3 - Rafaël
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Rafaël
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Le pied de Ariana frôle mon visage. Rapide, agile, je l'esquive pour saisir sa cheville au vol, et tordre sa jambe dans un angle inconfortable. Elle râle, tente de se soustraire à ma pris en plongeant vers l'avant, n'arrive qu'à plus souffrir encore.
— Ton appui était pas bon, je souris en la ramenant vers moi pour attraper son poignet.
— Au contraire.
Et, sans que je ne vois le coup venir, elle rue en arrière, se défait de ma prise, et inverse nos positions. En une fraction de seconde, je passe de dominant à dominé, au sol, retenu en place par le pied de ma petite amie au creux de mes reins.
Son souffle est erratique, elle a du mal à trouver son air. Ses mains sont moites sur ma peau, et je sens son pied trembler légèrement. Elle est épuisée. Ce n'est pas étonnant : cela fait plus d'une heure que nous travaillons sa défense, elle a de quoi être pantelante.
Elle se retire, pour me peremettre de me relever. Son débardeur colle à sa peau trempée de sueur, et ses longs cheveux humides lui barrent la vue.
— Tu dois t'attacher les cheveux quand on s'entraîne.
— Je sais, je sais.
Elle exhale, attrape un élastique autour de son poignet, pour nouer son épaisseur en une queue de cheval haute. Le temps qu'elle y passe me permet de m'armer de nos paires de gants de boxe, que je lui jette sans ménagement.
— Raf, je vais clamser là.
— Si tu peux parler, c'est que tu es encore loin de la mort, marmonne Mikky.
Assis à la table de la cuisine, plongé dans le cahier d'histoire de son frère, il recopie avec application les cours que Danny a loupés depuis lundi. En même temps, il peut aviser notre entraînement, en prendre note, se préparer pour sa propre session samedi matin.
Après ce qui est arrivé l'an dernier, nous avons décidé avec Ariana, de mettre en place une stratégie qui couvrirait tout éventuel dérapage à notre nouvelle vie. Et bien sûr, un de ces angles d'attaque est la défense, l'aptitude à savoir se sortir du danger, n'importe où, n'importe quand.
Ariana se débrouille très bien, tout comme Mikky et Damian. Mon frère et Danny, un peu plus patauds, sont puissants dans leurs coups, mais vraiment mauvais en ce qui concerne leur aptitude à se déplacer vite et bien. À l'inverse, les trois autres sont certes souples et agiles, mais peu virulent dans la brutalité de leurs coups. Chacun à ses axes à travailler, c'est ça le défi.
— Allez frappe.
Je me mets en position défensive, et encourage ma petite amie à frapper, de toutes ses forces, de tout son être contre les gants de boxe à mes poings.
Un grondement sourd lui échappe alors qu'elle me donne un crochet auquel je ne m'attendais pas.
Le gant me heurte en pleine mâchoire, je grince des dents, et me redresse sous ses excuses.
— Excuse-moi, Raf ça va aller ?
— Ce n'est ni le premier, ni le dernier coup de poing que je me reçois donc...
— N'empêche ! Fais voir !
Rapide, elle retire ses gants et attrape mon visage en coupe pour inspecter la partie impactée de ma mâchoire d'un œil critique. Du bout de ses doigts glacés, elle effleure ma peau, me fait frissonner.
C'est triste à constater mais, depuis deux semaines que ses partiels ont commencés, elle ne m'a presque pas touché, pas regardé, rien. Comme si face à ses cahiers, je n'existais plus. Et la tension créée par ce manque, ce besoin presque vital de la sentir près de moi, contre moi, sur moi, commence à me rendre fou.
Lorsque ses doigts quittent ma peau, une vague glaciale me balaye, m'enserre la gorge.
Puis c'est le vide, à nouveau.
— Danny ! Viens voir !
Le cri de Mikky me ramène durement à ma réalité, celle où je porte toujours mes gants de boxe, et où Ariana vient de remettre les siens.
Danny apparaît, toujours aussi pâle que ce week-end, les cheveux collés au front par les restants de fièvre de la nuit dernière, les yeux hagards.
— Tu fais peine à voir bonhomme, je lui lance distraitement.
— J'en ai marre.
— Encore un ou deux jours, et ça ira mieux, t'en fais pas !
Il hausse les épaules, et va se poster près de Mikky, qui lui présente son cahier avec un grand sourire.
Il a fait ça bien. Le cours est écrit de sa plus belle écriture, les titres sont soulignés, les polycopiés collés aux bons endroits. Son frère le remercie chaudement à la vue du rendu, et le repousse lorsqu'il essaye de l'enlacer.
— Me touche pas je suis malade.
— Ça me saoule ta maladie.
Il soupire, et laisse Danny repartir à regret tandis que dans l'entrée, la porte claque brutalement.
Ariana hausse un sourcil, s'attend sûrement à voir surgir nos joyeux petits frères mais, au lieu de ça, c'est Jay qui fait son entrée triomphale dans notre salon aux meubles poussés, une bouteille de champagne à la main.
— Grande nouvelle !
J'avise son air bien heureux pour l'heure qu'il est, songe que, quelle que soit la nouvelle à fêter, il a déjà dû l'arroser tout seul.
Derrière lui, apparaît une Fiona au bord de la crise, visiblement épuisée, les mains agitées.
— Comment vous êtes entrés ? s'étonne Ariana en jetant ses gants au sol.
— J'ai fais un double de vos clefs, au cas où.
— Non mais je rêve.
Mon meilleur ami s'approche de moi, m'entoure de son bras musclé ridiculement boudiné dans une chemise trop petite pour lui, et lève sa bouteille en l'air, le sourire aux lèvres.
— Mec tu vas...
— Jay, l'interrompt Fiona, les poings sur les hanches. Un conseil, ferme-là.
Je fixe mon ami se prendre avec sa moité par les mots, avant de couler un regard peiné à Ariana.
L'an dernier, après notre fuite, Jy et Fiona n'ont pas mis longtemps à nous rejoindre. D'abord chacun de leur côté, puis miraculeusement réunis pour une raison ''financière'', au début. Puis, ça a commencé par les petits rires idiots lorsqu'il n'y avait rien de drôle, les regard appuyés, les rougissements de ci de là, les caresse sur les mains.
Qui l'aurait cru. Mon beauf et alcoolique de collègue, avec la meilleure amie de ma petite amie.
— Bon, tente de les tempérer Ariana en attrapant le poignet de Fiona. Dites-nous, je suis curieuse.
Fiona a un sourire immense qui lui barre le visage, alors qu'elle attrape les mains de Ariana pour les serrer au creux des siennes.
— Accepterais-tu d'être la marraine d'une future petite merveille ?
— On avait dit que je demandais d'abord à Raf, s'insurge Jay.
— Bah vas-y, demande-lui. Qu'est ce que tu attends ?
Je suis estomaqué. Les bras le long du corps, les yeux écarquillés, je vois Jay me poser la question fatidique sans vraiment la comprendre.
Marraine ? Parrain ?
Pour...
— Vous allez adopter un chien ? demande Mikky, hilare.
— Moque-toi de nous, sale mioche, marmonne Jay. Alors ?
Je m'apprête à répondre, lorsqu'un nouveau claquement de porte me fait sursauter, me sort de ma transe.
— Allez mi amor, je rigolais !
— Parle à mon cul, connard, gronde la voix erraillée de Damian.
— Pas que l'envie m'en manque mais...
Les garçons émergent à leur tour das le salon, renfrogné pour l'un, excité comme une puce pour l'autre. Je ricane en constatant qu'il reste de la neige dans les cheveux de Damian, et que Samuel en tient une boule au creux de sa main gantée.
— Pourquoi ? Je l'interroge, dépité, en avisant la boule.
— Il veut voir combien de temps une boule de neige tient au frigo.
— Tu es idiot ou quoi ? Jette-moi ça par la fenêtre.
Samuel soupire, mais gagne tout de même la fenêtre du salon pour jeter l'objet du délit sans mot dire. Pendant ce temps, son petit ami se défait de son manteau, et vient se planter à mes côtés, intrigué par la bouteille de champagne que Jay tient toujours entre ses mains.
— On fête ton départ ça y est ? Joie.
— J'imagine que tu te trouves drôle ?
— Si tu savais, raille Damian en s'éclipsant vers la cuisine pour se laver les mains.
Samuel est à nouveau avec nous, et semble bien plus rapide que son vis à vis pour comprendre la portée de la situation. Son regard saute de la bouteille de champagne à Jay, puis à Fiona, pour ensuite atterrir sur Ariana, et moi.
— Non ?
— Si, si, s'exclame Fiona.
— Vous connaissez déja le sexe ?
— Une petite merveille, ou un petit trésor..., on sait pas encore.
Samuel s'approche de Fiona, la prend dans ses bras, l'étreint avec force, le sourire d'une oreille à l'autre.
Mon frère nourrit une passion quelque peu étrange pour les bébés : il m'a déjà glissé vouloir travailler comme sage-femme, ou en crèche. Je suis persuadé qu'il sera très bon dans ce domaine. Sa douceur et son attention sont, il me semble, deux qualités indispensables pour exercer avec les tous petits.
Fiona a replié ses bras autour de lui, bien que mon frère soit désormais aussi grand qu'elle. Le nez dans son cou, il la félicite en trépignant sur place.
— Combien de mois ? je demande à Jay.
— Quatre apparemment. J'ai pas tout suivi je crois. Je suis trop content mec, tu peux pas imaginer.
Mon regard coule sur ma petite amie, et je m'interroge.
Qu'en est-il de nous ? Nous en avons déjà parlé bien sûr, avoir un enfant serait un de nos projets futurs mais, comment envisager un tel avenir alors que notre tribu est encore loin d'avoir quitté le nid ?
Damian nous rejoint enfin, les mains aussi rouge que sa veste à capuche. Mikky sur les talons, il va à son tour étreindre Fiona, après avoir adressé un franc sourire à Jay.
— Prêt à être baby-sitter ?
— Plutôt mourir, pouffe t-il en secouant la tête.
— C'était pas une proposition.
Il râle, s'excite, explique aux deux futurs parents d'à quel point il déteste les enfants, surtout les bébés. À la fin de sa tirade, il propose mon frère comme option alternative et plus intelligente selon lui.
Je suis tout à fait d'accord.
…
Étendu dans notre lit, je regarde ma petite amie se préparer avec une énergie que je ne lui soupçonnait pas. Jay et Fiona sont partis à quatre heures ce matin, et il n'est que sept heures. La soirée a durée longtemps, agrémentée d'alcool et de rires, nous n'avons pas vu le temps passer. Mikky et Damian se sont écroulés les premiers, puis ça a été au tour de Samuel de pâlir avant d'aller se coucher, la tête enfoncée entre les épaules.
Danny a dormit toute la soirée, n'est passé que quelques minutes pour avaler un bol de riz blanc et saluer nos amis. Sa gastro lui tient bien au corps, il me fait vraiment de la peine.
Ariana extirpe un tee-shirt précis de sous une pile conséquente, l'examine, puis le replie avant de le remettre à sa place.
— Mon cœur, tu sais que tu vas juste à la fac ? Un sweat suffirait.
— Je sais. Mais depuis le temps que tu me connais, je pensais que tu avais compris : je déteste paraître négligée.
— J'avais compris. Les garçons sont levés ?
Elle s'arrête un instant, tend l'oreille, avant de vivement hocher la tête. J'écoute à mon tour, et perçoit le son caractéristique de la douche, dans la pièce d'à côté.
— Tu rentres tard ce soir ?
— Non, je finis à quinze.
— Tu sais Ari, je lance en me tournant vers elle. Je pense que ce serait bien que vous vous fassiez une petite virée ''Cortez only'', histoire de ressouder tout ça.
J'entrechoque mes poings, afin de lui faire saisir la portée de mes mots, ne m'attire qu'un haussement de sourcil.
Rapide, elle enfile une paire de collant ainsi qu'une robe trop légère pour la saison, et vient s'asseoir près de moi. De sa main, elle caresse mon visage, y laisse à nouveau une marque délicieusement brûlante.
— C'était prévu. Je pensais les embarquer pour une journée au trampoline park samedi.
— Sam va être jaloux, je souris.
— Toi aussi tu devrais l'emmener quelque part. Ça lui ferait du bien.
Elle commence à peine à se relever que j'attrape son col pour la tirer à moi, et l'embrasser à pleine bouche. Vivement, elle se dégage et me foudroie du regard.
— Tu pues du bec Raf, épargne-moi ce supplice de bon matin.
— Yes. Bonne journée à toi aussi.
Elle rit, dépose un baiser sur mon front, avant de quitter la chambre.
Resté seul, je contemple le plafond, dans la semi pénombre qu'à laissé Ariana derrière elle.
Aujourd'hui pour ma part, ça va être paperasse, dossiers en retard, coups de fils, mails, tout le côté détestable de mon travail réuni en quelques heures de concentration laborieuses et déprimantes. Dans tout ça, il faudra également que je trouve le temps de m'occuper de Danny, payer la cantine des lycéens, mettre à jour notre calendrier partagé, m'arranger pour trouver un rendez-vous chez le médecin pour faire vérifier les chevilles de Damian...
Rien que d'y penser, je soupire, et enfonce mon visage dans l'oreiller le plus proche.
La journée promet d'être longue.
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