Chapitre 31 : La face cachée de Varenn, Partie 4
Triss ne savait pas combien d’heures s’étaient écoulées depuis le départ de Sheamon. La jeune vampire était restée assise à même le sol, le dos appuyé contre le mur métallique, le regard perdu dans le vide. Triss aurait dû descendre dire au moins au revoir à Jonas et Naru qui allaient aussi partir, mais l’idée de recroiser le visage du renégat la tétanisait.
Elle ne savait plus quoi faire.
La jeune fille n’avait rien voulu laisser paraître devant Sheamon, mais la décision du renégat l’avait profondément blessée. Elle qui avait cru avoir enfin trouvé une personne de confiance, ainsi qu’un futur désirable… se voyait de nouveau abandonnée et trahie. Elle était en colère, bien sûr. Contre Forlwey, Evander et tous ceux qui cherchaient à l’utiliser à leur avantage…
Mais elle avait beau essayer, elle ne pouvait tout simplement pas en vouloir à Sheamon.
Triss avait compris que ce brusque changement de comportement ne correspondait pas au renégat. Il était revêche, méfiant, un peu prétentieux parfois, mais la jeune fille savait qu’il ne donnait pas sa parole à la légère. Pourtant, tout à l’heure, elle avait senti que Sheamon était sur ses gardes, comme s’il choisissait ses mots avec soin…
En plus, cette façon de parler… n’était pas celle du renégat. Quelqu’un l’avait forcé à tenir ces horribles propos. Et le seul nom qui lui venait en tête était celui d’Evander. Il avait dû menacé Sheamon pour qu’il la laissât là… grâce à l’Aurora peut-être… Non ! Sheamon aurait pu l’obtenir lui-même, n’ayant rien à craindre d’Evander et de ses hommes. Seul Voldra était capable de causer des ennuis au renégat, mais il n’avait pas le droit de pénétrer dans la montagne : Ilyann le lui avait confirmé.
Néanmoins, quelles qu’en fussent les raisons, Sheamon avait été contraint d’obtempérer et de partir. Triss serra les dents, sentant la colère l’envahir. Elle se promit d’avoir une conversation avec Evander à ce sujet… et elle obtiendrait des réponses.
Aussitôt, elle éclata de rire. Sa propre imagination lui paraissait risible. Était-elle toujours aussi naïve ? Pourquoi ne pouvait-elle tout simplement pas admettre que Sheamon, après avoir réfléchi, s’était effectivement rendu compte que s’occuper d’une gamine, poursuivie par la moitié du monde qui plus est, risquait d’être trop dangereux pour lui ?
« C’est pathétique… » lui susurra Triss Nocturii, la voix sombre de son esprit. « Tu as placé ta confiance dans ce mercenaire… Tu as même cru que tu comptais pour lui… que tu pourrais vivre avec lui ! Ridicule, Triss… Et à présent, il t’a abandonnée, naïve que tu es, tout simplement parce qu’il n’a plus besoin de toi. Peut-être est-ce ta destinée, finalement : servir les intérêts des autres avant d’être rejetée comme un chiffon sale… »
« Sheamon ne s’est pas servi de moi, j’en suis certaine ! » rétorqua Triss, indignée « Il n’a pas eu le choix ! »
« Tu ne crois pas t’être déjà assez bercée d’illusions ? »
Triss ne trouva rien à répondre. Elle ne savait plus quoi croire.
Elle entendit soudain dans le couloir des pas précipités qui paraissaient se rapprocher d’elle. Puis la porte de sa cabine s’ouvrit à toute volée, livrant le passage à un Jonas épuisé et aux abois.
- Jonas ? s’étonna Triss, abasourdie.
- Princesse ! Je suis si content de te revoir ! s’écria le devin avant de retrouver un visage sérieux. Où est Sheamon ?
Triss se figea.
- Il est… parti… répondit-elle d’une voix blanche.
- Parti ? répéta Jonas hébété, tandis que ses traits se tordaient dans une grimace d’incompréhension. En te laissant ici ?
La jeune fille serra les dents. Comme d’habitude, le devin appuyait toujours là où ça faisait mal.
- Oui, parti en m’abandonnant ici ! répéta-t-elle, agacée. Cela vous convient comme réponse ?
- Tu ne comprends pas, princesse, c’est une catastrophe qu’il soit parti !
- Inutile de me le dire… Mais vous ne deviez pas partir avec lui ?
Jonas ricana nerveusement.
- Je ne l’ai pas croisé depuis hier ! révéla-t-il. J’imagine que c’était parfait pour Evander…
Triss tressaillit.
- Evander ? répéta-t-elle aussitôt, sentant une sombre appréhension lui tordre l’estomac. Qu’a-t-il fait ?
Le devin, qui avait le souffle court, eut besoin d’un instant avant de lui répondre.
- Cet endroit… s’exclama-t-il avec dégoût, n’est absolument pas ce qu’il parait ! Et Evander est forcément derrière tout ça…
- Derrière quoi, Jonas ? s’impatienta Triss.
- Sheamon avait raison, princesse. Varenn a une face cachée terrifiante, je l’ai vue de mes yeux. Ils capturent des gens et les enferment dans des cages pour leur pomper des litres de sang afin d’approvisionner toute la colonie ! Et quand ils en ont fini avec eux, ils les vendent à des marchands d’esclaves. C’est ainsi qu’ils se procurent tout ce dont ils ont besoin ! J’ai été découvert alors que je les espionnais. J’ai réussi à prendre la fuite et à me cacher dans une réserve, mais maintenant ils me cherchent partout !
La jeune fille, stupéfaite, comprit alors que les doutes de Sheamon étaient justifiés. Et si cet endroit était loin d’être le havre de paix qu’Evander avait voulu lui faire imaginer, cela laissait supposer que le guide de Varenn avait bel et bien trompé le renégat pour le forcer à partir ! Dans quel but ? C’était on ne peut plus évident : avoir la main sur elle, la Nocturii capable de résister à la lumière du soleil. Pourquoi ? Si les méthodes d’Evander étaient plus sombres, Triss imaginait aisément que quels que fussent ses projets pour elle, son libre arbitre et son bonheur étaient à n’en pas douter le cadet de ses soucis…
Cependant, pour quelle raison avait-il décidé de garder ses amis, au lieu de les laisser repartir avec Sheamon ? Pour priver le renégat d’alliés potentiels s’il décidait de revenir la secourir ? Si tel était bien le cas, Evander ne tarderait sûrement pas à se débarrasser d’eux…
- On doit retrouver Naru et Philippa ! décida-t-elle en s’emparant de sa pièce écarlate. E
Son cœur brûlait d’espoir. Sheamon avait été forcé de lui mentir. Il avait voulu la protéger ! Tout pouvait encore s’arranger... Il ne lui restait plus qu’à retrouver ses deux amies et… Aussitôt après avoir formulé cette pensée, Triss réalisa la difficulté d’une telle opération. Jonas renchérit ses craintes en secouant la tête.
- C’est impossible que nous puissions sortir d’ici sans attirer l’attention, objecta-t-il. Je suis déjà recherché et quant à toi, tout le monde te remarquera. Les gens nous repèreront sans difficultés. D’ailleurs, si nous essayons de passer inaperçus, ce sera encore pire. A mon avis, personne ne prend la peine de couvrir son visage à l’intérieur du cratère.
- Ilyann pourrait peut-être nous aider… Si on le retrouve, je suis certaine qu’il nous donnera un coup de main !
- Le fils d’Evander ? ricana Jonas. Il nous dénoncerait aussitôt ! Si son père dirige Varenn, il est forcément au courant que des gens sont réduits en esclavage ici ! Ce n’est sûrement pas notre allié !
Triss voulut protester. Ilyann lui avait paru être quelqu’un de bien, incapable de fermer les yeux devant une injustice et prêt à aider ceux qui en avaient besoin. S’il avait été au courant de ce qui se passait au refuge, nul doute qu’il se serait insurgé contre cette pratique barbare et aurait aidé Triss et Jonas à s’en sortir.
Du moins, c’était ce qu’elle voulait croire. Combien de fois en effet s’était-elle déjà trompée sur les gens qu’elle prétendait connaitre ? Peut-être que la gentillesse d’Ilyann n’était qu’une façade, comme le supposait Jonas, et qu‘il cherchait juste à tirer avantage de Triss, en parfait accord avec son père adoptif… Dans tous les cas, il serait trop dangereux de s’en remettre à lui, d’autant plus qu’elle ne savait pas où il était.
- Donc on est seuls, comprit la jeune fille. Comment allons-nous pouvoir récupérer Naru et Philippa si on ne peut pas…
Elle entendit soudain des bruits de pas qui se rapprochaient rapidement dans le couloir. Tout un groupe, semblait-il.
- Des gens arrivent ! avertit-elle.
A suivre...
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