Chapitre 31 : La face cachée de Varenn, Partie 6
- Euh, princesse ? chuchota Jonas, légèrement inquiet. Je n’ai pas très envie d’être saigné par ces monstres, tu sais ! Alors évite de les provoquer, je te prie…
- S’ils nous attrapent, vous serez le premier qu’ils écorcheront, répondit la jeune fille, les dents serrées. Vous n’avez aucune valeur pour eux.
- C’est vrai… admit le devin en hochant la tête.
- Assez de discussions ! hurla Opra en brandissant sa machette.
Avec des cris de guerre, la première ligne des vampires se jeta sur Jonas et Triss. Le devin lança sa dernière bombe fumigène, noyant presque instantanément tous leurs assaillants dans un épais nuage de fumée blanche. Les vampires furent pris au dépourvu, et en quelques secondes à peine, ce fut la panique.
- Restez derrière moi ! lança Triss à Jonas en faisant apparaitre une légère lumière dorée sur le dos de sa main, juste assez puissante pour permettre au devin de la repérer dans la brume.
Triss brandit sa lame et attaqua son premier adversaire, qui ne comprit le danger que lorsqu’elle ne fut plus qu’à quelques centimètres de lui. Elle lui enfonça sa rapière dans la gorge, avant d’entourer sa main d’une lame d’énergie dorée pour transpercer la poitrine d’un autre ennemi. L’effet du fumigène commençait cependant à s’affaiblir et, déjà, ceux qui étaient à quelques mètres de la jeune fille parvenaient à l’apercevoir. Ils se ruèrent aussitôt sur elle. Triss les accueillit de pied ferme. Elle se battit comme une lionne, s’enfonçant sans difficulté dans les rangs de ses ennemis, car personne ne pouvait rivaliser avec sa force et sa magie destructrice. Jonas surveillait ses arrières, défendant la jeune fille de toute attaque traitresse tout en se frayant un chemin dans le sillage qu’elle creusait. La furie de Triss finit par provoquer un mouvement de panique parmi leurs assaillants, dont la colère n’était pas assez grande pour les aveugler au point de foncer tête baissée mourir sous ses coups. Pendant quelques minutes, les assauts faiblirent.
Néanmoins Triss savait que cet instant de triomphe ne durerait pas. L’ennemi se regrouperait dès que la fumée blanche se serait complètement évanouie. Et à tout moment, Jonas ou elle pouvaient être blessés par traitrise. Ils devaient donc s’enfuir au plus vite.
Elle pouvait tenter de forcer le barrage qui lui interdisait l’accès à l’escalier menant au tunnel. Cependant même en admettant qu’elle réussît à le franchir, Triss n’avait aucune idée de comment se retrouver dans le dédale de galeries à l’intérieur de la montagne. Ils s’y perdraient facilement ; or les vampires, qui connaissaient parfaitement les tunnels, les coinceraient très vite. La seule solution logique était de s’enfuir par la voie des airs, mais elle ne parviendrait pas à maintenir son vol pendant suffisamment longtemps pour pouvoir atteindre le ciel. Jonas en revanche, pourrait quitter cet endroit rapidement.
Et peut-être aller chercher l’aide de Sheamon…
A cet instant, un cri derrière elle lui fit faire volte-face. Jonas peinait à se défendre des assauts de deux combattants en même temps. Triss vint à son secours et élimina son premier adversaire d’un coup d’épée. Le second, qui s’y attendait, esquiva la première attaque de la jeune fille. Il répliqua par un coup de hache, mais Triss d’un revers de sa lame d’énergie trancha net le métal, coupant ainsi l’arme en deux. Le vampire, surpris et effrayé, n’eut pas le temps de reculer, si bien que Triss lui planta aisément sa rapière dans la poitrine.
- Jonas, vous devez vous envoler ! lui commanda alors la jeune fille en parant le coup d’un nouvel assaillant, étrangement armé d’un tuyau de canalisation arrachée (arme cependant plus terrifiante que son nom ne le laissait supposer…). Ils ne pourront pas vous poursuivre !
- Hors de question de te laisser ici, princesse ! répliqua le devin. Je peux te porter !
- Impossible, il y a des tireurs sur les toits ! Si vous êtes trop lent, ils vous atteindront… et on ne peut pas prendre ce risque.
Tout en parlant, Triss repoussait férocement les assauts de trois assaillants plus téméraires que les autres, tandis que Jonas était aux prises avec une femme armée d’une dague qui faillit lui taillader le visage.
- Quand bien même… grommela-t-il avec effort. Il est hors de question que je t’abandonne, princesse ! J’ai des principes, par Satan !
- Ecoutez, ils gardent toujours Philippa et Naru ici. Si je m’enfuis, elles ne leur seront plus d’aucune utilité et ils les tueront ! Je ne peux pas partir avec vous !
La fumée s’était à présent presque dissipée ; les vampires se rassemblaient de nouveau. Triss fit disparaitre sa lame d’énergie pour bombarder ceux qui les attaquaient de rayons incandescents tout en repoussant les autres de son épée et en gardant un œil sur Jonas, qui peinait à se défendre avec son couteau. Leurs adversaires étaient trop nombreux…
Elle aperçut soudain l’un des tireurs braquer son fusil sur le devin. Triss réagit d’instinct et poussa celui-ci au moment où retentissait la détonation. La jeune fille sentit aussitôt une douleur aiguë embraser son épaule. Elle baissa les yeux et s’aperçut que la balle l’avait atteinte au-dessus de la poitrine. C’était la première fois de sa vie qu’elle était ainsi touchée, et elle en ressentit le choc jusqu’au bout de ses orteils. La jeune fille tituba.
- Triss ! s’écria Jonas.
Serrant les dents, celle-ci réussit pourtant à conserver son équilibre. Avec une grimace de douleur, elle agrippa la veste du démon et le tira brutalement vers elle, manquant ainsi de le déséquilibrer. Triss brandit sa lame dans les airs et concentra sa magie dans la pointe, dotant ainsi cette dernière d’une lumière aveuglante qui inonda la rue. Les vampires se cachèrent les yeux en poussant des hurlements de douleur, tant la luminosité était forte. Des marques de brûlures apparurent même sur la peau de ceux qui étaient les plus proches. Pour éviter d’être aveuglé, Jonas, comprenant que Triss l’avait protégé, tourna le dos à la source de lumière. Cela leur permit de temporiser un peu. Pour lors, personne n’était capable d’intervenir, en s’approchant cette espèce de soleil miniature que la jeune fille avait matérialisé. Même s’il n’avait bien évidemment pas la même puissance, il serait suffisamment efficace pour les retenir quelque temps.
- Dépêchez-vous de fuir ! lança Triss à Jonas. Je ne vais pas pouvoir maintenir cette lumière très longtemps !
- Je…
- Maintenant, Jonas ! Vous devez trouver Sheamon ! C’est le seul moyen de tous nous sauver !
Triss esquissa un sourire ironique en tentant d’ignorer la douleur dans son épaule.
- Et au cas où, j’aimerais au moins ne pas avoir votre mort sur la conscience… murmura-t-elle.
Jonas resta silencieux. Triss crut qu’il n’avait pas entendu ses paroles, ce qui n’aurait pas été surprenant en raison du vacarme qui régnait autour d’eux. Mais soudain, elle l’entendit s’écrier d’une voix tenaillée par les remords :
- Je reviendrai, princesse ! Tu as ma parole !
La jeune fille tourna la tête juste à temps pour le voir décoller et gagner rapidement de l’altitude. Soulagée, Triss le regarda s’éloigner tout droit vers le ciel écarlate, en direction du sommet de la Montagne Décapitée. Tout espoir n’était donc pas perdu. Si Jonas trouvait Sheamon et lui révélait la vérité, ce dernier ne tarderait pas à agir, elle en était convaincue.
Un tireur tenta de braquer son fusil sur Jonas en visant presque à l’aveuglette. Le devin cependant, volait trop vite et il était déjà trop haut pour être touché : les balles ratèrent largement leur cible. Triss mit fin au soleil miniature qu’elle avait fait apparaitre quand elle fut certaine que le devin ne risquait plus rien. C’était sur elle qu’elle voulait que ses ennemis se concentrent… et Triss était déterminée à vendre chèrement sa peau.
- Approchez ! rugit-elle en faisant face à ses adversaires, sentant une poussée d’adrénaline qui étouffa la douleur qu’elle ressentait. Venez me chercher si vous l’osez !
Les vampires l’attaquèrent aussitôt. Triss éventra le premier d’un coup d’épée et abattit le second en le transperçant avec la lame d’énergie qu’elle fit apparaitre sur sa main gauche. Elle faucha ensuite méthodiquement tous ceux qui osaient s’approcher d’elle, tandis qu’une véritable folie sanguinaire semblait prendre possession de son corps.
« C’est ça ! Tue-les tous ! » lui susurrait Triss Nocturii dans son esprit « Plus de sang ! ENCORE PLUS ! »
Triss se sentait de nouveau étrangement attirée par cette voix. Pourquoi ne pourrait-elle pas céder à la tentation une nouvelle fois ? Quelle joie de retrouver ce sentiment de puissance déjà ressenti à Lutécia, lorsqu’elle s’était laissé envahir par ce désir de tout détruire !
La jeune fille se retrouva soudain face à Opra, dont les yeux, malgré sa peur évidente, brillaient de détermination et d’une furieuse envie de vengeance. En hurlant, elle attaqua Triss, hachoir au poing. La jeune fille fut plus rapide. Elle lui attrapa le poignet et le tordit brutalement, forçant Opra à lâcher son arme. Ensuite, Triss leva son épée, mais stoppa net son geste quand elle croisa le regard d’Opra. Cette haine pure mélangée à l’effroi qu’elle lui inspirait fut soudain comme un électrochoc.
- Sale monstre… gronda Opra.
Triss comprit qu’à cet instant pour son adversaire, la jeune fille n’était pas différente de son ancien maitre et de ceux qui l’avaient réduite en esclavage. A la simple pensée qu’elle pût ressembler autant à ceux qu’elle détestait le plus au monde, Triss se sentit envahir par le dégoût. Elle repoussa brutalement Opra.
- Cela suffit ! intervint soudain une voix puissante qui claqua sèchement comme un coup de fouet.
Les vampires reculèrent brusquement, mais n’abaissèrent pas leurs armes pour autant. Triss resta sur ses gardes. Il y eut un mouvement dans la foule, comme si un convoi cherchait à se frayer un passage. Enfin, les vampires en première ligne s’écartèrent devant Evander. Ce dernier n’était pas seul. Derrière lui, fermement tenues par deux gardes chacune, les jambes et les bras enchainés, venaient Naru et Philippa. Cette dernière avait repris conscience, mais son visage était toujours aussi blanc d’épuisement et elle avait l’air sur le point de s’évanouir de nouveau d’une seconde à l’autre.
- Triss ! s’écria Naru. Je suis désolée, ils m’ont eue par surprise !
- Assez de bavardages ! ordonna Evander en tirant son épée pour la passer sous la gorge de l’ancienne espionne. Tu sais ce que j’attends de toi, Triss Nocturii.
- Vous montrez enfin votre vrai visage, rétorqua cette dernière. Celui d’un traitre sans honneur.
- Pense ce que tu veux de moi si cela t’amuse. Mais tu dois comprendre que si tu continues à te battre, nous allons tuer tes deux amies ici présentes. A toi de décider comment cette situation va se terminer.
- Surtout pas, Triss ! la supplia Naru. Tu dois t’enfuir tant que tu le peux encore !
- Silence !
Evander n’hésiterait pas une seule seconde à mettre sa menace à exécution. Triss croisa le regard de Philippa. Cette dernière bougea les lèvres sans prononcer de parole.
« Pars… » la suppliait-elle silencieusement.
La jeune fille esquissa un bref sourire nostalgique. Ce n’était pas la première fois qu’elle allait désobéir à Philippa. Elle laissa tomber son épée.
- Bien… commenta Evander. Maintenant, à genoux.
Elle obtempéra à nouveau. Evander fit signe à deux vampires derrière lui qui s’approchèrent prudemment de la jeune fille, de lourdes chaines à la main. Ils lui lièrent fermement les poignets.
Evander s’approcha alors d’elle. Il tenait dans sa main droite une fiole qu’il mit sous le nez de Triss.
- Bois ça, ordonna-t-il.
- Vous comptez me droguer pour me rendre plus docile ? le railla Triss.
- Je n’en ai pas besoin, parce que je sais parfaitement quel genre de personne tu es. Tant que j’ai tes amies en otages, tu ne tenteras rien. Ça, c’est pour te sauver la vie. Je ne voudrais pas que tu meures maintenant. Après tout, sans toi, tout cela n’aurait plus aucun sens…
Triss haussa les sourcils. Lui sauver la vie ? Elle ne comprenait pas ce qu’Evander laissait entendre.
- Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle.
- Ce n’est pas important, princesse. Car ce soir, tout aura changé. Ce sera le début de notre révolution…
Le vampire lui attrapa soudain la gorge, la forçant brutalement à avaler le contenu de sa fiole, manquant au passage de l’étouffer. Triss toussa en cherchant son souffle, à moitié étranglée. Elle avait un goût affreux dans la bouche, comme si elle venait d’ingurgiter quelque chose en décomposition. Mais la jeune fille réussit néanmoins à reprendre ses esprits et s’aperçut qu’Evander avait sorti un sac de toile de sa poche.
- -Sheamon va vous tuer… le mit en garde Triss en redressant la tête. Quand il apprendra ce que vous faites, il viendra prendre votre tête !
- -J’en doute, rétorqua Evander en se permettant un sourire confiant. A ce moment-là, il sera trop tard.
Puis, il lui passa le sac sur la tête et tout devint noir.
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