Chapitre 24 : Une promesse, Partie 2

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C’est alors que Triss ouvrit les yeux, posant son regard sur le renégat, qui recula immédiatement comme s’il avait été piqué par un scorpion. Un étrange silence envahit la pièce, le temps que la jeune fille retrouvât ses esprits.

  • Sh… Sheamon ! s’écria cette dernière en se redressant brusquement.

Mais elle était toujours à moitié endormie et ses jambes faillirent se dérober sous son poids. Le renégat l’attrapa aussitôt avant qu’elle ne perdît l’équilibre.

  • Fais attention, gamine, lui conseilla-t-il. Tu viens à peine d’émerger.
  • Tu es vivant ! continua de s’ébahir Triss.
  • Evidemment, rétorqua Sheamon. J’ai l’air d’être mort, pour toi ?
  • Non, mais… La malédiction… Tu… étais presque… Mais tu as survécu !

Triss fit un pas vers lui en écartant les bras, comme si elle allait l’enlacer, mais elle se figea d’un coup, soudainement gênée. Sheamon se sentit à la fois soulagé et déçu qu’elle ne fût pas allée jusqu’au bout de son geste. Il n’aurait probablement pas su comment réagir... La jeune fille esquissa un sourire embarrassé.

  • Enfin, je suis contente que tu sois en vie ! conclut-elle en lui administrant plutôt une vigoureuse tape sur l’épaule.

Un craquement sinistre retentit et Sheamon sentit la douleur exploser dans son bras gauche. Il serra les dents en agrippant son épaule.

  • Oh non je… je suis désolée ! s’écria Triss, dont la panique se lisait sur le visage.
  • Ça va, gamine, répondit-il. Elle est juste déboitée, rien de grave. Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, crois-moi…

Il remit son épaule en place d’un geste vif, supportant la douleur sans broncher. L’exorciste fit ensuite bouger son bras et fut satisfait du résultat.

  • Désolée… répéta Triss atterrée. Je ne voulais pas…

Sheamon esquissa un sourire mi moqueur, mi attendri.

  • Tu n’as pas changé, gamine… déclara-t-il avec un certain soulagement. D’après ce qu’on m’a raconté, tu t’es bien débrouillée pendant que j’étais inconscient. Tu m’as sauvé la vie.

La jeune fille rougit.

  • Hum, je… J’ai été aidée… Sans Syana, et Jonas, je… je n’y serais jamais arrivée. Et c’est Naru qui t’a soigné !
  • Mais sans toi, je serais mort, gamine.

Des bruits de pas se firent entendre, interrompant leur conversation. Jonas passa sa tête dans l’ouverture de la porte, Naru à ses côtés.

  • Bon retour parmi les vivants, mon ami ! lança Jonas. Alors, comment te sens-tu ?
  • En vie, répondit Sheamon en ramassant son arbalète avant de l’accrocher à sa ceinture. Vous tombez bien, à vrai dire. Suis-moi, devin, et toi aussi, sorcière. On doit parler.

Quelques minutes plus tard, ils étaient tous les quatre assis autour de la table de la salle principale, Sheamon et Triss d’un côté, Naru et Jonas de l’autre. Au centre, une bouteille de Marginarum, retrouvée par Sheamon dans un vieux placard poussiéreux, avec quatre verres. Il se souvenait vaguement qu’un ancien client la lui avait offerte en remerciement à la fin de son contrat. Mais personne n’avait envie d’y toucher. Le renégat sentait que la tension était palpable.

  • Bien, commença-t-il sans préambule. Je crois que le moment est venu de faire le point. Nous avons tous des objectifs différents mais, pour l’instant du moins, nous sommes ensemble, alors je pense qu’il est nécessaire de nous… faire confiance.
  • C’est vraiment toi qui tiens ce discours, Sheamon ? s’étonna Jonas, moqueur.
  • J’avoue que cela ne te ressemble pas vraiment, renchérit Triss.
  • Silence, grommela le renégat, avant de poursuivre. Ecoutez, je vais jouer cartes sur table. Vous savez que Triss est la fille de Némésis Nocturii, n’est-ce pas ?

Naru et Jonas hochèrent la tête.

  • Ainsi que l’unique vampire au monde qui puisse vivre sous la lumière du soleil, compléta la sorcière. C’est pour cela que Cassandra tenait tant à s’emparer d’elle…
  • Et elle n’est pas la seule, d’après ce que j’ai vu, ajouta Jonas avant d’adresser un clin d’œil à Triss. Tout le monde s’arrache ta beauté, princesse.

Celle-ci ouvrit la bouche pour répliquer, mais d’un geste de la main, Sheamon lui enjoignit de se taire.

  • Précisément, reprit-il. Or, tous les deux, vous avez été vus avec elle, que ce soit à Lutécia ou à Qaltra. Donc je ne serais pas étonné que les Nocturii, et peut-être d’autres, aient déjà votre signalement. S’ils vous attrapent, vous risquez d’être torturés pour vous arracher tout ce que vous savez sur Triss et moi. Que cela vous plaise ou non, nous sommes donc tous dans le même bateau.

La sorcière pâlit à vue d’œil, tandis que les traits de Jonas s’étaient durcis. Au moins, ils avaient l’air de comprendre la situation...

  • Je ne peux pas vous permettre de tomber entre les mains des Nocturii, déclara Sheamon franchement.
  • Alors tu suggères de nous tuer ? l’interrogea Jonas.

Le renégat devina à sa posture qu’il avait la main sur la garde de son couteau, mais le visage du devin ne trahissait pas la peur. Il savait pourtant que face à l’exorciste, il n’aurait aucune chance. Ce calme signifiait qu’il avait déjà vu le futur et savait ce qui allait se passer. Néanmoins, il restait prudent.

  • Non, lui répondit le renégat. Je préfère éviter de tuer quand je peux l’éviter. Et j’ai une dette envers vous deux, pour avoir aidé Triss à…
  • Je crois que tu te méprends, Sheamon, l’interrompit le devin en retrouvant son sourire malicieux. Je ne t’ai pas aidé par bonté d’âme. J’ai été engagé, par la princesse, plus précisément.

Sheamon haussa les sourcils et tourna la tête vers Triss, qui paraissait embarrassée.

  • Il n’était pas nécessaire d’en parler maintenant, gronda-t-elle en fusillant Jonas du regard.
  • Parle pour toi, princesse, répliqua le devin. Après tout comme l’a dit Sheamon, la confiance est de mise, non ? Je ne tiens pas à ce que mon argent me soit arraché après le dur labeur que j’ai fourni. D’ailleurs, tu me dois toujours le prix du péage, plus l’autre moitié de…
  • De quoi parle-t-il, gamine ? la questionna le renégat.

Triss se résolut alors à affronter son regard.

  • Eh bien, pour faire en sorte que Jonas m’aide… Je lui ai donné de l’argent, ton argent, en fait… lui révéla-t-elle à contrecœur. Six-cents inferis d’or… Ah, et j’en ai aussi perdu deux-cents lors de notre escapade à Qaltra… Je voulais m’en servir pour acheter les services d’une sorcière, mais elles m’ont pris la bourse quand j’ai été arrêtée. Je… je suis désolée, Sheamon.

C’était donc ainsi qu’elle avait réussi à contraindre Jonas à lui venir en aide ! Mais Sheamon n’était pas en colère. Il était même impressionné, en fait. Peut-être avait-elle hérité du tempérament négociateur de son oncle.

  • Tu n’as pas à te justifier gamine, répondit Sheamon en haussant les épaules. De l’argent, j’en ai suffisamment. Mais je n’ai qu’une vie. Tu as fait ce qui s’imposait.

Le renégat adressa un sourire à Triss, qui parut véritablement soulagée. Il se tourna ensuite vers Jonas.

  • Je te payerai le reste de ce que tu réclames devin, affirma-t-il. Maintenant revenons à notre affaire. Comme je vous l’ai dit, je ne peux pas risquer que vous tombiez entre les mains des Nocturii… du moins pas tant que Triss ne sera pas en sécurité. Nous sommes en route pour Varenn, un refuge pour les vampires qui cherchent à échapper à la tyrannie de Némésis. Je viens de vérifier le cap ; même en tenant compte de votre détour à Qaltra, nous en avons pour trois ou quatre jours de vol. Je vous propose de nous accompagner jusque là-bas. Ensuite, chacun fera ce qu’il voudra... Je t’emmènerai à la Surface, sorcière ; quant à toi devin, tu pourras vivre ta vie comme tu l’entends. La seule chose que je vous demande, bien sûr, c’est de ne jamais révéler à qui que ce soit ce que vous avez appris ou apprendrez ici.

Il sentit Triss tressaillir à ses propos, mais il n’eut pas le temps de se tourner vers elle que Jonas prenait déjà la parole.

  • Je suis d’accord, accepta ce dernier avec un sourire entendu, ce qui confirma les doutes de Sheamon ; Jonas avait bien vu le futur. Je n’ai aucune envie de subir les tortures des vampires, ou d’être assassiné par je ne sais quels mercenaires. Avec toi, au moins, mes chances de survie sont plus grandes.
  • Tu me prends pour un garde du corps ? grommela Sheamon.
  • Plutôt comme une sorte de gros monstre, qui éloigne les plus petits par sa simple présence… Sans vouloir t’offenser, bien sûr.
  • Je suis aussi d’accord, intervint à son tour Naru alors que Sheamon s’apprêtait à répliquer. Elle ajouta précipitamment devant le regard du renégat : enfin, je parlais de votre proposition ! Ce sera plus sûr de voyager ensemble. Surtout après ce qu’il s’est passé à Qaltra…
  • Tu veux vraiment rejoindre la Surface ? s’étonna Jonas. Tu es peut-être mieux à rester en Enfer. Je doute qu’Alliance Sorcière te laisse tranquille, surtout lorsqu’elles auront appris que tu les as trahies… Et ici au moins, leur influence est moindre. Qaltra était une exception.
  • Je n’ai pas l’intention de me laisser capturer, rétorqua Naru. J’ai une famille à retrouver.
  • Pourtant j’imagine que c’est exactement là qu’elles te chercheront…
  • Et vous, que voulez-vous faire ? lui demanda Triss alors que le visage de son amie s’assombrissait.

Le sourire de Jonas s’élargit.

  • C’est bien que tu poses la question, répondit-il d’un ton théâtral. Ton argent (enfin, celui de Sheamon) va servir à financer ma quête. J’ai un projet quelque peu ambitieux : reforger l’épée de Perceval, pour devenir le Roi des Enfers…

Sheamon crut tout d’abord que le devin plaisantait, mais il s’aperçut rapidement avec surprise que celui-ci était des plus sérieux.

  • Ce n’est pas une blague ? fit la jeune vampire, qui oscillait entre l’étonnement et l’hilarité.
  • Absolument pas, princesse. Le Roi-Démon Jonas, premier du nom… Cela sonne plutôt bien, non ?
  • Je préfère ne pas répondre, ironisa la jeune fille.
  • Tu sais sûrement qui est le Roi-Démon ? l’informa Sheamon.
  • Bien sûr.
  • Alors tu sais aussi que Satan est l’un des Quatre Seigneurs Primordiaux depuis bien avant l’Aube Ecarlate… Et ce n’est pas par simple respect qu’il est toujours sur le trône ! Satan n’a jamais été vaincu. Même son ennemi le plus tenace se terre au fond des Enfers, incapable de l’affronter de face.
  • J’en suis bien conscient, répliqua Jonas. Mais si je reforge l’épée de Perceval, j’ai une chance de le vaincre… peut-être. C’est une arme créée par Dieu lui-même. J’avoue toutefois qu’il me faudrait un peu d’aide, mais ce n’est pas irréalisable, je pense… Et puis, il se peut qu’il y ait d’autres héritiers des chevaliers de la Table Ronde qui cherchent la même chose que moi.
  • Et pourquoi voulez-vous éliminer Satan ? l’interrogea Triss.
  • Parce qu’il est corrompu et qu’il est dépassé ! s’exclama Jonas en haussant les épaules. Et puis sérieusement, je serais un bien meilleur roi que lui, non ? Les Enfers méritent du sang neuf pour tenir les rênes !

Sheamon haussa les sourcils. Il avait l’impression que Jonas ne leur révélait pas tout et que ses motivations étaient bien plus profondes… Mais ce n’était pas son problème.

  • C’est ton destin, après tout, déclara-t-il en haussant les épaules avant de se lever. Bien ! Puisque nous sommes d’accord, je vais mettre le cap sur Varenn. Installez-vous.

Sur ses mots, il se dirigea vers l’écoutille, Ryku sur ses talons.

  • Il a récupéré, c’est certain, remarqua Jonas dès que le renégat eut disparu, avant de se tourner vers Triss. On ne dirait pas qu’il était mourant il y a quelques heures !
  • Il n’est pas encore complètement remis, intervint Naru. Contrairement à ce qu’il laisse paraitre, le maléfice l’a affecté très profondément. Cela demandera plus de temps avant qu’il ne recouvre totalement ses capacités.

Soucieuse, Triss se mordit les lèvres, ce que Jonas ne manqua pas de remarquer.

  • Tu t’inquiètes pour lui, princesse ? la taquina le devin. Crois-moi, Sheamon est robuste.
  • Je ne m’inquiète pas ! rétorqua Triss avec une parfaite mauvaise foi. Mais, sans lui, je n’arriverai jamais à Varenn, et mon avenir…
  • Tu ne resteras pas à Varenn, la prévint soudain Naru.

Triss s’interrompit et croisa le regard de la sorcière, qui paraissait hésitante.

  • Que… Que veux-tu dire ? lui demanda-t-elle vivement.
  • Eh bien… C’est ton destin, Triss. Tu te souviens de la vision dont Cassandra t’a parlé ? C’est Morgane elle-même, la Sorcière d’Opale qui dirige Alliance Sorcière, qui a eu cette vision et en a averti Cassandra. D’après elle, une guerre se prépare. Une nouvelle Aube Ecarlate. Et toi, Triss, tu auras un rôle à y jouer…

Encore cette histoire... Sur le moment, Triss n’y avait pas prêté attention, car son esprit était concentré sur son évasion et le sauvetage de Sheamon. Mais maintenant…

  • Et quel rôle j’y jouerai ? l’interrogea-t-elle de nouveau, même si elle n’était pas sûre de vouloir entendre la réponse.
  • La vision de Morgane n’était pas assez précise, ou bien elle a choisi délibérément de ne pas tout révéler à Cassandra... Toujours est-il que selon elle, tu seras aux côtés de Nathan Skydrake lors de cette grande guerre.

Triss tressaillit. Ce nom lui disait quelque chose… mais elle n’arrivait pas à se rappeler où elle l’avait déjà entendu… Soudain, la mémoire lui revint. A Nice, sur la terrasse du café. Son nom était dans le journal de Sheamon.

  • Ce n’est qu’un humain, murmura Triss.
  • C’est l’Empereur-Dragon Blanc, lui apprit Naru.

Jonas, qui s’était servi un verre de Marginarum, faillit s’étouffer avec son contenu. Triss fut tout aussi surprise. Son oncle lui avait raconté l’histoire de ces monstres dévastateurs qui avaient bien faillit dominer le monde. Elle se souvint alors du visage sur la photo du journal. Penser que ce garçon, Nathan Skydrake, possédait un tel pouvoir de destruction et qu’elle était censée s’allier avec lui dans le futur…

  • Par les cornes de Satan, lâcha le devin. Un nouvel Empereur-Dragon… Il n’a pas encore tenté un coup d’Etat ?
  • Eh bien en ce moment, il fait la guerre au Phénix en Amérique, d’après nos sœurs là-bas.
  • Et je deviendrais son alliée ? marmonna Triss sceptique. Je vous l’ai dit, je n’ai aucune intention de m’impliquer dans une quelconque guerre !
  • Tu n’auras peut-être pas le choix, princesse, reprit Jonas, l’air grave. Même si tu te caches aux confins du monde, les Nocturii chercheront toujours à t’attraper. Tu es bien trop précieuse pour qu’ils puissent se résoudre à t’abandonner. Il ne te restera alors que deux voies possibles : les rejoindre et servir Némésis, ou bien t’opposer constamment à elle.

Triss plissa les yeux. L’expression du devin paraissait étrange.

  • Vous n’avez pas tout dit lorsque vous avez vu mon avenir, comprit Triss.
  • C’est exact, reconnut le devin.
  • Qu’avez-vous appris exactement ? Et ne me cachez rien cette fois… je veux tout savoir.

Jonas resta silencieux pendant quelques secondes, puis il se resservit un verre de Marginarum ; ses yeux suivirent le liquide qui coulait lentement.

  • Je t’ai déjà expliqué comment marche le futur, princesse, finit-il par répondre.
  • Oui, s’impatienta Triss. Le futur est comme les branches d’un arbre, il y a des dizaines de chemins différents suivant nos actes. Il n’est pas gravé dans le marbre.
  • Exactement. Le futur que je vois est modifiable par nos actes. Mais ta dernière phrase n’est pas complètement correcte. Il arrive que nous ayons, nous autres devins… des visions particulières. Elles sont différentes des autres, parce qu’elles… on pourrait considérer qu’elles s’imposent à nous.
  • Que voulez-vous dire ?
  • Je crois que cela signifie qu’elles apparaissent sans prévenir et qu’elles sont inévitables, expliqua Naru. J’ai lu quelques livres au sujet de la divination.
  • C’est exactement ça, confirma le démon. Ces visions peuvent arriver à tout moment et le devin n’a aucun contrôle sur elles. Il ne sait généralement pas quand elles se réaliseront, ni de quelles manières. Elles peuvent apparaitre comme des flashs, des scènes… Mais elles présentent toutes deux points communs. Premièrement, chacune d’entre elle est accompagnée d’une voix.
  • Une voix ? S’étonna Triss.
  • La voix de la Pythie… murmura Naru avant d’ajouter devant le regard interrogatif de Triss ; C’est ainsi qu’a été surnommée la voix que les devins entendent lorsqu’ils ont ces visions… Tous la décrivent comme une voix de femme sans âge, mystérieuse et grave. Ceux qui l’ont entendue… ne l’oublient jamais.
  • Exact encore une fois, approuva Jonas en buvant son verre d’une traite, puis il regarda Triss dans les yeux. Ces visions, on les appelle des Prophéties. Et contrairement aux autre visions, elles se réalisent toujours, sans exception, peu importent les moyens qui sont mis en œuvre pour les arrêter… Je n’en ai eu que deux dans ma vie, et c’est pourtant bien plus que la plupart des devins : certains n’en reçoivent jamais de toute leur vie. Et sur les deux que j’ai reçu, l’une d’entre elles m’est apparue quand j’ai regardé ton avenir.
  • Mais qui me dit que vous ne me mentez pas encore une fois, hein ? réagit Triss avec agressivité, bien plus qu’elle ne l’aurait voulu. Comment je pourrais avoir confiance en vous ?
  • Triss, intervint Naru, hésitante. Je ne pense pas qu’il te voulait du mal. Connaitre une prophétie, c’est un lourd fardeau… Certains sont devenus fous en entendant la leur et ont commis des atrocités en cherchant à empêcher sa réalisation.
  • Ce n’est pas à lui de décider de mon avenir ! gronda Triss.
  • Tu as raison, admit Jonas. Je n’aurais pas dû te la cacher. Mais à ce moment-là, nous ne nous connaissions pas vraiment et ce n’est pas quelque chose que l’on dévoile aisément… Je ne voulais pas risquer de me faire crucifier par Sheamon ou toi. Mais je sais que je ne serai pas tranquille tant que je ne t’aurai pas transmis la vérité. C’est le fardeau d’un devin. Et c’est pourquoi aujourd’hui je suis prêt à te révéler ta prophétie.
  • Comment être sûre que vous n’allez pas… encore omettre une partie des faits ? lâcha Triss avec méfiance.

Naru ouvrit la bouche pour parler, mais Jonas leva la main pour l’arrêter.

  • Tu le sauras, répondit-il, l’air sombre. Je te garantis qu’aussitôt que tu l’auras entendue, tu comprendras au fond de toi que je dis la vérité… toute la vérité. Et tu devras vivre avec. Tel est le fardeau d’une prophétie.

Triss sentit un grand malaise l’envahir. Elle avait peur. Son instinct lui soufflait de quitter la pièce immédiatement. Elle savait qu’entendre les révélations de Jonas ne lui ferait aucun bien, au contraire. Et pourtant, Triss avait compris qu’elle ne pouvait pas reculer… Elle devait savoir. La jeune fille déglutit avec difficulté, rassemblant son courage.

  • Dites-moi la vérité, murmura-t-elle.

Jonas poussa un soupir et se força à la regarder en face. Lorsqu’il ouvrit la bouche, Triss fut saisie d’un grand froid, comme si le monde autour d’elle était devenu glacé.

  • Lorsque le Phénix brisera ses chaines pour prendre sa revanche, le Champion du Très-Haut se dressera sur son chemin. Le Prince, le Retors et l’Indomptable s’uniront contre les trois Anciens. Chaos et Ténèbres recouvriront le Monde. Assaillie par la culpabilité, la fille de lumière fuira sa mère jusqu’aux confins de la Terre, protégée par l’amour et les sacrifices. Elle payera le prix des péchés de sa famille et connaitra la souffrance de l’esclave. Confrontée au sang des martyrs, elle acceptera son nom et son destin pour allumer la flamme de la rébellion sur l’autel des victimes. Avec l’aide du Dragon Blanc et du Chevaucheur de Brume, la Princesse du Jour défiera la Reine de la Nuit et le Roi Déchu pour briser le cycle de la servitude. Et la guerre pour le Trône Submergé amènera le crépuscule ou l’aube sur le peuple maudit.

Triss resta figée, incapable de prononcer un mot, tandis que les paroles de Jonas pénétraient au plus profond de son esprit. Sacrifices… Prix... Péchés… Victimes… Martyrs…

Esclave.

Le froid la transperça jusqu’à la moelle. Elle sentit soudain une nausée irrépressible l’envahir, avec l’envie urgente de fuir cet endroit ainsi que les regards de Jonas et de Naru… La jeune fille se leva brusquement de sa chaise, la main sur la bouche, et se précipita vers l’écoutille pour gagner le pont supérieur.

Le silence qui régna dans la pièce après son départ était lugubre. Jonas prit alors la bouteille de Marginarum et se servit un autre verre avec une expression dégoûtée. Il s’en voulait déjà d’avoir parlé, à vrai dire. La princesse avait subi assez de malheurs pour toute une vie, et il venait de lui annoncer que son futur serait encore pire… Mais Jonas savait qu’il n’avait pas le choix. C’était la prophétie de Triss et elle devait l’entendre.

  • Était-ce vraiment nécessaire de lui révéler ça ainsi ? lui reprocha alors Naru, rompant le silence.
  • Indispensable, rétorqua Jonas. Elle l’aurait su de toute manière. Tel est son destin : je n’en suis que le messager, pas l’auteur. Cette fille est de ceux qui vont redéfinir notre monde, et cela se fera par la guerre, le sang… et les sacrifices. Ce qu’elle va subir… je n’ai aucun moyen de l’empêcher. Mais cela la marquera et fera d’elle une autre personne. Alors j’aimerais qu’elle ait au moins la possibilité de s’y préparer…
  • Je croyais que vous vous moquiez de ce qui pouvait arriver aux autres…
  • C’est exact. Seuls les crétins s’en préoccupent.

Jonas ponctua sa phrase en vidant son verre d’une traite, avant d’ajouter entre ses dents.

  • … Et il semblerait que j’en soi un aussi.

A suivre...

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