Chapitre 3
Avec des gestes lents, Alauran s'extirpa de la cabine de l'homme endormi.
Le plus dur est fait. Sort de là en vitesse Alauran, mais sans réveiller le vieux.
Il se dirigea vers la porte de sortie, toujours à pas feutrés, en osant à peine respirer. L'adrénaline le poussait à s'enfuir à toutes jambes, ce qui serait une erreur. Mordrac, son meilleur ami et chef de la bande dont ils faisaient partie, lui enseignait les astuces pour devenir un parfait petit brigand : « Les amateurs se font coincer parce qu'ils paniquent. Le professionnel, lui, a confiance en ses talents.» Disait Mordrac, lorsque Alauran l'accompagnait dans une de ces virées nocturnes, où il lui montrait les ficelles du métier de malfrat.
Alauran savourait déjà intérieurement les fruits de son larcin. Mordrac n'en reviendrait pas qu'il ait réussi un tel coup pour sa première fois. En enfournant les affaires de l'ivrogne dans sa besace, il avait senti le contact froid du métal façonné en cercle. Il n'avait pas pris le temps de regarder, mais il se doutait qu'il venait d'empocher plusieurs pièces. Toutefois, ce n’était pas cela qui mettait Alauran dans un tel état d’excitation. Le coffret ! La finesse des motifs d'or et de cuivre, la qualité du bois ; tout semblaient indiquer que cet objet artisanal valait à lui seul une petite fortune. Sans parler de son contenu qu'Alauran examinerait soigneusement une fois rentré à la planque.
Il allait ouvrir la porte de l'entrepôt quand il entendit du bruit à l’extérieur, un bruit bien particulier qu'il avait appris à redouter. Le cliquettement des bottes en fer des Hog'Shas, la garde d'élite, les guerriers Pourpres du Polemistus Corpus. Les miliciens du Guet de la cité eux, n'avaient pas le privilège de porter des bottes en fer. Il ne faisait jamais bon être en travers de la route des Hog'Shas. Ils avaient la réputation d'être de féroces guerriers appartenant à la race supérieure qui avait forgé l'empire, jadis. Doté d'une force, d'une vitesse et d'une agilité surhumaine, lorsque ces monstres vous se mettaient en chasse, vous n'aviez pas plus de chance qu'un faisan encerclé par des limiers effrénés.
Alauran s'empressa de s'éloigner de la porte. La peur le saisissant avec une poigne encore plus tenace. Il examina ses options promptement. La cabine ? Non. Le vieux pourrait se réveiller et si les gardes ne lui mettaient pas la main dessus, l'ivrogne s'en chargerait. L'escalier ! Alauran se précipita et gravit deux par deux les marches de bois qui menaient à l’étage, priant pour que son raffut n'alerte personne. Il arriva sur une passerelle faisant le tour de l'endroit. Apercevant un empilement de sacs de fourrage, il se plaça derrière, se fondant dans les ombres.
Ils vont passer leur chemin. Pourquoi entreraient-ils ici ?
La porte de l'entrepôt s'ouvrit. Sangnoir !
Et merde, c’était bien sa veine, tout se déroulait trop bien. Il allait finir aux mines et sa mère, déjà plus que l'ombre d'elle-même depuis la disparition de son mari et de sa fille, mourrait de chagrin en découvrant la disparition de son fils. Le seul qui restait de leur famille. Elle n'obtiendrait aucune réponse quand elle irait en réclamer à la caserne du Guet. Les habitants du Gouffre ne l'aideraient pas non plus. Alauran était soudain saisi de désespoir et ses pensées le tourmentèrent. Il avait fait tout son possible pour que sa mère ne sache rien de son activité de petit voyou. Elle souffrait bien assez. Il se rendit compte de ce qu'il lui infligerait s'il se faisait prendre cette nuit. Des larmes silencieuses se mirent à couler sur ses joues sales. C'est pour elle qu'il faisait tout cela. Il voulait la sortir de cette vie de misère. Qu'elle arrête de travailler pour ce gros porc de noble, qui la traitait moins bien qu'une esclave. Il souhaitait qu'ensemble, ils profitent d'une existence heureuse et décente. Ils la méritaient.
Le père d'Alauran, cet ivrogne, les avait abandonnés. Préférant dilapider ses maigres revenus dans la boisson et le jeu plutôt que pour sa famille. Sa sœur, Néia, était morte à cause de lui, tout était de sa faute, l'ordure !
Il serra les dents si fort qu'il en eût mal, mais cette douleur lui était douce, comparé à celle que lui infligeait sa honte, sa peur et son chagrin.
Alauran était un garçon courageux. Il avait la capacité de passer outre ses angoisses, car il n'avait pas vraiment peur pour lui-même, mais pour sa mère. Il avait craignait que ses actions ne lui causent de gros ennuis. Et les ennuis arrivaient dans sa direction.
Alauran, bien qu'en proie à la panique, conservait les automatismes acquis auprès de Mordrac. S'essuyant le visage le plus discrètement possible, il leva à peine la tête de sa cachette pour observer les arrivants espérant entrevoir une issue.
Les Hog'Shas entrèrent, la lumière du clair de lune fit étinceler leurs armures. Elles étaient intégrales et faites d'un métal argenté. Il y avait quatre gardes, immenses, une particularité inhérente à leur race. Leurs cuirasses gravées de runes rutilantes, leur donnant fière allure. Le blason qu'ils arboraient, une Pierre-rouge auréolée de pointes jaunes, ne permit pas à Alauran d'identifier à quelle lignée ils appartenaient. Ils avaient des cheveux longs et raides, d'un noir profond, dépassant de heaumes ouvragés représentant des visages de démons grimaçants, qui projetaient une aura menaçante. De stature imposante, les guerriers dégageaient une impression de puissance maîtrisée qui n'attendait qu'un prétexte pour être déchaînée. Leurs épées reposaient dans un fourreau de ceinture.
Après s'être placé dans une formation en large demi-cercle devant l'entrée, un cinquième individu fit son apparition.
Leur Seigneur s'avança. C’était une femme qui pareille aux gardes, présentait une haute silhouette. Elle était svelte, ses cheveux d'un noir de jais et sa peau d'une douce pâleur. Son visage était sans âge, tout en lignes délicates. Elle avait une attitude militaire et intransigeante dans son maintien, qui était accentuée par sa tenue. Elle portait une armure de cuir noir serrée au corps, épousant parfaitement sa silhouette magnifique. Elle chaussait des bottes lustrées du même ton. On pouvait entrevoir le pommeau doré d'une lame dépassant de la cape rouge de grande facture qui s'agitait dans la fine brise, dénotant avec le reste de sa personne. Son visage, bien qu'affichant une mine sérieuse, était un hymne à la passion. Des sourcils légèrement courbés et éléganst, une peau douce. Si pâle. Des yeux d'un noir insondable. Ses lèvres étaient à peine bombées. Rouges. Un menton menu et deux petites fossettes sur des joues pleines.
Quelle beauté ! Merde, a quoi est-ce que je pense ? Sangnoir !
Lorsque son regard s'était posé sur la femme, son esprit s’était mis à tourner au ralenti. Bien que subjugué par tant de charme, ce n’étaient pas les appas féminins qui avaient troublé Alauran. Cette personne répandait une odeur mystérieuse. Magique. C’était un brouillard d'hiver épais, mais invisible qui emplissait peu à peu la pièce, déroutant les sens. Alauran lutta tant bien que mal pour ne pas tomber dans un état pareil à l'ébriété. Elle prit la parole :
- Ceolfrid, Gavache, vous vous tiendrez de ce côté et vous surveillerez la porte. Quant à vous, Tolvell, Rigar, suivez-moi, dit-elle d'une voix ferme et autoritaire, laissant deviner qu'elle avait l'habitude du commandement et d'être obéit.
- Oui, maîtresse, répondirent les Hog'Shas dans un parfait ensemble.
Le groupe se sépara : deux des gardes allèrent cerner l'entrepôt, à l'extérieur tandis que le reste de la petite troupe se dirigea vers la cabine éclairée.
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