importe quelle épée ! Cette arme a appartenu à Perceval, l’un des Chevaliers de la Table Ronde. Lui et ses frères ont combattu les Olympiens juste avant la chute de l’empire romain… Elle s’est brisée ensuite peu de temps après sa mort, personne ne sait pourquoi. Mais elle lui a été donnée par Dieu lui-même ! Tu imagines la magie qu’elle renferme ? Son pouvoir reste certainement assez puissant pour nous ouvrir une brèche dans la Barrière... du moins suffisament longtemps pour qu’on puisse la traverser.

Jonas le regarda droit dans les yeux.

  • Et avant que tu me le demandes, je ne porte pas le nom de Perceval juste pour me la jouer, reprit-il avec un air de défi. C’est mon ancêtre. Son sang coule dans mes veines, c’est pourquoi je suis le seul ici capable d’utiliser la relique.

La poigne de Sheamon se desserra d’étonnement. Il connaissait bien entendu les exploits de ce groupe d’humains bénis par Dieu qui, avec l’aide des exorcistes, avaient provoqué la chute des Olympiens, qui étaient en réalité des humains possédés par de puissants esprits spectraux rêvant d’étendre leur domination sur toute la civilisation humaine.

  • Toi, un démon, le descendant d’un chevalier de la table ronde ? répéta-t-il cependant avec incrédulité.
  • Oui je sais, personne n’y croit… grommela Jonas. Mais c’est bel et bien le cas ! Et que tu le veuilles ou non, mon ami, l’épée est la seule solution pour nous sortir de là. C’est pour ça que Dorkos la veut. Comme un crétin, je me suis vanté dans une taverne de posséder cette relique après avoir enfilé une dizaine de choppes. Ne me demandes pas comment, mais cette information est remontée jusqu’à lui. Bien sûr, il veut s’en emparer parce qu’elle a une valeur inestimable. Ce petit fouineur de gobelin ne pense qu’à remplir sa bourse avec les richesses d’autrui.

Jonas saisit le poignet de l’exorciste avec force ; même s’il n’était pas assez puissant pour se libérer, le regard déterminé du devin surprit Sheamon.

  • Je ne peux pas mourir ici ! déclara-il. Je dois survivre, coûte que coûte. Et si on se fait prendre, c’est la mort qui m’attend. Crois-moi, j’ai vu notre futur, en tout cas celui qui risque de se réaliser si tu ne me fait pas confiance. Nous étions cernés près des portes, et autour de nous c’était le chaos. Il n’y a pas que la milice qui nous poursuivait… Il y en avait d’autres… des sortes de ninjas noirs, dont la cagoule ne laissait entrevoir que leurs yeux rouges…

Sheamon tressaillit. Des shinobis… Forlwey et ses hommes avaient fini par retrouver leur trace et surgiraient ce soir pour les capturer. Comment ? Où ? Quand ? Le renégat serra les poings sous la tension. Voilà qui venait sérieusement compliquer la situation… Toutefois cette information permettait d’éclaircir une chose : Jonas, même s’il essayait de lui mentir, ne pouvait pas avoir inventé ce détail sur un coup de tête. Il disait la vérité.

L’exorciste relâcha Jonas qui respira, soulagé. Avant de s’inquiéter des shinobis, ils devaient sortir d’ici.

  • Tu sais où se trouve ta relique ? lui demanda Sheamon en regardant autour de lui. Les affaires des prisonniers sont toutes entreposées là, pourtant. On a peut-être mal fouillé.

Le devin secoua la tête.

  • Elle n’y est pas… marmonna-t-il avec dépit. Le capitaine qui m’a arrêté a trouvé l’objet étrange et l’a apporté à son supérieur, qui l’a présenté au maire… Thénardier s’est tout de suite aperçu de sa valeur et s’en est emparé. Il a déjà essayé de me forcer à parler plusieurs fois pour connaitre ses secrets. Je n’ai rien dit et grâce au ciel il avait d’autres chats à fouetter avec son élection… Mais il doit encore l’avoir.

Sheamon pesta intérieurement. Si Thénardier gardait précieusement l’objet, il n’y avait qu’un seul endroit où la poignée d’épée pouvait reposer… Au cinquième étage de la forteresse, sûrement sécurisé par des dizaines d’enchantements.

  • Le bureau du maire, siffla-t-il entre ses dents.
  • J’ai pensé la même chose, confirma Jonas. Après, de là à savoir où il l’a précisément planquée…
  • Sers-toi de ton pouvoir.
  • Ça va être compliqué, répliqua Jonas en secouant la tête. Je ne peux voir que mon propre avenir, et comme je ne sais pas où se trouve la relique, à moins d’en recevoir l’information avant, je ne me verrai pas en train de la récupérer. Sinon je l’aurais déjà vu il y a deux secondes.

Devant l’air interrogateur de Sheamon, il poursuivit avec agacement :

  • Pour faire simple, mon futur n’est pas lié à la relique, puisque je ne sais pas où elle se trouve. Si je veux découvrir où elle est, c’est le futur de Thénardier que je dois voir et pour ça, je dois être en contact direct avec lui. De toute manière, on ne pourra probablement pas entrer dans son bureau sans lui, et c’est surement là-bas qu’il a planqué la relique, alors…

Sheamon n’avait pas besoin de plus d’explications. Il fouilla dans sa poche et en sortit ce qui semblait être une minuscule vis écarlate à la pointe arrondie ; après avoir retiré son casque de milicien qui commençait à l’agacer autant que l’armure, il l’inséra dans son oreille. C’était un spiricon, un instrument magique miniaturisé de communication à distance, bien plus discret que les miroirs de même fonction. Il transmettait directement les pensées en direction des autres dispositifs préalablement connectés par magie dans un certain périmètre. Avant de partir, Sheamon en avait remis un à Triss, Amalia et Dast pour rester en contact permanent avec eux, même si les enchantements entourant actuellement la forteresse rendaient toute communication impossible avec ce dernier.

« Amalia, tu m’entends ? » lança Sheamon en projetant sa pensée.

Pendant quelques instants, il n’entendit rien d’autre qu’un désagréable grésillement, probablement dû aux nombreuses ondes magiques circulant dans l’atmosphère. Puis la voix d’Amalia lui parvint, claire mais également courroucée :

« Ne me refais plus jamais ça ! » s’écria mentalement la directrice du Primera. « J’ai failli lâcher mon verre alors que j’étais en pleine conversation ! »

« Désolé » répondit le renégat qui ne l’était pas vraiment. « Mais il y a urgence. La Marque ne fonctionnera pas sur nous… »

« Quoi ?! Mais alors… »

« On a une solution. Est-ce que tu penses pouvoir amener le maire dans son bureau ? »

Amalia garda le silence pendant quelques secondes. Sheamon attendit patiemment.

« Je vais le faire. Sa peste de secrétaire s’est éclipsée il y a quelques minutes et je pense qu’il ne me refusera pas un entretien particulier. Je n’aurais qu’à lui dire que je veux admirer ses tableaux… Il adore les montrer. »

« Parfait. Je vais dire à Triss de nous attendre avec le contact de Dast à l’entrée des égouts et de monter la garde… »

« Bonne idée… La pauvre n’avait pas l’air bien pendant le discours du maire. Plus vite vous serez loin d’ici, mieux… »

Soudain, la voix d’Amalia se coupa, comme si la connexion avait été brutalement interrompue.

« Amalia ? » l’appela Sheamon avec inquiétude. « Amalia ! »

« Elle n’est plus là, Sheamon ! » lui répondit la voix alarmée de son amie. « Triss n’est plus là ! »

Sheamon sentit les battements de son cœur s’accélérer. Triss avait disparu ? Il lui avait pourtant dit d’observer le maire et d’attendre ses instructions ! Aurait-elle été enlevée ou démasquée ? Il y avait très peu de chances pour que la seconde option fût vraie, car la forteresse aurait alors été en pleine effervescence…

Sheamon passa un doigt sur le spiricon et visualisa le visage de Triss dans son esprit.

« Gamine, où es-tu ?! », appela-t-il avec une once de panique dans la voix.

Pas de réponse, seulement un grésillement persistant. A l’évidence, ou le spiricon de Triss avait été détruit, ou bien elle se trouvait dans un endroit empêchant toute onde magique de circuler. Sheamon consulta l’Horologium à son poignet. La grande aiguille pointait vers le sud-est tandis que la petite se fixait tantôt sur le symbole de la pomme, tantôt sur le soleil, puis sur l’enclume. Soit les symboles respectifs de la connaissance, de la joie et de la culpabilité. Triss était en train d’apprendre quelque chose qui la remplissait de joie, mais elle se sentait aussi coupable. Cela ne l’aidait pas vraiment… Sheamon se tourna vers Jonas qui en l’attendant, avait entrepris de fouiller les bacs des autres prisonniers pour y trouver des affaires intéressantes.

  • Tu a bien vu une fille avec nous dans ta vision, non ? l’interrogea Sheamon. Environ quatorze ans, les cheveux courts et noirs comme la nuit ?
  • C’est plutôt ça. Tu as juste oublié de préciser qu’il s’agit d’une vampire, par contre, répondit Jonas en lui lançant un regard aigu. Je suis certain d’une chose, c’est que dans tous les futurs que j’ai vus, elle était présente...

Il esquissa un sourire engageant.

  • Si tu me disais qui est cette gamine, tenta-t-il d’une voix suave. Rapport au fait qu’on est partenaires dans cette affaire et tout… Bien sûr avec moi ton secret sera…

Sheamon se détourna en retenant son envie d’assommer ce démon. Il devait prendre une décision maintenant. Triss n’avait pas l’air en difficulté et il n’aurait aucune peine du monde à la retrouver grâce à l’Horologium. Pour l’instant, elle semblait être saine et sauve.

En revanche, le temps pressait et ils devaient absolument se concentrer sur l’opération. Lady Viviane et le Révérend Maxwell risquaient d’arriver d’une minute à l’autre. Avant cela, il devait en finir avec Thénardier et récupérer la relique que le maire détenait.

« On ne change pas le plan, Amalia » déclara Sheamon en faisant signe à Jonas de le suivre. « D’après l’Horologium, Triss n’est pas en danger pour l’instant. »

« D’accord… » répondit Amalia d’une voix qui se voulait calme mais à travers laquelle Sheamon distinguait son inquiétude pour Triss. Lui aussi était inquiet, mais il se devait de garder la tête froide et d’avoir foi en la gamine. Sinon, l’opération était vouée à l’échec.

Ils sortirent de la prison en marchant d’un pas vif, mais suffisamment discret pour ne pas alerter d’éventuelles patrouilles. Jonas se révéla très utile. Grâce à son pouvoir de divination, Jonas voyait le danger avant même qu’il n’arrivât. Il signalait à l’avance quels couloirs étaient gardés et à quel moment ils pouvaient passer sans se faire repérer. Malgré les détours qu’ils durent faire pour éviter les gardes de plus en plus nombreux, les deux complices arrivèrent très rapidement à l’avant dernier étage du château, où se situait le bureau du maire.

Sheamon et Jonas progressèrent avec précaution et se plaquèrent au mur au tournant du couloir, tandis que le renégat jetait un coup d’œil avec précaution. La porte du bureau était gardée par un seul milicien armé d’une hallebarde redoutable sur laquelle il s’appuyait avec négligence, ayant l’air de profondément s’ennuyer.

Sheamon s’avança dans le couloir, son arbalète à la main.

  • Hé, lui dit-il d’une voix calme.

Le garde sursauta avant de se tourner vers lui, découvrant ainsi son cou. Le carreau anesthésiant siffla et s’enfonça à la base de sa nuque. La victime émit un cri étranglé avant de s’écrouler lourdement.

Sheamon et Jonas se précipitèrent pour tirer le corps à l’abri derrière la statue d’une démone aux ailes déployées bordant le couloir. Ils examinèrent la porte des appartements privés du maire. Sheamon n’eut pas besoin d’y jeter plus d’un coup d’œil pour comprendre que l’entrée était comme il s’y attendait bardée d’enchantements. Si quelqu’un d’autre que Thénardier la touchait, il passerait certainement un mauvais quart d’heure… s’il survivait.

  • On fait quoi, maintenant ? demanda Jonas. Je préfère te prévenir que si tu touches cette poignée, tu n’as plus de main. Et pour le moment, j’ai besoin que tu gardes tes deux bras intacts pour la réussite de notre évasion.

L’exorciste prit la hallebarde du garde avant de se tourner vers Jonas. Il lui tendit son arbalète.

  • Cache-toi, lui ordonna-t-il. Le maire va arriver. S’il fait mine de crier ou de se débattre, tire-lui dessus sans hésiter avant qu’il ne donne l’alarme. Ce sont des carreaux anesthésiants, donc il n’y a pas de danger. Par contre évite de viser la femme qui accompagnera Thénardier, sinon c’est moi qui te tuerai.

Jonas obéit sans discuter et se dissimula derrière l’imposante statue, tandis que Sheamon adoptait la posture du garde. Quelques minutes plus tard, ils entendirent des éclats de voix provenant du couloir de gauche. Sheamon reconnut Amalia et le maire. Ils surgirent brusquement, Thénardier tenant galamment le bras de la maîtresse du Primera.

  • Henry mon ami, s’exclamait Amalia en réprimant un fou rire. Vous êtes tellement amusant ! Je me demande où vous allez chercher toutes ces anecdotes…

Elle croisa soudain le regard de Sheamon et un mince sourire étira ses lèvres. Malgré son armure de milicien et le heaume qui lui recouvrait le visage, elle l’avait reconnu d’un seul coup d’œil. Sheamon espérait que le maire ne remarquerait pas la supercherie.

  • La plupart sont vraies, Amalia, je vous l’assure, répondit Thénardier avec élégance. Croyez-moi en tant que maire, j’en ai vu beaucoup plus durant tous mes mandats réunis que le reste de ma vie.

Ils arrivèrent au niveau de Sheamon, ne lui prêtant pas davantage d’attention qu’à un meuble. Thénardier tendit la main vers la poignée de la porte. Rapide comme l’éclair, l’exorciste passa à l’action et enfonça le bout arrondi de sa hampe dans l’estomac du maire. Ce dernier, le souffle coupé, ouvrit la bouche pour pousser un cri étouffé avant de s’écrouler, plié en deux par la souffrance.

  • Oh mon dieu ! s’écria Amalia en mimant une expression horrifiée très convaincante. A l’ai…

Sheamon posa sa main à deux centimètres de la nuque d’Amalia.

« Division » Ordonna-t-il mentalement.

Un flash de lumière blanche s’échappa de sa paume et Amalia parut perdre brutalement connaissance. Sheamon la rattrapa habilement avec son bras gauche tout en pointant la hallebarde en direction du maire qui essayait de fuir en rampant. Ce dernier s’arrêta dès que la pique toucha son dos.

  • Bouge d’un cil et je n’hésiterai pas à t’empaler ! le menaça Sheamon.

Thénardier déglutit avec difficulté.

  • Ecoutez, murmura-t-il d’une voix faible. Tout… tout cela est un malentendu… Je suis sûr que…
  • Ce n’est pas un malentendu, non… répliqua Sheamon. Relève-toi doucement, les mains derrière la tête. Si tu essayes de pousser ne serait-ce qu’un cri, tu sais ce qui t’attend.

Sheamon glissa un coup d’œil à Amalia, qui jouait toujours les évanouies dans ses bras. L’exorciste avait bien veillé à ne pas la toucher directement pour éviter de diminuer son énergie vitale. Il fit ensuite un signe de tête à l’intention de Jonas, tandis que le maire lui obéissait lentement. Le démon sorti de son abri en pointant l’arbalète vers Thénardier.

  • Bien joué, mon ami, ricana-t-il en fixant ce dernier avec une lueur de revanche dans le regard. Vous voilà en fâcheuse posture, monsieur le maire !

Sheamon lui passa la hallebarde ; le démon l’examina avec attention comme s’il envisageait d’embrocher le maire avec.

  • Tu… tu es Jonas Perceval ! Le reconnut Thénardier avec épouvante. Mais comment…
  • Je me suis fait un ami redoutable, répliqua Jonas. Si je me souviens bien, la dernière fois, vous m’avez volé quelque chose de très important pour moi. Nous sommes venus le récupérer…

Thénardier se figea, avant de se tourner lentement vers Sheamon qui avait enlevé son casque, puis son collier de dissimulation. L’expression d’horreur sur le visage de celui-ci suffit à l’exorciste pour comprendre que le maire l’avait reconnu.

  • Sh… Sheamon Wave… balbutia le politicien en tentant de contenir ses tremblements. Vous… C’est impossible ! La sécurité, les gardes…
  • Ouvre cette porte, lui ordonna Sheamon.

Le maire tressaillit, puis se décida à obéir. Au contact de sa main, la porte s’ouvrit d’un coup. Thénardier les fit rentrer dans un spacieux bureau ovale, avec une porte de chaque côté. Contre les murs se trouvaient des étagères remplies de bibelots valant probablement une fortune et des tableaux représentant tous Thénardier au sommet de sa gloire dans des postures héroïques, probablement toutes inventées, jugea Sheamon. L’une des œuvres montrait en effet le maire de Lutécia affichant des muscles d’athlète et un air digne de superhéros face à un monstrueux lézard sulfragite géant…

  • Jolie décoration, ironisa Sheamon en déposant doucement Amalia sur un divan.

Thénardier, toujours menacé par Jonas, fut forcé de s’asseoir dans son fauteuil. Il paraissait toujours choqué et effrayé, mais il n’avait pas perdu sa capacité de raisonnement pour autant.

  • Ecoutez, Monsieur Perceval… tenta-t-il avec un sourire qui se voulait amical. Je crois que nos relations ont pris un mauvais départ… Il est inutile d’agir dans un accès de colère…
  • Un accès de colère ? s’exclama Jonas, incrédule. J’ai passé un mois en prison à cause de vous, Thénardier ! Et vous m’avez dérobé ce qui m’appartient ! Ma colère est plus que justifiée.

Le maire se raidit davantage, son visage devenant aussi pâle que celui d’un fantôme. Sheamon se redressa.

  • Patience, devin, intervint-il. Il doit rester vivant.
  • Pour l’instant ! répliqua le démon en baissant l’arbalète.
  • Vous avez raison ! approuva aussitôt Thénardier en se tournant vers l’ange déchu avec soulagement. Me tuer serait une terrible erreur !
  • Je n’ai pas dit que je ne te tuerai pas, le corrigea Sheamon en s’avançant vers lui pour récupérer l’arbalète des mains de Jonas. Tout dépendra de tes réponses. Alors, si j’ai un conseil à te donner, c’est de bien choisir tes mots…
  • Si c’est de l’argent qu’il vous faut, vous feriez mieux de vous servir de cette femme, leur dit vivement le maire en désignant d’un geste de la tête Amalia toujours prétendument évanouie. C’est Amalia Da Silva, elle est à la tête de la plus grosse fortune de Paris ! Croyez-moi, elle vaut une montagne d’inferis…

Sheamon serra les dents pour se retenir de briser la nuque de cette petite crapule sur le champ.

  • Ce n’est pas après l’argent que nous en avons, rétorqua-t-il. Ce que nous cherchons, c’est le moyen de traverser la Barrière magique pour accéder aux Enfers.

Le regard de Thénardier brilla d’une lueur rusée, sa main caressant le sceau qui étincelait sur sa poitrine.

  • Oh je vois, c’est donc pour ça… murmura-t-il. Vous voulez la Marque… Eh bien ce n’est pas un problème. Il me suffit de vous apposer le sceau et vous pourrez franchir sans difficultés la Barrière. Bien entendu, la milice ne vous poursuivra pas au-delà, vous avez ma parole…
  • Mais, si on vous tue, la barrière s’effondrera, non ? rétorqua Jonas.
  • Me tuer ne vous servira à rien ! répliqua Thénardier avec un sourire triomphant. Je ne suis pas le créateur de la barrière, et elle tire son énergie de l’Etoile de Cristal elle-même ! Je doute donc que vous réussissiez à la détruire…
  • D’accord, l’interrompit Sheamon en levant la main. Dans ce cas tu viens avec nous, et si jamais le sceau magique ne fonctionnait pas, je te trancherai la gorge…

Thénardier sursauta, horrifié. Il perdit aussitôt son sourire.

  • Que… Ce n’est pas nécessaire…
  • Réponds à ma question, lui ordonna Sheamon. Si tu mens, tu es mort. N’essaie même pas parce que mon ami le saura aussitôt. J’ai comme l’impression que tu nous caches quelque chose et je commence à comprendre. La Marque ne sera valide que si tu l’apposes de ta propre volonté, non ? Dans ce cas, te forcer à nous l’apposer ne servirait à rien, n’est-ce pas ?

Le maire serra les dents, considérant probablement aussi vite que possible toutes les options qui lui restaient. Ses yeux passèrent de Sheamon à Jonas.

  • Oui… murmura-t-il enfin.

Sheamon jeta un coup d’œil à Jonas, qui envisageait toujours le maire de Lutécia avec une colère maitrisée. Le démon ne lui avait donc pas menti.

  • Le seul moyen d’être certains que la Marque soit bien valide, reprit Sheamon en se tournant vers le maire, c’est donc de t’emmener avec nous pour vérifier que la barrière ne nous tuera pas. Mais ce serait risqué. Sur bien des points.

Le regard de Sheamon se posa sur le sceau.

  • Tous les miliciens de Lutécia possèdent la Marque ?

Thénardier hocha silencieusement la tête, n’osant plus prononcer un mot. Sheamon n’en fut pas surpris. La milice démoniaque devait être prête à défendre la ville en réagissant à n’importe quelle situation. Il était logique que le maire leur eût dispensé cette autorisation spéciale. Mais cela voulait dire que les démons étaient également capables de les poursuivre même s’ils parvenaient à franchir la barrière…

  • Et si quelqu’un brisait le sceau magique, que se passerait-il ? l’interrogea une fois de plus l’exorciste.

Le maire haussa les sourcils, ne comprenant probablement pas à quoi pensait Sheamon.

  • La Marque… disparaitrait… dit-il d’une voix incertaine. Ceux qui la possédaient deviendraient sensibles à la Barrière comme les autres.
  • Ce qui rendrait notre poursuite tout à fait impossible, comprit Jonas. Vue la complexité de l’enchantement, il leur faudrait des jours, peut-être même des semaines, pour créer un nouveau sceau.
  • Attendez ! s’écria Thénardier en se redressant. Vous ne pouvez pas faire ça ! Vous n’imaginez pas combien cela nous a coûté de mettre en place cette protection magique… Et vous ne pourrez pas passer la Barrière sans la Marque !
  • On a déjà un moyen, déclara Sheamon en pointant l’arbalète sous le nez de Thénardier pour l’obliger à se rasseoir.

Il fit un signe de tête à Jonas, qui agrippa le poignet du maire ; celui-ci se crispa en poussant un cri de terreur, persuadé que sa dernière heure était arrivée. Les yeux de Jonas s’illuminèrent brièvement. Il se redressa et tourna la tête vers Sheamon.

  • Je sais où elle est, confirma-t-il.

Le démon contourna le bureau, presque en transe. Sheamon se reconcentra sur le maire.

  • Le sceau, ordonna-t-il en tendant la main.

A suivre...

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