5 - Samuel
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Samuel
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Rafaël a décidé d'aller voir notre mère aujourd'hui. Je voulais l'accompagner, être là pour pouvoir le soutenir en cas de coup dur, mais il a refusé. Il m'a demandé de rester en-dehors de ''tout ça'', pour le moment du moins. Il m'a demandé d'aller au lycée, de me concentrer sur mes cours, de profiter de tout ce que la vie peut m'offrir plutôt que de ruminer sur ce qu'elle désire me prendre.
Et ça m'arrache les tripes.
L'enjeu ici, c'est moi. C'est moi que notre mère veut récupérer – pour une raison qui m'échappe toujours d'ailleurs. C'est moi qu'elle est venu voir au lycée, pas lui.
Il n'a pas le droit de me tenir à l'écart sous prétexte d'une quelconque préservation, d'une protection de surface. Le mal est fait de toute façon, elle est de retour, et veut m'arracher à ma vraie famille, alors que peut-il espérer en me gardant éloigné de la première ligne ?
C'est dur d'être face à l'ennemi, mais c'est tout aussi dur d'être loin du champs de bataille, à se demander ce qu'il advient de ceux parti au combat.
J'accélère le pas, frigorifié. Il pleut à verse depuis une bonne heure déjà, et il est désormais évident que mon simple sweat couplé à ma veste ne suffit pas à me protéger de la morsure de l'eau gelée. Elle s'écoule de mes cheveux jusqu'à mon cou, me fait l'effet d'une caresse coupante et glacée sur la peau.
Les mains dans les poches, je jette un regard sur le Rhône, sur ma gauche, dont l'eau est agitée par la pluie et le vent. Il n'y a presque personne sur les quais, je suis bien le seul imbécile à me promener malgré ce temps.
Je ne pouvais juste pas faire l'impasse sur ce moment de tranquillité, seul, face à face avec ce que je refoule depuis vendredi. Suite à la soirée chez Evan, j'ai passé ma journée de samedi à alterner entre la cuisine et ma chambre, l'estomac et le cœur au bord des lèvres. C'était la première fois que je décidais de me mettre aussi mal pour juste... faire l'impasse sur le film en noir et blanc, angoissant, qui tournait en boucle dans ma tête. Depuis les événements de l'an dernier, à Soledo, je ne m'étais pas senti aussi mal, aussi piégé dans une situation critique. C'est abominable, de se rendre compte qu'on ne peut rien faire à son niveau, face à quelque chose qui pourtant, nous prend pour cible.
Dimanche n'a pas été d'une grande différence : j'ai passé ma journée dans mon lit, ai refusé d'aller marcher avec Ariana, Damian et les jumeaux, me suis concentré sur une seule et unique pensée, à savoir comment faire sortir ma mère de ma tête et par la même occasion, de ma vie.
Je soupire, en arrivant enfin en bas de notre immeuble. Je sais bien que je n'y trouverai personne en montant. Rafaël avait rendez-vous avec un partenaire en fin d'après-midi, Ariana travaille, Danny est en soutien scolaire, et Mikky et Damian sont à l'Arène.
Qu'importe. Avec le peu de force qu'il me reste, je gravis les sept étages, mets un temps fou à retrouver mes clefs perdues au fond de mon sac à dos, avant de pousser notre lourde porte en bois.
De la musique s'élève du salon, un rythme assez fort pour me faire penser à ce qu'écoutent Ariana et Damian lorsqu'ils s'entraînent. Je hausse un sourcil en jetant mon sac dans l'entrée, avant de rejoindre le salon, pour trouver mon petit ami en train de sauter sur place, en sueur, les cheveux retenus en arrière par un bandeau que je devine appartenir à sa sœur. Il ne me remarque tout d'abord pas, trop occupé à gérer sa respiration haletante et à s'agiter en tous sens. Puis, au bruit sourd de mes chaussettes sur le plancher, il relève la tête et se tourne vers moi, soulagé.
— C'est pas trop tôt !
Il gronde, cesse de s'agiter sur la musique, et se rapproche de moi d'un pas rapide, l'air concerné.
— Tu as vu le temps qu'il fait dehors ?
— Tu devrais pas être à l'Arène... ?
— Hum, bien sûr. Et te laisser tout seul alors que tu as passé la journée et le week-end à broyer du noir ? Et puis quoi encore ? Bouge pas.
Il fait volte-face, et s'éloigne vers la salle de bain avant de revenir armé d'une serviette qu'il déplie pour me la passer autour de la tête, et frictionner mes cheveux. Ses mouvements sont rapides, mais doux : il n'est pas en colère, juste inquiet. Au bout de tout ce temps passé ensemble, je commence à le connaître. Il utilise l'illusion d'une colère froide pour cacher bon nombre d'émotions qu'il ne s'autorise toujours pas à laisser exploser comme il le devrait. Comme l'inquiétude, la peur, la tristesse, tout ce qui lui paraît ''négatif''.
— Dami...
Il fait glisser la serviette derrière ma tête, la gardant bien en main, me tire en avant en l'utilisant comme une sorte de filet.
Son front se presse contre le mien, je profite de sa chaleur, ferme les yeux.
— Je vais pas te forcer à parler, ce serait un peu l'hôpital qui se fout de la charité mais....
Il ravale sa salive, tire un peu plus sur la serviette pour me forcer à m'avancer encore plus près, toujours plus proche de lui.
— … t'es pas tout seul, on est là, alors te barrer sous la flotte et te la jouer solitaire endurci, ça sert à rien. Déjà parce qu'on sait tous que ça va pas, et de deux parce qu'en faisant ça, tu va dans le sens de l'autre pouffiasse : elle t'a pas encore récupéré, t'es toujours avec nous.
Il tremble un peu, tout en déposant un baiser contre ma joue, avant de se reculer, les yeux embrumés de tout ce qui l'agite, tout ce que ma propre situation lui renvoie.
— Sèche-toi mieux, je vais te chercher des fringues sèches.
J'acquiesce mollement, le regarde s'éloigner, avant de me laisser tomber dans le canapé. La musique tourne toujours sur l'enceinte, diffuse un son de Ed Sheeran, Nancy Mulligan. L'air est typique de cette musique irlandaise que mon frère affectionne tant, avec en prime la voix douce et chaude de l'un de mes chanteurs préférés. Ma tête commence à s'agiter toute seule, en rythme.
— I'm gonna marry the woman I love..., je chantonne.
Un pull me heurte en plein visage, lorsque jaillit mon petit ami du couloir menant aux chambres.
— Woman t'es sûr ?
— You know Dami I adore ya...
Je me redresse, attrape ses mains, et commence à le faire tourner au son de la musique que j'ai augmentée avant de me lancer dans ces pas maladroits sous le regard amusé de Damian.
— I'm gonna marry the men I love...
— Docteur Jekyl est parmi nous on dirait, t'étais pas dans une phase de déprime légère y'a genre deux minutes ?
Je secoue la tête, un léger sourire retrouvé aux lèvres alors qu'il tourne, sur une jambe, avant de venir se nicher contre moi.
Mes vêtements sont toujours trempés, ceux de Damian commencent à s'humidifier à mesure qu'il reste contre moi. Le rouge de son tee-shirt se fonce, s'alourdit. Mon petit ami grogne, me jette un regard équivoque, se défait de ma prise pour s'éloigner et m'indiquer la pile de vêtement abandonnée par terre. Il l'a lâchée au moment où j'ai attrapé ses mains.
— Tu devrais aller prendre une douche et te changer.
— Tu viens avec moi ?
— Même pas en rêve, je finis mon sport, et après j'ai des devoirs à faire. On a pas tous le luxe d'être doué en classe sans trop se fouler.
Il roule des yeux, mélodramatique, attrape son portable pour changer la musique, tandis que je passe à côté de lui, mes vêtements entre les mains. D'un coup de coude, je lui fais connaître mon mécontentement, m'attire ses foudres, une ou deux insultes dans un espagnol incisif.
— Je t'aime Dami.
— Va te faire foutre.
— I'm gonna marry another guy I love...
Ses grincements irrités m'arrachant un rire franc alors que la porte de la salle de bain se referme derrière moi.
…
La transpiration me dégouline du front jusqu'au menton, me procure une sensation étrange, comme si l'intérieur de mon corps était glacée, alors que l'extérieur s'embrase à chaque mouvement.
À chaque contraction de mes muscles, c'est une nouvelle vague d'adrénaline qui me percute, me force à continuer, le tout sous les encouragements électriques du coach et le bourdonnement de ma respiration. Le sang rugit à mes oreilles, m'étourdit, m'empêche de mon concentrer sur la musique que diffuse les enceintes.
— Samuel, ton dos, plus droit s'il te plaît !
Mes dents grincent, et ma prise sur la kettlebell se raffermit d'un coup : mes phalanges sont d'une pâleur cadavérique tant je met de pression sur la poignée en métal de mon matériel.
Mikky juste à côté de moi, hausse un sourcil en m'entendant gronder comme un fauve en cage. Mes muscles vont lâcher, dans très peu de temps mais au moins, je me serais défouler, j'aurais évacuer, et c'était ça l'idée en franchissant les portes de la box ce soir.
Lundi soir, lorsque Rafaël est rentré de son rendez-vous avec Jay, la nouvelle est tombée : malgré leur rendez-vous prévu au préalable par téléphone, notre mère ne s'est jamais présenté face à lui. Il a attendu bien sûr, une demie heure seul à cet table de café en plein cœur du deuxième arrondissement mais, au bout de plusieurs appels à vide et d'une éternité à attendre, le constat s'est imposé de lui-même, elle ne viendrait pas.
Et depuis c'est le silence radio. Pas de nouvelle, bonne nouvelle comme on dit mais, au fond de moi, je persiste à croire que tant que nous n'aurons pas joué carte sur table avec cette mégère, l'angoisse qui me ronge de l'intérieur depuis la semaine dernière ne me quittera pas.
C'est infernal. Je dors mal, suis tout le temps sur le qui-vive de la voir surgir en bas de notre immeuble, ai des sueurs froides en repensant au fait que son but ultime, la finalité à sa mission première, c'est m'arracher à mon foyer, à ma famille.
Elle n'en a pas le droit. J'ai seize ans, j'ai le droit de choisir avec qui je veux vivre.
— Samuel !
Une main se pose sur mon épaule, me tire brusquement de mes songes colériques, me ramène sur terre. Notre coach est à mes côtés, les sourcils froncés :
— Il y a un problème ? Tu es pas du tout concentré sur ton corps là.
— Si si je..., j'ai passé une mauvaise semaine, je ressasse.
Il secoue légèrement la tête, m'indique de faire une pause avant que nous ne débutions le parcours chronométré du jour. Les jumeaux et Nassim m'accompagnent, visiblement impactés par mon état second.
D'ordinaire, Rafaël et Damian viennent avec nous mais, en fonction des rendez-vous chez le psychologue de mon petit ami, il lui arrive de louper l'entraînement. Et comme Ariana travaille, c'est Rafaël qui l'accompagne.
Ce soir fait donc parti de ces tristes soirées où notre petite équipe n'est pas au complet.
— Sam écoute, me lance Nassim en attrapant sa bouteille. Je sais pas trop ce qui se passe entre toi et ta mère, mais... je vois bien que ça te met super mal.
— Je vais bien, j'ai juste besoin de me défouler.
— Là tu te défoules pas, tu te casse le dos, contre Danny avec froideur.
Lentement, je me redresse pour constater que leurs yeux sont tous braqués sur moi, et me dévisagent avec inquiétude.
Je ne vais pas si mal que ça, il faudrait qu'ils songent à arrêter de se mettre en boule pour si peu. Certes je ne suis pas au meilleur de ma forme mais, je suis très loin d'être au bord du gouffre. C'est juste... cette colère qui ne e quitte pas depuis vendredi dernier, qui grandit et me bouffe de l'intérieur.
En soi, je ne suis pas inquiet, ou du moins, pas énormément : mon côté optimiste me pousse à croire dur comme fer que même en essayant, notre mère ne pourra pas récupérer ma garde. Ce n'est pas ça le problème.
Le problème, c'est qu'à un moment donné, elle ait pensée ''bon'' pour moi de faire irruption dans ma vie, de réclamer ma garde, et ce sans même me concerter au préalable. Ma vie, ce n'est pas elle, ce n'est plus la Nouvelle Zélande, ce n'est plus ces heures passées à attendre qu'elle daigne préparer quelque chose à manger dans notre appartement sale et odorant, non. Ma vie désormais, c'est Rafaël, et les Cortez, point. Ma vie c'est les jeux vidéos avec les jumeaux, c'est parler de livres avec Rafaël, c'est aller me promener en ville avec Ariana, c'est sentir les battements du cœur de Damian contre mon torse, c'est Nassim et ses blagues ridicules, c'est Jay, Fiona et leur futur bébé.
Ce n'est pas elle. Et si son cerveau gangrené par l'héroïne n'est pas capable de l'accepter, ce n'est pas mon problème.
— Est-ce que ça vous dit un BK après la séance ? propose Nassim, un léger sourire au coin des lèvres.
— De ouf, on emmène Dami ?
La question de Mikky fait rire son frère, m'arrache un sourire attendri. Sa dévotion sans bornes envers Damian est un véritable délice.
— On verra s'il est chaud, je réponds finalement. Tu sais bien qu'après ses rendez-vous du jeudi il est plutôt du genre à vouloir rester tranquille devant Netflix.
— Pas faux. On y retourne ?
…
Comme convenu après notre séance, c'est au Burger King de Garibaldi que nous prenons place, tous armés de nos plateaux remplis à leur maximum d'à peu près tout ce que contient la carte.
Mikky reste encore le plus sage, suit à la lettre les conseils de son saint parmi les saints, n'a opté que pour un menu simple et un dessert.
« C'est quoi l'intérêt de se butter au crossfit pour aller bouffer comme des grosses patates après » - Damian.
« Dami chéri, ton corps est trop pur et vierge de mal-bouffe pour comprendre l'orgasme culinaire que sont les frites nappées de cheddar du BK » - Nassim.
Je lis le message par-dessus l'épaule de mon ami, lui lance un regard offusqué.
— Quoi ? s'enquit-il en avalant une frite.
—''Chéri'' ?
— J'attends secrètement que tu décèdes dans un tragique accident de tram pour te le voler.
Face aux regards incrédules des jumeaux, Nassim s'esclaffe et se rattrape tant bien que mal.
— Je rigole, je rigole. J'aime les seins moi.
— C'est si joliment dit, je marmonne en roulant des yeux.
— Tu aurais dis comment toi ?
— Eh bien par exemple : « Je préfère la grâce, la douceur et l'intelligence infinie des femmes à l'humour sale, et à la bouffonnerie des hommes », rétorque une voix derrière nous.
Je suis le premier à me retourner pour tomber sur Maddy Petrova, escortée de deux autres jeunes femmes qui ne doivent plus être au lycée depuis longtemps. Elle nous adresse un grand sourire, indique à ses amies d'aller s'asseoir, avant de se rapprocher d'un pas tranquille.
— Maddy Petrova au BK, qui l'aurait cru.
— J'ai aussi le droit de m'enfiler trois mille calories de gras quand j'en ai envie.
Nassim acquiesce, tandis que Danny et Mikky se sont resserrés l'un contre l'autre, visiblement impressionnés par la nouvelle arrivante.
— Comment ça va Sam ? On s'est pas revu depuis que tu as manqué vomir dans ma voiture.
— Je... c'était un passage à vide.
— Évidemment. Et qui sont ces deux adorables loulous ?
Danny rougit jusqu'aux racines, détourne les yeux. Son frère lui, préfère se redresser, légèrement bomber le torse, et offrir une grimace assurée à Maddy.
— … Miguel, couine t-il malgré sa belle assurance. Et Daniel.
— C'est les frères de Damian, je rajoute.
— Ça se voit, ils ont les même yeux.
Elle observe les jumeaux encore quelques secondes avant de revenir à nous, les sourcils haussés. À sa façon de faire la moue, j'ai l'impression furtive qu'elle aimerait dire quelque chose mais qu'elle n'ose pas le faire. À la place, elle s'assoit sur le tabouret en bout de table, et pioche une frite dans mon paquet.
— Bon, lance t-elle joyeusement. Raconte-moi Samuel, les states. Je n'y suis jamais allé, comment c'est ?
Elle semble réellement intéressé par ce que je pourrais lui partager de mon court séjour aux États-Unis. Les coudes sur la table, les doigts sous le menton, elle attend, et moi je me liquéfie. Qu'est-ce que je pourrais bien lui raconter ? Que les gangs et l'accès facile aux armes sont vraiment deux points inoubliables de mon séjour, que même les légumes goûtent le sucre, que le cliché sur les cheerleader est vrai ?
Elle doit s'apercevoir de mon mal-être car, accompagné d'un sourire doux, elle m'indique que je peux éviter le sujet.
— C'est particulier, je finis par marmonner. De toi à moi, j'en ai visité des pays et, vraiment, je ne te recommande pas les states.
— Mauvaise expérience ?
— … sur certains points, ouais.
Je coule un regard à Nassim, puis aux jumeaux, pour m'apercevoir au ralenti que Danny est figé, les yeux écarquillés, et fixe un point derrière Maddy.
Perplexe, je suis son regard, pour tomber sur une bande de jeunes qui vient de bruyamment passer les portes du restaurant. Ils doivent tous avoir entre dix-huit et vingt ans, et ont tous la peau noire.
Pas besoin d'être un génie pour comprendre ce à quoi pense Danny, là tout de suite.
Cela fait un an que nous habitons ici, dans l'un des quartiers les plus cosmopolites de Lyon et pourtant, le traumatisme des jumeaux vis à vis des King100 ne s'est toujours pas atténué. Dès lors qu'ils se retrouvent à proximité de personnes qui, de près ou de loin sont susceptibles de lui rappeler Donni, Lenni ou les autres, ils se décomposent, et finissent par rester figés. Par peur, par simple flash qui les ramènent douze mois en arrière, face à ceux qui ont fait imploser nos vies.
— Danny, je lance doucement en claquant des doigts devant son visage. C'est bon.
Il ne m'écoute pas, fixe le groupe se rapprocher du comptoir, tandis que Mikky s'agite, secoue l'épaule de son frère.
— Un problème ? demande Maddy.
— Non, pas du tout. Danny a été malade toute la semaine dernière, il a peut-être chopé un coup de chaud ?
Comme soudainement reconnecté à la réalité, Danny se retourne vers moi, m'offre un drôle de sourire tordu, puis se passe une main sur le front où commence effectivement à perler une légère sueur.
— Oui pardon, j'ai un peu... chaud.
— Tu veux sortir cinq minutes avec moi ? Nassim, tu me surveilles Mikky ?
Sans attendre de réponse, je me redresse, m'extirpe de la banquette et passe un bras autour des épaules de Danny pour le guider jusqu'à la sortie, sous les regards étonnés de Nassim et Maddy.
Une fois à l'extérieur, à l'air frais du milieu de soirée, je laisse Danny s'asseoir sur un rebord de barrière, reprendre ses esprits.
— Petit coup de mou ?
— Excuse-moi Sam j'ai...
— T'excuse pas. Je te rappelle que je sors avec monsieur Trauma alors, les flashs et autre mauvais souvenirs qui étouffent, je connais bien.
Il hoche doucement la tête, prend une grande inspiration avant de lever le nez vers le ciel voilé de nuages.
Et dire que Ariana et Rafaël sont persuadés que tout va bien, que tout est quasiment rentré dans l'ordre. Ils se trompent totalement. Les jumeaux sont loin d'être en forme : l'un et l'autre gardent des séquelles de ce qui s'est passé l'an dernier. Même s'ils ont vécu certains événements de loin, ils les ont tout de même vécu, ressenti, et rien que pour ça, il leur faudrait à eux aussi rendre quelques petites visites chez le psychologue. L'enlèvement de Damian, la mort de Hugo, ils n'étaient peut-être pas présent à Soledo lorsque c'est arrivé mais, il n'en reste pas moins qu'il s'agit de leurs frères.
Je crois pouvoir affirmer sans me tromper qu'aucun de ces deux événements n'a jamais vraiment été repris avec eux.
— Des fois la nuit, commence Danny avec une petite voix, je repense au jour où Ari est partie avec papa pour faire la peau à Donni. Et puis après, ça a été à votre tour de partir, on s'est dit avec Mikky que vous ne reviendriez jamais. Et quand je rêve de ça et bah... je me réveille, et j'arrive pas à me rendormir.
— Tu en as parlé à Ariana ?
— Non. Et j'ai pas envie de lui en parler. Quand on va mal, elle fait n'importe quoi.
Je ne peux pas le contre-dire alors, je reste silencieux quelques secondes.
— Quand ça va pas la nuit comme ça, t'as le droit de venir toquer chez moi.
— Hum.
Il s'est refermé. Ses yeux sont rivés sur le trottoir, ses épaules voûtées, ses lèvres scellées. J'ai réussi à lui arracher ces quelques mots sur son mal-être mais, ce seront les seuls pour ce soir.
Le temps que nous reprenions nos esprits et que nous retournions à l'intérieur du restaurant, le groupe de jeunes déclencheurs du passage à vide de Danny sont ressortis, nous ont même saluer avec bonne humeur.
Nassim me regarde m'asseoir avec un drôle d'air. Son plateau est presque vide, comme celui de Mikky. Maddy quant à elle, a disparue.
— Tout va bien ?
— Je crois oui, je réponds distraitement.
Il n'en croit pas un mot mais s'abstient de tout commentaire. Que pourrait-il dire de toute façon ? « Je sais que tu mens », « Tu peux me parler » ?
« Vous rentrez bientôt ? » - Damian.
Je lance un bref sourire à Nassim, avale une poignée de frites, avant de pianoter ma réponse sur mon portable :
« Bientôt mi amor. Je te manque tant que ça ? » - Samuel.
« … si je te dis oui ça te fera arriver plus vite ? » - Damian.
« Sans doute. Je peux te ramener un dessert si tu veux ? » - Samuel.
« Un mec cliché aurait répondu ''C'est toi mon dessert''. Moi, comme je suis juste casse délire, je vais te répondre ''Non merci, je me contenterais d'une compote à boire'' » - Damian.
« Petit con » - Samuel.
« Te amo » - Damian.
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