Le Féminin

6 minutes de lecture

Je ne souhaite pas commencer par y apporter de définition. Ce serait à la fois cliché et réducteur. Pourtant, je ne vois pas comment me lancer dans ce sujet. Qu’est-ce que le féminin ?

C’est avant tout quelque chose que je vis dans ma chair, mais aussi dans le regard des autres. Car je vis dans une société et j’ai grandi dans une société où le masculin est montré en exemple, en norme, et est valorisé. Mon corps est alors un vaisseau dont je dois avoir honte, mais qu’il convient de mettre en valeur.

De quoi dois-je avoir honte ? De ce pouvoir reproducteur, et de toutes ses manifestations : les règles, les changements hormonaux, la poitrine saillante, la puberté, mais aussi la ménopause. L’absence de pénis, que certains présentent comme « un manque », comme une tare.

Ai-je encore honte, aujourd’hui ? Pas vraiment, car je suis mûre à présent. Et j’explore pour la seconde fois, déjà, le pouvoir de mon corps, des changements qui le prennent d’assaut pour créer la vie, l’engendrer, la maintenir. Pour cela, j’aime ma féminité. C’est ce pouvoir que je revendique, et que je veux mettre à égalité avec la force brute, physique des hommes.

Bien que tous les hommes ne soient pas portés sur les démonstrations de virilité. J’ai cependant l’impression que c’est cela qui a souvent été montré et mis en valeur dans les différents milieux que j’ai fréquenté. Le culte d’un corps musculeux, massif, sculpté, sec, élancé, etc. Alors que la rondeur et le confort sont de nature à m’attirer, et sont tout aussi valables.

Mes rondeurs de femme enceinte, j’ai souvent du mal à les regarder positivement, peut-être à cause de ça. J’ai été ce modèle, j’ai touché le tonus d’un corps athlétique. Et le voir m’échapper est parfois compliqué.

Le féminin, c’est donc un rapport particulier avec l’enfantement. J’allais écrire : « mon corps a été conçu pour cela », et c’est là que se trouve la preuve de mon éducation, de l’éducation que l’on prodigue encore trop aux femmes. Mon corps est capable d’enfanter. Mon corps est capable de fabriquer un nouvel être humain. Mais je peux tout à fait ne pas me servir de cette possibilité, de ce super-pouvoir. Pour tout un tas de raisons. Rien, ni personne, ne devrait d’ailleurs interférer avec cette décision, avec ce choix de rester simplement un être humain sans enfant.

Pour vivre la maternité, et parce que je me prépare à la vivre une seconde fois, je me dis souvent que mon existence serait plus pauvre, émotionnellement parlant. Voyant toutes les contraintes que cela implique, je comprends tout à fait que certaines ne souhaitent pas se lancer dedans, et privilégient d’autres aspects de leur existence.

Quand je dis une existence plus pauvre, c’est surtout de l’amour dont je parle. Et je ne dis pas qu’une personne sans enfant a une vie pauvre, émotionnellement. Je ressens, dans mon regard et dans celui de mon enfant, et de mon époux, et ce quotidiennement, l’amour sous différentes formes. Avec mon homme : l’amour romantique, la relation de couple que l’on construit quotidiennement, constamment, avec ses lots de hauts et de bas. Avec ma fille : l’amour filial, inconditionnel, gratuit. Je plonge dans leur regard comme jamais je ne l’ai fait avec d’autres êtres vivants.

On nous vend régulièrement la maternité soit comme une tare qui nous prive d’un bonheur hédoniste et égoïste, soit comme l’apothéose de la vie d’une femme, comme le summum de la féminité. Une femme sans enfant ne serait pas une femme complète. Or, il n’en est rien, en fait. C’est une expérience de vie comme une autre. Qui nous change, nous transforme, nous fait grandir. Et c’est quelque part une sorte de paradoxe. A la fois, cette capacité d’enfanter est une particularité féminine, et à la fois une femme ne peut être réduite à cette fonction reproductrice.

On pourrait, à ce stade, se demander si les hommes sont soumis aux mêmes injonctions. Je crois que oui, même si c’est un peu différent pour eux. Leur fonction de reproducteur non seulement est complètement valorisée, mais elle est encore encouragée par certaines idées reçues : les hommes auraient des besoins sexuels, ils devraient tout le temps avoir envie de relations sexuelles, ils ne sont pas vraiment des hommes virils s’ils n’ont pas plusieurs partenaires, ou s’ils ne cherchent jamais à en avoir, etc.

Existe-t-il plusieurs formes de féminités ? En fait, je ne sais pas. Car je ne peux expérimenter pleinement que la féminité que j’ai construit moi-même, au fil du temps. Quelle est-elle alors ? Quels en sont les marqueurs ?

Ma féminité cherche à piocher dans ce qui est admis comme féminin et masculin. Pour le féminin, je conserve le goût pour certains artistes et groupes qui ont émergé dans les années 1990 (Spice Girls, Pink et Avril Lavigne, par exemple). Je me maquille, je m’épile, je me coiffe, je recherche une certaine apparence vestimentaire. Je porte des vêtements typiquement féminins, surtout quand je sors : bas, talons, robe. Tout cela est pourtant contrebalancé par mon envie de confort et surtout de choisir le bon vêtement pour la bonne activité. Je ne me parfume pas tous les jours, et il m’arrive souvent de ne pas me laver chaque jour. Les petits rituels de beauté sont occasionnels, même s’ils me font plaisir.

Je mets donc dans ma féminité le plaisir et la recherche esthétique, tant en termes d’apparence que de décor ou d’objets usuels. Sans pour autant pousser tout cela à l’extrême.

Mon expérience militaire a soit contribué à développer cette tendance, soit m’a permis de la vivre pleinement. Mais peut-être mon identité, en tant qu’individu, ne se base pas sur des prérequis de genre, mais plutôt sur des goûts individuels assumés.

Je reste par ailleurs, et depuis plusieurs années, vigilante sur les modèles que l’on m’a transmis, notamment via la culture populaire, le cinéma, certaines séries… Je me suis régulièrement posé des questions, parfois insolubles, quant à ma féminité vécue dans un monde masculin. Dans un monde encore très souvent présenté comme tel, où le fait d’être une femme est une sorte d’anomalie.

Et cette vision est loin d’avoir été abandonnée aujourd’hui, puisque certains hommes se permettent encore de voir des femmes-objets là où ils devraient considérer une collègue de travail, payée pour exécuter une mission professionnelle.

Être un objet de désir masculin n’aide pas. Et ne pas entrer dans les normes d’attractivité n’aide pas, non plus. Dans pas mal de cas, l’apparence de la féminité n’aide pas. Présenter une autre image à une société normée nous met en décalage, et nous expose au mieux à gagner en respect, au pire à l’opprobre générale.

Ainsi, « La Femme » n’existe pas, dans l’absolu. Le féminin, et le masculin, demeurent des constructions sociales, dépendantes du temps, du lieu, et de la subjectivité la plus pure.

Le féminin ne complète pas le masculin, et vice versa. D’un point de vue purement biologique, ce pourrait être vrai, mais encore une fois d’un point de vue purement reproductif. Et, on l’a vu, il est illusoire et purement faux de réduire un être humain à cette fonction biologique particulière.

En résumé :

- Le féminin n’est pas un absolu, il est pluriel.

- Le féminin est une construction sociale et individuelle.

- Le féminin enfante, mais ne peut se réduire à ça.

- Le féminin, et sa définition, se trouve à l’extérieur de moi, dans le regard que portent les autres et la société sur mon sexe, sur mon état de femme (ou de femelle).

Ce que je voudrais pour moi et pour toutes les autres femmes :

Une société où nous sommes considérées pour ce que nous sommes, et non pour ce que l’on projette sur nous. Que notre corps ne soit pas soumis aux regards et jugements extérieurs. Que notre personne ne soit pas exposée à la violence d’autrui, qu’elle soit physique ou psychologique. Que nos perspectives n’aient pas de limite, et surtout pas les limites de notre utérus et de ce qu’il est capable de produire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire AE Le Danlat ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0