• Tu es folle ? rétorqua la lamia. Si on laisse passer cette chance, on finira comme cobayes ! On doit s’enfuir maintenant tant qu’on le peut encore !
• Je crois qu’elle dit la vérité ! Si c’est le cas, son aide nous sera précieuse… indispensable, même !

Syana demeurait méfiante, mais elle desserra légèrement son emprise sur Naru, qui toussa en aspirant l’air à pleins poumons.

• Comme je le disais… articula-t-elle avec difficulté. Je suis venue ici pour vous aider à vous évader…
• C’est vraiment toi qui a lâché l’élémental ? l’interrogea Triss.

La sorcière hocha la tête en se redressant.

• On l’avait capturé il y a une semaine dans le désert. Je l’ai libéré de sa cellule et je l’ai laissé se déchainer. Il fallait au moins ça pour détourner l’attention de Cassandra… si elle avait réussi à t’ensorceler, mon plan tombait à l’eau.
• Alors tu veux vraiment nous faire sortir d’ici ?
• Entre autres. Je suis surtout venue vous proposer un marché. Quand vous avez été capturées, j’ai compris que c’était l’occasion que j’attendais depuis longtemps. Il faut absolument que je quitte Qaltra et que j’atteigne la Surface. Si vous acceptez de m’aider à m’échapper d’ici, je vous libère de vos fers et je guérirai votre ami.

Triss redressa vivement la tête :

• Tu sais comment le sauver ? la pressa-t-elle avec espoir.
• Je suis l’assistante personnelle de Cassandra et, sans vouloir me vanter, j’ai pas mal de compétences en matière de sorcellerie. Briser la malédiction de Damoclès ne devrait pas poser de problème… du moins en théorie. Je ne l’ai jamais fait. Mais, quoi qu’il en soit, il vous faudra une sorcière pour ouvrir vos entraves et croyez-moi, personne d’autre n’acceptera de vous aider… Alors, qu’en dites-vous ?

Triss allait ouvrir la bouche pour prendre la parole, mais Syana la devança.

• Et pourquoi voudrais-tu quitter Alliance Sorcière alors que tu as tout l’air d’avoir un rang influent auprès de ta maitresse ? la questionna la lamia avec méfiance. Je suppose qu’une sorcière comme toi a dû participer aux expériences menées sur les esclaves enfermés ici, non ? Dis-moi plutôt, combien de rituels sanglants à la gloire de votre maudite déesse as-tu pratiqué avec tes sœurs ?

Naru se tourna vers Syana et Triss vit alors plusieurs émotions se succéder sur son visage. La peur, la colère, le remords… La sorcière déglutit.

• Beaucoup, je ne peux le nier… admit-elle d’une voix blanche. Mais je n’ai jamais voulu ça… J’ai été enlevée quand j’étais enfant par Alliance Sorcière parce que j’avais des aptitudes pour la sorcellerie, et je suis tombée sous la tutelle de Cassandra. Toutefois je ne suis pas libre pour autant… Si je me révolte où que j’essaie de m’enfuir, c’est la mort assurée. Je ne suis pas fière de ce que j’ai fait, mais je n’avais pas d’autre choix pour survivre.

La voix de Naru se raffermit, et elle leva ensuite les yeux vers Triss avec un air de défi.

• Je suis prête à tout pour rentrer chez moi, affirma-t-elle, et la jeune fille eut la certitude qu’elle ne mentait pas. Je ne sais pas me battre comme vous… en revanche j’ai des connaissances en sortilèges ainsi qu’en alchimie qui peuvent être utiles. De plus, sans moi je vous garantis que vous ne sortirez jamais d’ici. Tout ce que je vous demande, c’est de m’emmener avec vous.

Triss n’eut pas besoin de réfléchir plus longtemps. Elle sentait qu’elle pouvait faire confiance à Naru… ou du moins à son instinct de survie. Du reste, elle n’était pas certaine d’avoir le luxe d’hésiter davantage.

• Libère-la, Syana, demanda Triss avant de s’adresser à Naru. Marché conclu. Je ne suis pas sûre de pouvoir te ramener à la Surface, mais on peut au moins t’aider à quitter la région. En échange, tu soigneras mon ami.
• Ça me va, accepta la sorcière.
• Tu lui fais confiance ? s’écria Syana, indignée.
• Nous n’avons pas vraiment le choix, rétorqua Triss. C’est ça où rester ici à jouer les esclaves pour l’éternité. Rien qu’en libérant l’élémental dans les quartiers de Cassandra, elle s’est mise en danger. Et je ne pense pas qu’on ait le temps de lui demander une dissertation sur ses motivations.

Syana serra les dents mais finit par relâcher Naru. Cette dernière se redressa en massant sa gorge. Puis elle toucha du bout des doigts les fers qui entravaient sa geôlière : ils s’ouvrirent aussitôt, délivrant ainsi la lamia qui se massa les poignets tout en observant sa libératrice avec méfiance.

• Dépêchons, les pressa Naru en se dirigeant vers Triss. Cassandra doit déjà avoir atteint le laboratoire. Il lui faudra un peu plus de dix minutes pour mater l’élémental, puis elle reviendra aussitôt. On a quinze à vingt minutes au maximum, peut-être davantage si elle croit que votre ami s’est vraiment infiltré ici. Mais il vaut mieux mettre les voiles au plus vite.

Naru toucha les fers de Triss. La chaine qui la reliait au mur disparut aussitôt, mais ses menottes magiques en revanche restèrent intactes.

• Que se passe-t-il ? demanda Triss en tendant ses poignets vers Naru. Pourquoi suis-je toujours menottée ?
• Je n’en sais rien… s’étonna Naru en passant la main sur les entraves magiques. C’est étrange… Elles ne viennent pas d’ici et la sorcellerie qui les imprègne est bien plus complexe. Je ne sais pas qui est la sorcière qui les a créées, mais elle s’y connaissait manifestement très bien.
• Tu peux me les enlever, oui ou non ?
• Je… ça risque d’être plus compliqué que prévu… et je n’ai pas envie de rester trop longtemps ici… Si la gardienne se réveille…
• Si je ne peux pas bouger librement, je ne pourrai pas me battre efficacement, rétorqua Triss.
• Il nous faut aussi nos armes, précisa Syana. Toutes nos affaires…

Naru claqua des doigts, et la barrière magique fermant la cellule s’évapora.

-Je l’avais anticipé, alors je les ai déjà récupérées et cachées. Mais il aurait été trop dangereux de les prendre avec moi jusqu’ici. Elles sont à l’extérieur de la prison. Dépêchons-nous de quitter cet endroit, s’il-vous-plait. Ensuite, je m’occupe de te libérer.

Triss aurait préféré avoir les mains libres pour se battre au cas où elles rencontreraient des ennemis. Néanmoins, la jeune fille se redressa et fit un signe de tête à Syana.

Les trois fugitives sortirent de la cellule. En tournant la tête, Triss put alors constater à quel point la prison était immense. L’escalier menait jusqu’à une plateforme en hauteur où de massives portes en fer bloquaient la sortie. La jeune vampire remarqua aussi que le plafond de la caverne au-dessus était couvert de stalactites reliées entre elles par des toiles d’araignées immenses, qui la firent frissonner à nouveau.

Pour la première fois, elle vit également les autres prisonniers entassés dans les cellules. Il y avait des captifs de nombreuses races, des monstres, des semi-humains, des démons… Beaucoup était amaigris, couverts de bandages avec de nombreuses cicatrices sur le corps. Certains se levèrent aussitôt dès qu’ils les aperçurent pour les supplier de les libérer à grands renforts de cris. D’autres au contraire se contentèrent de les regarder passer avec résignation, comme si l’espoir avait déjà quitté leur cœur.

Triss regarda Syana et se souvint de leur serment.

• Est-il possible de libérer tous les prisonniers d’un seul coup ? demanda-t-elle à Naru.

Cette dernière tressaillit.

• Tu ne veux quand même pas…
• Réponds-moi ou il n’y a plus d’accord.

Naru déglutit et parut ravaler une réplique bien sentie.

• Tu vois ce cristal ? C’est l’eyra qui contrôle toutes les cellules, lui expliqua-t-elle d’une voix contrariée en désignant l’énorme cristal qui paraissait flotter dans les airs au milieu du gouffre. Cependant il n’y a que Cassandra qui puisse s’en servir. Si nous autres sorcières voulons ouvrir des cellules, il faut le faire manuellement comme pour la vôtre… Mais il y a cinq-cents cellules ici… Toutes les ouvrir prendrait beaucoup de…
• Et si on brisait l’eyra ? proposa Triss.
• Eh bien normalement, toutes les barrières se désactiveraient, mais qui serait assez stupide pour essayer de…

Triss tendit ses bras vers Naru.

• Enlève-moi ça maintenant, ordonna-t-elle en jaugeant le cristal du regard.

Il était impressionnant. Mais à l’aide de sa magie, elle pensait parvenir à le fracasser sans trop de difficultés, d’autant plus que ses pouvoirs s’étaient renforcés grâce à son entraînement intensif avec Sheamon. Et depuis les évènements de Lutécia, elle avait l’impression d’être bien plus forte. Le moment était venu de savoir si elle avait raison.

Naru paniqua :

• Attends deux secondes ! protesta-t-elle en reculant. Tu n’es pas sérieuse ! On n’a pas le temps pour ça ! Il faut qu’on s’en aille d’ici avant que la gardienne ne s’aperçoive que vous n’êtes plus là !
• Impossible, refusa Triss. On doit détruire ce truc avant de partir où que ce soit !
• Oui, approuva Syana d’un signe de tête. Personne ne restera ici.

Quelque chose tomba soudain sur l’épaule de la lamia, qui poussa un petit cri de surprise, avant de se figer complètement, en état de choc. Il s’agissait d’une grosse araignée velue presque aussi grande que la main de Triss. Pendant cinq secondes, personne ne prononça la moindre parole.

Puis…

Syana sursauta en poussant un hurlement de colère, d’effroi et de dégoût mélangés. L’araignée passa dans son dos et la lamia se tortilla pour essayer de s’en débarrasser.

• TUEZ-LA ! rugit-elle d’une voix hystérique. J’ai horreur de ces bestioles !
• Attendez ! s’interposa Naru. Il ne faut absolument pas lui faire de mal ! Sinon sa mère… Hé !

Triss lui arracha son sceptre des mains et, l’empoignant comme une batte de baseball, frappa de toute ses forces l’araignée dans le dos de Syana lorsqu’elle entrevit un angle dégagé. La bestiole vola dans les airs et s’écrasa contre un mur avec tant de violence qu’elle explosa en morceaux gluant… Triss, dégoûtée, ne put s’empêcher retenir un haut le cœur.

• Tu as perdu la tête ! s’écria Naru en reprenant brutalement son bâton des mains de Triss. Et qui t’a permis d’utiliser mon sceptre comme un vulgaire balai ?!
• Désolée mais… je n’avais pas envie de toucher cette chose à main nue, s’excusa la jeune fille en frissonnant de dégoût.
• Ce n’est pas une raison ! C’est même pire, en fait !

Syana se redressa, ayant retrouvé son calme et la maîtrise de son corps.

• Merci Triss, dit-elle en inclinant la tête. Je déteste ces bestioles… Eux et nous, les reptiles… on se voue une haine mutuelle…
• Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ?! explosa Naru.

Syana et Triss échangèrent un regard étonné, ne comprenant pas pourquoi la sorcière se mettait dans un pareil état.

• J’ai juste écrasé une araignée, répondit Triss en haussant les sourcils.
• Ce n’est pas qu’une araignée ! C’est l’une des espionnes de la gardienne !
• La gardienne ? répéta Syana.
• C’est un monstre qui habite depuis des siècles sous Qaltra. Cassandra a passé un accord avec elle : en échange de sacrifices réguliers, elle se sert de ses enfants pour espionner toutes les conversations dans la ville. C’est ainsi que nous vous avons repérées. Mais le plus important, c’est qu’elle garde la prison. Et maintenant que vous avez tué l’une de ses enfants… il faut qu’on file d’ici avant qu’elle n’arrive ! Heureusement elle reste confinée dans les sous-sols de la tour…
• Ses enfants ? Attend, c’est quoi exactement cette gardi…

Soudain, un cri de rage résonna dans toute la prison. Syana, Naru et Triss se figèrent aussitôt. C’était sans conteste une voix féminine, mais empreinte d’une sauvagerie bestiale qui tenait plus du monstre que de la raison… Les prisonniers qui suppliaient les trois fugitives de les aider reculèrent instinctivement au fond de leurs cellules en tremblant, trop terrifiés pour oser avancer. Un cliquetis régulier se fit alors entendre, comme si quelque chose se déplaçait à cadence régulière sur la pierre. Le son provenait de l’intérieur des murs… Non, des fissures et des trous qui parcouraient la paroi. D’autres bruits identiques se mirent à résonner de concert pour créer un véritable grondement, comme si toute une armée s’était mise en mouvement.

• Laisse-moi deviner…lança Triss entre ses dents serrées. Ce n’est pas bon signe, c’est ça ?

Naru ne prit même pas la peine de répondre.

• Courez ! ordonna-t-elle en se dirigeant vers l’escalier à toute vitesse.

Sans hésiter, Triss et Syana lui emboitèrent le pas. Des araignées surgirent brusquement des fissures dans les murs, certaines encore plus grosses que celle écrasée par Triss quelques minutes auparavant. Elles atteignaient facilement les cinquante centimètres… et prirent aussitôt en chasse les trois fugitives.

L’une d’entre elle se jeta sur Triss, qui la repoussa d’un coup de pied et la fit ainsi basculer dans le vide.

• Il y en a aussi devant ! les avertit Syana.

Naru brandit son sceptre d’où jaillirent des flammes qui désintégrèrent la première rangée d’araignées en leur bloquant le passage. Mais le feu disparut rapidement et leurs congénères enjambèrent aussitôt les cadavres de leurs camarades pour continuer à avancer. Le chemin devant elles était désormais presque entièrement bloqué par les terrifiants arachnides.

• Tu n’aurais pas un tour de magie plus utile ? s’écria Triss en évitant de justesse de se faire agripper la jambe par l’une des araignées.
• Je n’y peux rien ! répliqua Naru, paniquée. Je ne suis pas une combattante !

Mais elle frappa tout de même le sol avec son arme en criant une sorte d’incantation. Deux bâtons de pierre sortirent du sol et jaillirent devant ses compagnes.

• Prenez ça ! C’est tout ce que je peux faire pour le moment !

Triss et Syana s’emparèrent des armes et s’en servirent pour dégager les araignées sur leur chemin, aidées par les flammes et les éclairs que Naru faisait régulièrement jaillir de son sceptre. Tout en repoussant la meute d’arachnides qui devaient se compter désormais par centaines, les trois fugitives continuèrent de progresser en serrant les dents dans l’escalier en spirale qui paraissait infini.

Elles réussirent finalement à arriver au bout de cette montée infernale, pour atteindre la plateforme où trônaient les inébranlables portes de la prison. Hormis cet espace qui composait le tier de l’étage, le reste n’était que du vide surplombant le gouffre et l’immense cristal en son centre.

Triss s’aperçut alors que des dizaines d’araignées ayant pratiquement taille humaine descendaient lentement du plafond grâce à de fins filins presque transparents. Ces dernières étaient bien plus grandes que les autres ! Les bords de la plateforme étaient déjà envahis par les arachnides, dont l’étau se resserrait lentement sur les fugitives…

• Aux portes, vite ! cria Naru en courant aussi vite que possible.

Triss transperça une araignée de sa lance et projeta le cadavre sur ses congénères, avant de suivre Naru. Elles avaient presque atteint les portes, quand quelque chose de massif atterrit soudain devant elles, les forçant à s’arrêter net pour ne pas être écrasées. Immédiatement, la horde d’araignées cessa d’avancer, dessinant un parfait demi-cercle de dix mètres de diamètre autour des fugitives.

Triss leva les yeux vers la chose qui obstruait l’entrée, en réprimant un frisson de dégoût.

La créature avait environ la taille d’un éléphant, peut-être même davantage. Le bas de son corps était celui d’une immense araignée noire avec une carapace sombre dotée de reflets vert fluo, lui conférant un étrange effet hypnotisant. Ses longues pattes avaient l’air aussi aiguisées qu’une lame de rasoir. Un buste de femme émergeait à l’endroit où aurait dû se trouver la tête de l’affreuse créature. Elle avait des bras armés de griffes monstrueuses d’un vert clair inquiétant, et des cheveux venimeux de la même couleur s’agitaient dans son dos. Son visage était presque humain ; mais elle possédait en plus sur le front quatre yeux sans pupilles aussi noirs que la nuit, et des crocs acérés remplaçaient ses dents.

• C’est quoi… ça ? murmura Triss, incrédule.
• Ça c’est… Leucosia… répondit Naru, les mâchoires serrées.

La femme araignée gronda de colère avant de darder ses six yeux en direction de Triss, Syana et Naru.

• C’est donc vous qui avez osé troubler mon sommeil et vous en prendre à mes enfants ! rugit-elle. Vous allez le regretter… Je suis Leucosia, celle qui règne sur ces profondeurs ! ET PERSONNE NE ME DÉFIT IMPUNÉMENT !

A suivre...