Chapitre 16 : Amis pour la vie, Partie 2
En pleine chute, Triss sentit la panique la gagner. Heureusement, son instinct de survie reprit le dessus. Elle se concentra pour transformer son corps en une nuée de chauves-souris…
Voler comme un vampire lui procura une sensation extrêmement étrange. La jeune fille éprouva un grisant sentiment de liberté. Mais c’était également très difficile. L’esprit de Triss s’était en effet éparpillé dans chacun de ses corps qu’elle devait faire agir à l’unisson. Elle ne pourrait pas garder cette forme très longtemps, sous peine de risquer de perdre le contrôle de son vol et de s’écraser n’importe où. La jeune fille n’avait pas menti à Sheamon : tenir une dizaine de secondes était le maximum dont elle était capable à ce stade.
C’est pourquoi Triss mobilisa toute son esprit vers une seule pensée : l’atterrissage… A travers le regard des multiples chauves-souris composant son corps, elle vit que Syana s’était accrochée avec ses griffes au mur de la taverne pour ralentir sa chute avant de sauter sur le sol avec l’agilité d’un lézard.
Triss ne tarda pas à atterrir à son tour et reprenant aussitôt forme humaine. Elle se retrouva alors face à la femme serpent qui la dominait de toute sa hauteur, telle un cobra prêt à mordre sa proie, son arc brandi comme une massue.
Triss leva son épée, prête à riposter, quand une lance passa soudain entre les deux combattantes pour se planter fermement dans le mur de la taverne, transperçant sans la moindre difficulté la pierre composant le bâtiment.
D’un seul et même regard, Triss et Syana tournèrent la tête dans la direction d’où provenait le tir… Elles réalisèrent qu’elles étaient totalement cernées par des dizaines de miliciens les menaçant avec leurs hallebardes.
L’homme que Triss avait repéré aux côtés de Thénardier lors de la fête se fraya un chemin dans les rangs de miliciens qui s’écartèrent avec respect sur son passage. Elle se souvenait qu’il s’agissait de Kruz, le commandant de la milice de Lutécia. Il était encore plus imposant de près…
- Je vous ai manquées exprès, indiqua celui-ci en avisant Triss et Syana. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin pour que vous compreniez qu’un seul geste suffirait à vous faire tuer, n’est-ce pas ? Déposez vos armes lentement et rendez-vous.
Triss hésita. Elle pouvait essayer de voler à nouveau, mais elle ne pourrait aller bien loin. Quant à riposter avec sa magie ou sa force, c’était inutile : les ennemis étaient bien trop nombreux ! La seule option possible était de jouer le jeu pour détourner l’attention des miliciens et permettre ainsi à ses amis de s’enfuir.
La jeune fille s’apprêtait donc à jeter son arme quand soudain, Syana encocha une flèche sur son arc pour menacer à son tour l’officier. Des exclamations de surprise se firent entendre dans les rangs des miliciens.
- Je crois plutôt que c’est vous qui allez m’écoutez ! rétorqua-t-elle triomphalement. Si l’un d’entre vous ose s’approcher, je tuerai votre chef sans la moindre hésitation !
Les gardes parurent inquiets… Le commandant Kruz en revanche ne tressaillit même pas.
- Commandant ? questionna l’un des soldats d’un ton incertain.
- Ne bougez pas, ordonna ce dernier. Je m’occupe du monstre.
Sur ces mots, il fit un pas en avant.
C’est alors que le sifflement d’une flèche retentit dans les airs, puis un trait noir se planta dans la gorge d’un milicien qui s’effondra en crachant du sang. Ses compagnons s’en écartèrent en poussant des cris de stupeur, avant de tourner des regards chargés d’intentions meurtrières en direction de Syana.
- Ce n’est pas moi ! se défendit-elle.
Triss constata en effet que la flèche de celle-ci était en effet toujours encochée. Mais alors, si la lamia n’avait pas tiré, qui… ?
D’autres flèches continuèrent alors à pleuvoir sur la place, causant de nouveaux morts parmi les miliciens qui poussaient des cris de frayeur, devant cet ennemi invisible qui cherchait à les décimer. Syana dut reculer pour ne pas être transpercée à son tour. Cependant, aucun projectile ne tombait autour de Triss.
- Là haut ! cria soudain l’un des gardes. Sur les toits !
Triss suivit ses indications et son cœur se glaça d’effroi.
Des shinobis. Des dizaines et des dizaines d’entre eux. Certains continuaient à bombarder les miliciens sur la place tandis que d’autres descendaient déjà habilement le long des façades puis sautaient sur les soldats pris totalement au dépourvu. De chaque côté, les shinobis arrivaient en masse, avançant comme des ombres silencieuses, les hurlements étranglés de leurs victimes agonisantes étant les seuls témoignages de leur présence… A l’aide de grappins, certains vampires en tenue noire avaient même déjà escaladé les portes jusqu’aux chemins de rondes pour massacrer sans pitié les sentinelles. En un éclair, les serviteurs de Némésis avaient investi la place. C’était une véritable invasion.
- Restez groupés ! ordonna Kruz d’une voix puissante qui se répercuta sur toute la place. Nous devons défendre ces portes au péril de notre vie ! Pour Lutécia !
Le cri de guerre fut repris par plusieurs soldats, malgré la confusion qui régnait parmi les miliciens. Les démons reprirent le combat pour repousser les shinobis, mais de nouveaux guerriers masqués ne cessaient d’envahir les lieux. En un clin d’œil, la bataille se propagea partout sur la place.
Triss saisit sa chance. Elle rassembla ses forces et effectua un bond prodigieux par-dessus les miliciens, sous les exclamations confuses de ces derniers. Dès que ses pieds eurent touché le sol, Triss courut en direction de la ligne de chemin de fer. Elle ne pouvait plus revenir en arrière à cause des gardes ; mais elle espérait pouvoir atteindre les rails afin de fuir plus rapidement en espérant que ses camarades feraient de même. Ils pourraient ainsi se regrouper et réfléchir à la suite des évènement. Même si traverser un champ de bataille était risqué, Triss avait une petite chance d’y parvenir dans la confusion qui régnait. Surtout, c’était sa seule solution.
- Rattrapez-là ! ordonna Kruz derrière elle.
La jeune vampire retint un sourire. Elle avait confiance en ses capacités physiques. De simples démons ne pouvaient espérer surpasser en vitesse une Nocturii. Personne ne pourrait la rattraper.
Quelque chose de lourd atterrit pourtant juste derrière elle. Triss tourna la tête juste à temps pour entrevoir les griffes de Syana cherchant à saisir sa nuque. Elle sauta sur le côté pour esquiver cette attaque sournoise. La lamia poussa un cri de frustration.
- Tu ne m’échapperas pas, princesse ! la menaça-t-elle en poursuivant la jeune fille, ondulant sur le sol comme un serpent. Mon maître compte sur moi pour te ramener !
Une boule de feu s’écrasa soudain entre Syana et Triss. La lamia fit une embardée pour éviter d’être brûlée. La jeune fille leva les yeux vers le ciel. Dast s’était envolé, ayant pris soin de rabattre sa capuche sur son visage pour éviter d’être reconnu.
- Ne vous arrêtez pas, Mademoiselle ! lui cria le démon. Foncez vers le chemin de fer !
Un rugissement de tigre se fit alors entendre sur le champ de bataille. Triss tourna la tête et aperçut Ryku, transformé de nouveau en puissante bête féroce courant à ses côtés. Sans hésiter, la jeune fille sauta sur son dos. Le tigre s’élança alors à pleine vitesse.
Jetant un coup d’œil derrière elle, elle vit que Syana n’avait pas abandonné la poursuite. La lamia décocha une flèche tout en se frayant un chemin entre les combattants. Triss dévia le projectile in extremis avant qu’il ne s’enfonçât dans le flanc de Ryku.
D’autres flèches suivirent. Triss réussit à bloquer les plus dangereuses, tandis que la rapidité du félin lui permit d’en esquiver d’autres. Mais certaines parvinrent tout de même à érafler le tigre. Cependant, ce dernier poursuivait sans faiblir sa course au milieu de la bataille entre shinobis et miliciens. Malgré tous ses efforts, Syana ne parvenait pas à combler l’écart avec ses deux proies. Chaque fois qu’elle se rapprochait de ses cibles, Dast lui lançait une boule de feu qui la forçait à s’écarter, perdant ainsi quelques précieuses secondes dans la poursuite.
Triss s’aperçut alors que les miliciens étaient en passe de perdre la bataille, complètement submergés par le nombre et la puissance des shinobis. Même la magie ne leur permettait pas de prendre l’avantage face à ces guerriers surentraînés qui ne craignaient ni la douleur ni la mort. Lorsque l’un de leurs camarades tombait, les autre shinobis enjambaient simplement son corps et poursuivaient le combat en silence. Les miliciens au contraire, voyaient mourir leurs compagnons les uns après les autres dans des cris d’agonie qui leur glaçaient le sang. Ils reculaient de plus en plus, emportés par la furie silencieuse des créatures de la nuit...
Triss aperçut soudain Marco, Romy, Stella et Vanessa qui tentaient de survivre au milieu du chaos. Son cœur fit un bond dans sa poitrine quand elle vit que Philippa les menait, leur criant des paroles que la jeune fille ne put entendre dans le fracas de la bataille. C’est alors que la secrétaire fut subitement coupée du reste du groupe par les combats. Ses amis se placèrent aussitôt en position défensive, agitant vainement leurs épées tandis que les combats se déchainaient autour d’eux. Ils risquaient d’être tués d’une seconde à l’autre. Le sang de la jeune fille ne fit qu’un tour.
- Vire à droite, Ryku ! ordonna Triss au félin qui lui obéit aussitôt.
- Mademoiselle ! protesta Dast en incendiant une pluie de flèches qui le menaçait. Continuez à avancer vers la ligne de train ! La priorité est de vous mettre en sécurité !
- Je ne les laisserai pas tomber ! rétorqua la jeune fille.
Syana se jeta soudain sur ses proies, toutes griffes dehors. Triss se prépara à encaisser l’assaut, quand Dast atterrit devant elle. Il bloqua l’attaque de la lamia et réussit à rester debout malgré la force de l’impact. Le majordome repoussa son adversaire et effectua un arc de cercle avec sa lame, forçant cette dernière à s’écarter.
- Dast ! cria Triss.
- Avancez ! s’écria ce dernier en maintenant la lamia à distance. Je vous rejoindrai !
Triss ne voulait pas l’abandonner. Mais elle savait d’expérience que Dast n’avait pas besoin de son aide. Ses amis en revanche… Aussi cria-t-elle à Ryku de se remettre en route.
Le tigre était rapide, et elle rejoignit assez vite ses camarades qui avaient formé un cercle défensif pour affronter une bande de miliciens qui les avaient entourés. Le bond prodigieux du tigre à dents de sabre força les soldats à s’écarter. Ryku poussa un rugissement effrayant qui acheva d’inquiéter leurs adversaires incertains.
Triss se laissa glisser au sol et se plaça entre Marco et Stella. Elle vit alors que Dast, toujours occupé à combattre la lamia, était également la cible de plusieurs shinobis et miliciens dans le chaos de la bataille. S’envoler était trop dangereux pour lui à cause des flèches qui partaient dans tous les sens. Triss ne pouvait pas se frayer un chemin dans la mêlée pour le rejoindre, encore moins avec ses amis à couvrir. Son regard se posa alors sur Ryku. Les miliciens se tenaient à distance respectueuse du félin, effrayés par sa férocité.
- Va chercher Dast ! lui ordonna Triss.
Si quelqu’un était capable de traverser le champ de bataille et d’aider Dast à les rejoindre, c’était bien le tigre ! Ce dernier lui jeta un regard pour lui signifier qu’il avait compris avant de bondir parmi les miliciens, semant la panique dans leurs rangs.
- Ton chat peut se transformer en tigre ? s’étonna Marco.
- C’est plutôt un tigre à dents de sabre qui peut se transformer en chat, lui expliqua Triss en repoussant la pointe d’une hallebarde.
- Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, on est complètement encerclés ! hurla Stella.
Elle avait raison. Après le départ de Ryku, les miliciens avaient resserré leur étau, coupant toute possibilité de fuite à leur groupe. Lentement mais sûrement, ils regagnaient le terrain perdu, se rapprochant dangereusement des jeunes vampires.
- Attendez ! ordonna soudain la voix de Kruz, couvrant le vacarme du champ de bataille.
Les rangs des démons s’écartèrent pour laisser passer leur commandant. Il n’avait plus sa lance, probablement perdue au cœur d’une lutte acharnée, mais il restait encore très imposant. Et très en colère...
- Toi, cria-t-il en désignant Triss. Tu es la fille Nocturii que le maire veut absolument, n’est-ce pas ? C’est à cause de toi que ces sales vampires sont ici, non ?
Il dégaina son épée, l’air plus furieux que jamais.
- Ordonne-leur de retourner d’où ils viennent ou tu meurs ici et maintenant, sale erreur de la nature ! cracha-t-il avec dégoût.
Triss sentit la rage l’envahir. Mais elle se força à garder son calme. Il lui suffisait d’un seul coup d’œil pour savoir que Kruz était un adversaire dangereux. Cependant, fuir n’était pas une option. Ses amis étaient derrière elle, la jeune fille ne pouvait donc pas reculer. Elle était la seule à pouvoir…
Un cri de douleur étranglé attira brusquement son attention. Deux soldats s’écroulèrent, tandis que leurs camarades s’écartaient, brisant la formation. Quelqu’un força le passage du cercle de miliciens pour se jeter sur Kruz, qui leva aussitôt son épée pour parer l’attaque.
Triss s’aperçut avec stupeur qu’il s’agissait de Philippa ! L’ex secrétaire de son oncle se tenait face au chef des démons, sa lame ayant passé à quelques centimètres à peine de la gorge du commandant. Mais la jeune fille nota que quelque chose avait changé dans le regard de la fragile Philippa qu’elle connaissait auparavant. Elle avait l’air… Dangereuse.
Soudain, Triss eut peur de Philippa.
- Toi… grommela Kruz. Tu me rappelles quelqu’un…
Il la repoussa brutalement en arrière et se fendit d’une attaque d’estoc si rapide que Triss n’eut pas le temps d’esquisser le moindre geste. Mais Philippa para la lame du commandant sans difficulté, puis reprit aussitôt l’offensive. Kruz, surpris, fit plusieurs pas en arrière mais parvint in extremis à bloquer l’épée de son ennemie, laquelle changea immédiatement d’angle d’attaque, le contraignant à reculer.
- Commandant, laissez-nous… commença l’un des miliciens.
- Restez en arrière ! ordonna Kruz d’une voix ferme. C’est mon combat !
Il se remit en garde, cherchant probablement l’instant propice pour riposter. Mais Philippa ne lui laissa pas ce luxe. Elle bondit en avant et effectua un puissant arc de cercle que Kruz para, mais la force du choc parut le surprendre et il faillit s’écrouler. Philippa enchaîna aussitôt par une multitude de coups vicieux ; le commandant se retrouva sur la défensive, parant avec difficulté les attaques de son adversaire déchaînée qui le harcelait sans pitié. Les miliciens s’écartèrent prudemment des deux combattants.
Triss assista à cet affrontement avec stupeur. Ce tableau lui semblait complètement irréel. La Philippa qu’elle connaissait depuis des années n’avait jamais touché une épée de sa vie et avait même peur d’approcher un couteau ! Elle abhorrait la violence par-dessus tout et il n’y avait pas une seule once d’agressivité en elle !
Pourtant, la Philippa qui combattait Kruz avait l’air d’une tueuse expérimentée, quelqu’un capable d’ôter des vies aussi facilement qu’elle respirait. Elle combattait avec une férocité que Triss n’avait jamais devinée chez elle : ses compétences dépassaient même de loin celles de la jeune fille ! Triss aurait dû l’aider mais elle était totalement tétanisée par la surprise. De toute manière, Philippa n’avait pas l’air d’avoir besoin d’elle… Presque sans efforts, elle acculait le commandant Kruz !
Ce dernier fut à nouveau repoussé et parut perdre l’équilibre. Philippa se jeta sur lui, l’épée pointée en avant. Il se rétablit pourtant brusquement et repoussa d’un puissant coup d’épée la lame de son ennemie avec une lueur de triomphe dans le regard. Triss comprit alors que le commandant avait volontairement laissé l’avantage à son adversaire pour lui faire baisser sa garde. Il tendit sa paume devant lui, à moins d’un mètre de Philippa. Un éclair s’en échappa, prêt à désintégrer son adversaire. Le nom de l’ex secrétaire se forma sur les lèvres de Triss, qui réussit à s’arracher à sa paralysie subite pour faire un pas en avant. Elle savait pourtant déjà qu’elle ne pourrait intervenir à temps…
Mais l’éclair ne fit qu’effleurer Philippa avant d’exploser au sol. Elle s’était déplacée une demi-seconde avant l’attaque magique en remontant sa lame pour trancher la main droite du commandant. Celle-ci et l’épée qu’elle tenait volèrent dans les airs tandis qu’une fontaine de sang jaillissait de la blessure. Le visage de Kruz se contracta sous l’effet de la surprise et de la souffrance. Il n’eut cependant pas le temps de réagir. Philippa plongea sous sa garde et l’attrapa à la gorge. Sans hésiter une seule seconde et surtout, sans même paraitre horrifiée par le geste qu’elle s’apprêtait à commettre, Philippa lui brisa la nuque d’une seule main.
Le craquement claqua aux oreilles de Triss malgré le fracas de la bataille. Comme dans un songe, le corps du commandant s’affaissa, tel une marionnette dont on aurait brusquement coupé les fils…
Les miliciens étaient pétrifiés d’effroi. Avant de pouvoir esquisser le moindre geste de réaction, l’un des gardes hurla de douleur en s’effondrant à son tour, poignardé par un shinobi.
- Les vampires ! hurla l’un des soldats.
Les miliciens se retournèrent pour affronter ces derniers qui se ruaient sur eux sans la moindre peur. Désemparés par la perte de leur chef, les gardes ne se battaient plus désormais qu’avec l’énergie du désespoir.
Ils avaient déjà perdu…
Mais Triss ne vit rien de tout cela. Elle contemplait toujours le dos de Philippa, sonnée par la violence et la sauvagerie dont avait fait preuve celle qu’elle avait pratiquement considérée comme une grande sœur. Était-ce vraiment Philippa ? Ces mouvements, cette capacité à tuer sans aucune émotion…
- Philippa… balbutia la jeune fille, toujours sous le choc. Tu… Comment…
Elle sentit soudain quelque chose de froid s’enfoncer dans son dos. Une douleur fulgurante, d’un niveau jamais atteint auparavant, la submergea aussitôt. Son épée lui échappa des mains. Sans s’en rendre compte, elle tomba à genoux, figée par le feu glacé qui lui dévorait l’intérieur.
Cherchant péniblement sa respiration et à moitié assommée par la souffrance, Triss baissa lentement les yeux. La pointe d’une épée ressortait de son flanc droit, et un flot de sang s’échappait lentement de la blessure.
« Je suis… blessée ? » s’étonna Triss en rassemblant ses dernières forces pour ne pas s’évanouir.
Impossible… Aucun milicien ou shinobi n’aurait pu se glisser dans son dos pour lui infliger une telle blessure. Pas avec Marco et les autres protégeant ses arrières…
Une main se posa sur son épaule et Triss sentit que quelqu’un retirait la lame de son flanc. La jeune fille releva la tête et croisa le regard de Marco, qui la dévisageait avec un mélange de culpabilité et de détermination. Il tenait une épée ensanglantée… C’était son sang !
- Je suis désolé, Triss, lui dit-il en évitant son regard. On n’avait pas le choix. Ne complique pas les choses s’il-te-plait.
- Marco… réussit-elle à articuler malgré sa voix étranglée par l’émotion et la souffrance. Tu…
Son ancien ami détourna le regard et lui ramena brutalement les mains derrière le dos.
- Stella ! Lança-t-il d’un ton impitoyable. Les menottes, maintenant !
Triss sentit qu’on lui passait une entrave froide et métallique sur les poignets. Trop assommée pour réagir, elle ne pensa même pas à se débattre. Le silence qui envahissait la place lui parut surnaturel. Pourquoi n’entendait-elle plus le fracas de la bataille ?
Elle se rendit soudain compte qu’il ne restait plus aucun milicien debout. Tous gisaient dans une mare de sang au pied des shinobis qui avaient envahi les lieux. Les vampires avaient gagné. Le rugissement de Ryku se fit entendre, la ramenant légèrement à la réalité.
- Mademoiselle ! cria une voix masculine qu’elle mit du temps à reconnaître.
Triss aperçut entre deux vertiges Dast, Ryku et la lamia encerclés par les shinobis. Ils avaient tacitement renoncé à se battre entre eux pour affronter ensemble la plus grande menace. Mais le visage du majordome à moitié caché par sa capuche exprimait la consternation la plus totale. Triss voulait lui dire à quel point elle était désolée. Il allait mourir pour être venu à son secours. Ryku rugissait pour effrayer les shinobis impassibles, essayant de trouver une ouverture pour rejoindre la jeune fille. Cependant les vampires n’avaient pas peur de lui comme les miliciens et ils ne le laisseraient pas passer aussi facilement.
Marco et Stella, rejoints par Romy et Vanessa, s’écartèrent d’elle. Tous évitaient son regard. Eux qui moins d’une heure plus tôt l’avaient serrée dans leurs bras en pleurant de joie lors de leurs retrouvailles, se tenaient désormais loin d’elle comme si elle était une pestiférée, un bouc émissaire…
- On a fait notre part, déclara Marco à Philippa qui avait gardé le dos tourné. Libérez-nous, comme vous nous l’aviez promis !
Triss n’arrivait pas à comprendre. « Libérez-nous »… Mais de quoi parlait Marco ?
« Tu le sais bien ! » lui murmura sa raison. « Tu sais parfaitement de quoi il parle, n’est-ce pas Triss ? En réalité, tu ne veux juste pas voir la vérité en face ! »
Non ! Il y avait forcément une autre explication ! Triss tourna le regard vers Philippa, toujours immobile. Oui, pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Celle-ci détenait forcément la réponse ! Elle allait lui dire que tout allait s’arranger, et tout lui expliquer…
- Philippa… murmura-t-elle avec espoir. Dis-moi que… ce n’est pas vrai… je t’en supplie…
Pendant quelques secondes angoissantes, le silence plana au-dessus de la place. Puis…
- Bon travail, Marco ! le félicita l’ex secrétaire en s’adressant au jeune vampire. Ces menottes devraient l’empêcher d’utiliser sa magie. Mais ce n’est pas une raison pour baisser notre garde.
Philippa se retourna lentement, dévisageant Triss. Le sourire qu’elle affichait plongea la jeune fille dans un désespoir sans limites.
- Je crois que des présentations s’imposent, Triss, laissa tomber Philippa d’un ton glacial, en avançant vers la prisonnière à genoux. Mon nom est Philippa, servante du comte Forlwey. C’est moi qui ai donné la localisation du Quartier Umbrella aux shinobis, moi qui ai levé les défenses du refuge pour permettre à mes alliés de réduire l’œuvre de Sirius Aleyran en cendres…
Triss baissa les yeux en serrant les dents. Elle refusait d’en entendre davantage. Tout cela n’était rien qu’un mensonge, un horrible cauchemar ! Elle allait se réveiller et se rendre compte qu’ils étaient encore au matin, que l’opération n’avait pas encore commencé…
Mais Philippa lui attrapa le menton et la força à relever la tête. Le regard froid et sauvage de l’ex secrétaire de son oncle plongea dans le sien.
- Et c’est aussi moi qui ait livré ton oncle à Maitre Forlwey…
A suivre...
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