2 - Damian 

17 minutes de lecture

.

Damian

.

   Les élèves de ce lycée sont vraiment d'une stupidité affligeante. À Soledo high, nous avions tous notre casier, et pouvions y laisser nos livres et cahiers afin de ne pas les porter avec nous à chaque changement de période. Ici, et malgré le fait que nous ayons également des casiers, les lycéens semblent obstiner à garder leur tonne de cahier et de livres inutiles dans leurs énormes sac à dos, quitte à se faire mal, plutôt que de les poser.

J'en ai parlé avec Nassim : pour lui, laisser ses livres dans son casier revient à les offrir en pâture à ceux qui s'amusent à forcer les cadenas. C'est ridicule. Qui voudrait lui voler son livre de mathématiques aussi vieux que le lycée, et recouvert de dessins ma foi fort artistiques de pénis sur chaque double-page ?

Pas moi.

Las, je dépose mes cahiers dans mon casier – le 284 – et croque dans la pomme que j'ai eu la présence d'esprit de prendre avec moi ce matin.

Danny a la gastro. Dix minutes avant que nous ne partions ce matin, il a vomi de partout dans le salon, a dégueulassé mon pantalon, et s'est mis à pleurer car il ne sait pas vomir. Rien n'a été épargné : tapis, bas des rideaux, table basse. Rafaël, qui ne supporte pas l'odeur, a tenté de ramasser avant d'être malade à son tour, suivi de près par un Samuel aussi blanc qu'un cachet d'aspirine à la simple vue des flaques sur le parquet.

Je m'y suis donc attelé, en bon futur homme au foyer que je suis, et ai tout nettoyé, ai mis les rideaux dans le lave-linge, tenté de rattraper le tapis, me suis changé, ai donné un cachet à Danny, récupéré mon sac, récupéré Samuel, et ai pris la route du lycée. Et le mieux dans tout ça, c'est que nous sommes à l'heure, et que je ne suis presque pas décoiffé.

— Tu en tires une gueule Coco, un soucis ?

— Nassim, dégage, je grince en refermant mon casier. Je viens de vivre un des pires débuts de matinée de ma vie donc, fais en sorte que ça s'arrange et va t-en.

Il ricane, avise mon air peu enclin à rire avec lui, avant de me demander ce qui se passe. Alors je lui explique, et le vois pâlir, exactement comme mon petit ami l'a fait il y a vingt minutes à peine.

— Et après c'est censé être la femme le sexe faible ? Vous êtes pitoyables, je jappe.

— Oui sans doute ? Heureusement que tu es là pour redorer notre blason oh grand Damian.

Je bats des cils, lui demande ce que signifie ''blason'', le regarde s'agiter. Difficile de donner la définition de mots que l'on ne connaît pas vraiment.

Une main s'enroule autour de ma taille, je sursaute.

Samuel se tient juste à côté de moi, visiblement remis de son petit passage à vide, un grand sourire au visage, son sac à dos négligemment passé sur une seule de ses épaules.

— Tu as l'air d'aller mieux dis-moi, je souris.

— Désolé. Je te jure ça me retourne le ventre cette odeur.

— Hum. J'ai souvenir de t'avoir vu gérer des retours de soirée avec plus de calme et sans tourner de l’œil.

Il ricane, me serre un peu plus contre lui, avant de saluer Nassim d'un coup dans l'épaule.

Depuis un an que nous sommes en France, Samuel a dû prendre au moins dix centimètres. Pas loin du mètre quatre-vingt, je me sens désormais ridiculement petit lorsqu'il me prends sous son bras. Pourquoi a t-il grandi, et pas moi ? Pourquoi suis-je obligé de stagner à ce ridicule mètre soixante-cinq – en trichant un peu – tandis que lui ne s'arrête plus de pousser ?

Ça me gonfle, mais ça me gonfle !

— Votre réunion PP s'est bien passée ?

— Oui et non. Je retourne en UPE2A et Sam s'est fait traiter de brèle en sport.

— Je dirais pas ça comme ça, me reprend mon petit ami en fermant les yeux. Je dirais plutôt que mon niveau sportif n'est pas vraiment en adéquation avec les attendues de l'éducation nationale.

— Mec, tu parles mieux français que moi, arrête c'est vexant.

Nassim et Samuel éclatent de rire, et m'entraînent avec eux tandis que nous remontons le couloir centrale en direction des escaliers.

Notre nouveau lycée, tout comme l'était Soledo High, n'est pas immense, et se regroupe presque totalement en un seul grand bâtiment. La cour extérieure est presque totalement goudronnée, si on oublie les quelques arbres qui se battent en duel vers l'espace réservé au ''club potager''. Il faut dire aussi que nous sommes réellement en plein cœur de la ville, pas la place pour installer une forêt et un début de prairie afin de satisfaire nos envies de vert : ici c'est béton, goudron, et basta.

Nassim mène bon train ce matin. Il caracole en tête de groupe, s'extasie sur ce qu'il va faire ce week-end, sur le fait qu'il est le plus heureux des hommes d'être vendredi et que, juré, il passera nous voir au gala à l'Arène demain après-midi.

Je ne le crois qu'à moitié, mais laisse Samuel le suivre dans son délire.

Nassim et lui, ça a été comme un coup de foudre l'année dernière. On peut dire qu'ils se sont bien trouvés, et que depuis, c'est à peine si nous ne sommes pas chaque soir sur de la télénovela au moment de rentrer chez nous. J'ai eu un peu peur je l'admets, que Samuel finisse par se désintéresser de moi au profit de cet énergumène sous acide, mais un constat s'est fait de lui-même : Nassim est un grand amoureux, à se faire des films sur tout ce qui bouge et à draguer en veux-tu en voilà, mais toujours avec des filles. Je suis donc sauvé – pour le moment.

Alors que je suis plongé dans mes pensées, Nassim pile, ce qui fait qu'immanquablement, je lui rentre dedans. Mon nez heurte son épaule, je grogne et m'apprête à lui aboyer dessus lorsqu'une réalisation se fait en moi : s'il s'est brusquement arrêté, c'est tout simplement car le couloir est bouché, et passqu'un peu.

Il y a un véritable attroupement devant le bureau de notre CPE en chef, ce qui est plutôt rare pour un vendredi matin. D'ordinaire, ce genre de phénomène se produit plutôt le lundi, lorsque maux de tête et de ventre déchirent les pauvres lycéens en manque de repos.

— Maéva, il se passe quoi ?

Samuel vient d'attraper le bras d'une fille de filière économique et sociale avec qui il s'entend bien. Elle nous dévisage un instant, rechausse ses lunettes avant de distinguer le bureau du pouce.

— Maddy et Alex sont de retour.

Elle nous lance cette information avec une telle désinvolture qu'un instant, je panique quelque peu : qui sont ces gens ? On est censé les connaître ? Des inspecteurs ? Samuel semble aussi étonné que moi, hausse les sourcils, et demande :

— Qui ça ?

— Non, tu déconnes, s'exclame Nassim en s'agitant un peu trop. Vraiment ? Ça fait déjà un an ?

Maéva hoche la tête, et nous dépasse sans rien ajouter, tandis que je tente de faire de même. Pas que ce petit rassemblement ne m'intéresse pas, au contraire, mais j'aimerais tout de même arriver à l'heure en cours, après mon humiliation dans les règles de l'art hier soir.

J'entame donc ma progression pour contourner le flot d'élève, lorsque la porte s'ouvre et qu'un homme, plutôt court sur patte et trapu, émerge de la salle, escorté de deux jeunes que j'identifie immédiatement comme jumeaux. La fille a un air hautement désintéressé, qui me fait beaucoup pensé à Lu, tandis que le garçon s'attarde à balayer l'assemblée d'un regard circulaire et analytique.

Samuel qui m'a rejoint, attrape mon poignet pile au moment où les yeux de ce nouveau venu croisent les miens. Le soucis étant, qu'il reste fixé sur moi de longues secondes, avant que je ne brise le contact de moi-même en me replongeant dans la foule.

— Wouah, s'exclame Samuel en trottinant à côté de moi. C'est qui ceux-là ? Des célébrités locales ?

— Bonne question Sherlock. Essaye de te renseigner.

— Au jeu de la fouine tu es bien plus fort que moi je te précise. Le côté ''bad bitch fouteur de merde'', c'est ton domaine.

Je laisse un son offusqué s'échapper de mes lèvres, alors que je lui donne un coup de coude.

Il n'a peut-être pas tout à fait tort cependant. Ces jumeaux m'intriguent, et la façon qu'ont eus les autres lycéens de s'attrouper autour d'eux est assez étonnante pour être notée. Avant ce soir, je saurai pourquoi, et peut-être même plus.

   Un nuage de fumée devant le lycée inaugure notre début de week-end. Samuel s'étouffe presque en traversant un mur de nicotine, tandis que j'y pénètre sans le moindre mal. Il est assez admirable pour ça : malgré les tentations, le fait que je fume encore et toujours, que Ariana et Rafaël enchaînent clope sur clope, et que la place du Pont soit un véritable repaire à clopeurs, il n'y a jamais touché. Saint Samuel, il sera le seul de notre famille a aller au paradis.

D'un pas traînant, je rejoins Marie et Sandro, deux de mes camarades de classe – dont l'un en UPE2A, et attrape une cigarette qu'ils me tendent avec entrain.

— Je t'en devais une, souffle Marie en recrachant un nuage de nicotine.

— Je sais.

Mon sac à dos tombe à mes pieds, tandis que je me hisse du mieux que je le peux sur le petit muret en pierre derrière moi. Samuel a rejoint son propre groupe d'amis, dont ce très sympathique Édouard que je ne peux décemment plus me voir en peinture. Si je devais choisir entre finir ma vie seul sur une île déserte avec une seule personne, et que j'avais le choix entre Lenni et ce type, je sais déjà qui je choisirai et pourtant, il m'a renversé un verre XL de coca sur le coin de la gueule l'année dernière et a bien faillit tuer mon petit ami d'une balle das le ventre.

Édouard est vraiment insupportable. Avec sa mèche toujours bien coiffée, son style que je qualifierai de ''parisien cliché'' et ses grands discours de bien-pensant, il me donne la gerbe. Et puis, malgré ses grandes idées, il n'est pas très à l'aise avec tout ce qui ne relève pas de l'hétérosexualité. Alors, autant dire que bien qu'il apprécie Samuel, il grimace à chaque fois que ce dernier se montre un peu trop tactile avec moi.

Vraiment, s'il pouvait passer sous le tram, ça nous ferait des vacances à tous.

Sandro claque des doigts devant mon visage, me ramène à moi alors que je fixe Édouard d'un air mordant.

— Reste avec nous gars. Et fixe pas ce connard comme ça, on dirait que tu veux le mordre.

— Si tu savais, je souffle avec froideur.

Sandro est marrant. Il arrive tout droit du Portugal, et se retrouve donc dans la même galère que moi, à la différence près que son accent est vraiment pire que le mien. Je ne suis pas certain qu'il ait réellement l'âge qu'il se donne, avec sa taille immense et sa voix de padre, mais c'est rassurant de l'avoir à ses côtés. En un sens, il me fait penser à Julio.

— Il paraît que t'es de retour chez les loosers de UPE ? ricane Marie.

— Les nouvelles vont vite.

— Affirmatif. Si ça peut te rassurer, je t'accepterai toujours à ma table le midi.

— C'est pas toi qui m'accepte, je la corrige. C'est moi qui vous fait l'immense honneur de me joindre à vous, nuance.

Elle rit, et un sourire en coin étire mes lèvres. Sur l'écran de mon portable, vient d'apparaître un message de Isak sur notre groupe ''Les BG autour du monde'' :

« Petite nouvelle du matin : Aubra vient de se péter la cheville en tombant devant les doubles-portes. Mémorable, dommage que vous ayez loupé ça ! », le tout ponctué d'une myriade d'émojis hilares.

Un pincement au cœur me prend, me serre un peu la gorge : ils me manquent.

Isak, Duke, Lu, Meli, Julio, même cette connasse de Chiara arrive à me faire regretter ma vie d'avant. Celle où Soledo n'était pas encore notre pire cauchemar et où, sans le savoir, nous vivions nos meilleurs instants, sans cette ombre ignoble et grondante au-dessus de nos têtes.

Sandro jette un regard à mon écran par-dessus mon épaule, et m'interroge d'un coup de coude dans les côtes.

Je ne sais pas ce qu'ils ont tous depuis ce matin à me brutaliser de la sorte, mais entre Samuel, Nassim, et maintenant Sandro, mes côtes en ont pris pour leur grade.

— Un vieux pote à moi, je réponds, évasif. En parlant de vieux potes, c'est qui Maddy et Alex ?

Marie sourcille, l'oreille tendue. Cette fille est une vraie ''fouille merde'', comme aime à le dire Ariana. Elle l'a même un jour qualifiée de fréquentation ''pire que Lu'', ce qui sur l'échelle de ma sœur, représente un degrés de rejet assez puissant. Mais, moi je l'aime bien : elle ne parle pas trop, ne cherche pas à venir fouiner de mon côté, ce qui est une bonne chose, et sait être là lorsqu'on a besoin d'elle. C'est tout ce que je lui demande.

Des amis, des vrais, j'en ai à Soledo. Et, je sais qu'un jour j'y retournerai alors, pourquoi m'embêter à créer quelque chose de stable ici ? Samuel lui, ne semble pas l'avoir compris, et s'accroche désespérément à tous ceux qui s'approchent de lui. Ce n'est pas la meilleure des choses à faire car, lorsque nous rentrerons à la maison, il sera déchiré de quitter toutes ces nouvelles personnes à qui il aura offert son cœur. Et qui sera encore et toujours là pour ramasser les morceaux de son fragile petit cœur brisé par un nouveau choc ? Bibi, et Rafaël.

D'un œil dépité, je le regarde sautiller sur place, le casque de Nassim sur les oreilles.

— Alex et Maddy ? C'est deux trous du cul ultra-friqués qui ont rien à foutre dans notre lycée. En janvier l'année dernière, ils sont partis étudier un an dans un lycée suisse. C'est un programme spécial qui inclut les vacances d'été et tout ça mais... bref. Inutiles.

Intrigué, je tourne la tête vers la voix rauque qui vient de me débiter cette charge assez conséquente d'informations, et suis presque étonné de tomber sur un type de terminale, cheveux longs et à la propreté discutable, lunettes de soleil sur le nez.

— Tu te caches de quel soleil là ?

— C'est soit ça, soit mes yeux éclatés mec, me rétorque t-il avec un sourire.

— Génial. Et, tu sembles tout de même bien informé sur ces types pour quelqu'un qui en a rien à faire d'eux, non ?

— Connais ce dicton mon ami basané : « Sois proche de tes amis, mais encore plus de tes ennemis ».

— Je suis presque sûr que c'est pas ça le dicton.

Il hausse les épaules, et Marie le balaye d'un geste de la main, se réapproprie mon attention.

Elle semble prête à me délivrer tout un exposé structuré sur ces deux individus qui m'intriguent tant, les yeux brillants et le sourire aux lèvres.

— Tu faisais parti des gens cools dans ton ancien bahut, non ?

— Si on veut, je marmonne en tirant une nouvelle taffe. C'est discutable comme notion. Et ?

— Et ben eux, ce sont ceux vers qui il faut te tourner si tu veux profiter des années lycée àfond, crois-moi Dam. Les meilleurs plans, les meilleures teufs, c'est chez eux ! Ce que je dis fait fangirl non ?

Je m'apprête à répondre, lorsque Samuel fait brusquement irruption dans mon champs de vision. Il a les cheveux en bataille et transpire sous la laine de son bonnet. Penaud, je soupire et me penche en avant pour replacer le petit couvre-chef en laine bleu avant de lui sourire.

— On rentre baby D, j'ai la dalle, lance t-il avec entrain.

— Il y a un casino au coin de la rue, pourquoi tu vas pas t'acheter un sandwich ?

— J'ai plus de sous.

Sa façon de le dire me fait fondre : on dirait presque un enfant pris sur le fait, qui vient de dépenser tout son maigre argent de poche en bonbons gélatineux. Quel panier percé, il a encore dû passer toutes ses maigres économies à la boulangerie en face du lycée.

Je caresse sa joue du revers des doigts, avant d'attraper sa main pour descendre de mon muret.

— On y va alors. Marie, Sandro, on se voit lundi. Et toi le chevelu, garde tes lunettes.

Le drôle de type lève un pouce dans ma direction, avant que je ne commence à m'éloigner, mon pas synchronisé sur celui de mon petit ami. Il marche vite, la faim doit lui tenailler le ventre.

Car oui, c'est ça la contre-partie d'avoir pris près de quinze centimètres en un an : chaque jour, il avale trois fois son poids en tout ce qui est comestible, et en quantité énorme. Pour lui, un goûter c'est en réalité un autre repas. Si je devais compter le nombre de calories qu'il s'enfile par jour, je déchanterai, c'est certain. Il emmène chaque jour dans son sac à dos, pas moins de trois ''en-cas'' qu'il gobe bien souvent avant la pause de dix heures. De plus, avec les cours de cross-fit, il a commencé à prendre en muscles – à bien prendre en muscle – et a donc besoin de nourrir ce corps en développement perpétuel. Lorsque nous faisons les courses avec Ariana, il y a la liste ''normale'' plus une liste ''Samuel'', où elle prévoit les quantités nécessaires à ses besoins. Troquer un adolescent pour un veau, son porte-feuille n'en revient toujours pas.

Le tram est bondé, Samuel décide donc de rentrer à pied et, qui serais-je pour le priver de son bol d'air frais journalier ?

— Alors ? s'enquit-il avec un sourire en coin.

— Maddy et Alex ?

— Madeline et Alexandre, mais oui. J'ai plein de trucs sur eux, et toi ?

— Riches, année dernière passée en suisse dans un autre lycée... populaires, je crois. Et toi ?

Il a son air vainqueur, celui qui clame « J'ai gagné ! ». S'il pouvait sauter sur place en hurlant, là tout de suite, je suis sur qu'il le ferait.

J'apprends donc, que Madeline et Alexandre Petrova, ont tous les deux dix-huit ans – redoublants – et qu'ils sont issus d'une famille assez friquée séjournant du côté du neuvième arrondissement. Faux-jumeaux, ils seraient apparemment très connus sur les réseaux sociaux, et largement appréciés au lycée. L'un et l'autre sont connus pour avoir organisé de grandes soirées, et ne se privent pas d'étaler au monde le fait que eux, bien qu'ils étudient dans un lycée franchement bas de gamme, sont mieux que le commun des mortels.

Je les déteste déjà.

— Tu as payé qui pour avoir toutes ces infos ?

— Nassim est une commère.

Je ricane, et le laisse passer un bras autour de mes épaules tandis que nous arrivons à proximité de la place. Il y a de l'agitation, beaucoup de monde se presse à l'entrée de l'arrêt de métro et s'entassent sous l'arrêt de tram. En bas de l'immeuble, Mikky discute avec une fille qui doit avoir son âge, queue de cheval et veste rouge clinquante, elle semble retenir toute son attention. Mon frère boit littéralement ses paroles.

— Mikky ? je le hèle. Ari est déjà au taf ?

— T'as des yeux pour lire l'agenda familial non ?

— Pardon ? Viens ici ! Je vais t'apprendre à me parler comme ça, petit con !

Mon hurlement, dans un anglais parfait, attire l'attention de quelques passant.

Mikky se décompose, s'excuse auprès de la jeune fille, et nous rejoint en trottinant, les mains dans les poches. Samuel m'étreint doucement l'épaule, me fait signe de rester tranquille, que mon frère simplement voulu rigoler. Alors, je roule des yeux, et regarde Mikky se dandiner jusqu'à arriver à notre hauteur. Près de nous, il relève enfin les yeux, et me défie d'un regard rebelle.

— C'est pas parce que tu es en présence de ta cible du moment que tu dois mal me parler, entiendo ?

— Hum. Et pour répondre à ta question, oui. Ari est au boulot depuis quinze minutes déjà. Elle commence à dix-huit le vendredi, tu sais bien.

Il patiente encore quelques secondes, attend de voir si nous avons d'autres choses à lui demander ou lui transmettre.

— Danny ?

— Au lit avec de la fièvre. Raf a pris rendez-vous chez le médecin demain matin. Le pauvre, il m'a dit que Dan avait passé sa journée à courir de la chambre aux toilettes.

Il rigole un peu, avant de repartir en direction des escaliers où il a abandonné la petite demoiselle avec qui il discutait.

Resté seul avec Samuel, je l'interroge du regard, afin de savoir ce que nous faisons maintenant.

— Elle peut nous avancer Ari ? Au resto je veux dire.

— J'imagine oui ?

Un sourire immense lui barre le visage tandis qu'il attrape ma manche pour se mettre à galoper jusqu'à la petite pizzeria encastrée entre la laverie et l'épicerie asiatique, juste en bas de notre immeuble. L'enseigne est vieille et usée, la vitrine porte les marques d'une vie qui ne lui a rien épargnée, et de l'extérieur à dire vrai, un dirait un taudis.

Les tables en bois sont recouvertes de nappes aux motifs kitch, la décoration fait peine à voir et la musique italienne diffusée dans les enceintes au plafond est tout sauf aguicheuse mais, ça a son petit charme.

Lorsque Samuel pousse la porte et que la sonnerie caractéristique retentit, je vois la tête de ma sœur émerger de derrière le comptoir. À notre vue, elle soupire, avant d'attraper une carte et de nous rejoindre d'un bon pas.

— Dami, Sam... Un soucis ?

— Sam a faim, et il est ruiné. Tu peux nous faire crédit ?

— Et puis quoi encore ? On habite juste à côté donc vous...

Elle est interrompue par l'arrivée de son patron, le cuisinier en chef de ce ravissant petit établissement. Bedonnant, je serais prêt à parier que tout ce qui se trouve sur sa carte, il l'a déjà testé. Il est plutôt mal rasé, mais à cet air malicieux et ces yeux brillants qui le rendent tout de suite sympathique.

— Ariana, tu ne m'avais pas dit que nous devions avoir la visite des niños.

— Parce que c'était pas prévu, maugréé t-elle.

Le chef vient nous saluer, étreint mon épaule et tapote la joue de Samuel d'un air si infantilisant que j'aurais presque envie de rire. Sauf qu'en prenant en compte la taille des mains de cette homme, je préfère m'abstenir. Une seule gifle de sa part pourrait me casser la mâchoire, alors autant éviter de me moquer de sa façon de faire.

— Alors bonhomme, qu'est-ce qui t'amène ?

Il parle à Samuel, directement. Depuis le temps qu'il me connaît, il sait que je préfère rester loin des sa cuisine et de sa ''pizza spéciale'' comptabilisant plus de trois animaux différents en guise de garniture.

Mon petit ami sourit, trépigne d'un pied sur l'autre, avant de désigner son estomac d'un doigt équivoque.

— Il va croire que je vous nourris pas, souffle Ariana en roulant des yeux.

— Vu la qualité de ta cuisine, c'est un peu le cas.

Elle me foudroie du regard, tandis que Samuel conclut son petit arrangement avec le chef d'une demie pizza cinq fromages.

— Tesoro ?

Je comprends au ralenti qu'il s'adresse à moi lorsque je croise ses deux yeux gris intenses braqués dans ma direction.

— Rien chef, j'ai exhibition demain.

— Damian, la vie n'est pas que le sport et le physique, me lance t-il distraitement en jetant un torchon sur son épaule, le ton rieur.

— Eh toc.

Samuel ricane, je grince des dents : abruti.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cirya6 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0