Chapitre 6
Hans et Pohn entrent ensemble. Ça aurait pu avoir l’air stupéfiant de voir les deux opposants arriver ensemble sans qu’ils ne se tapent dessus mais leurs expressions font froid dans le dos. Un mélange de peur, de surprise et de tristesse peint leurs visages. Alertés par ces mines austères, nous ne pouvons pas rester de marbre. Mille questions se bousculent dans ma tête, toutes plus folles les unes que les autres, nourries par le souvenir de mon cauchemar qui continue de me hanter.
- Que se passe-t-il ? Pourquoi faites-vous ces têtes ?
- Désolé de vous déranger, chef, mais on a un gros problème.
- Un très gros, même. Il faut que vous interveniez à nouveau, tous les deux. Même si je n’aime pas cette idée, le fait que vous soyez ensemble fédéralise l’ensemble de la ville et peut nous aider dans cette situation.
- Dites-nous ce qu’il se passe, au nom de Týr !
- Bjorn a disparu. Il était dans l’établit de Grigg, comme vous l’aviez demandé et il a veillé le corps toute la nuit et tout le matin mais quelqu’un est entré, l’a frappé à la tête assez fort que pour l’assommer et a disparu avec le cadavre.
- Pendant ce temps-là, Ygri, la fille de Kuln, a été enlevée. On l’a retrouvée dans les bois, entourée d’un mur de feu, attachée à un poteau, sur un bûcher. Le corps de Bjorn est allongé à ses pieds. Elle hurlait de terreur quand nous sommes venus vous chercher. Il faut qu’on fasse quelque chose pour la sauver avant que le feu ne se propage au bûcher.
- Menez-nous à elle. Formez une chaine jusqu’au puit le plus proche et essayez d’éteindre le feu.
- Allez aussi chercher des linges. On va les humidifier pour se protéger du feu et aller sauver cette pauvre Ygri.
- Non! C’est de la folie! Fraya! Tu ne peux pas faire ça! Le feu te consumerait avant que tu n’arrives à elle !
- Pas si les linges sont assez mouillés. Allons-y et sauvons-la !
Inquiète, je prends la tête du groupe et me dirige vers la forêt et vers les voix qui nous parviennent. Le feu ne s’est pas encore assez approché du bûcher mais il n’est plus très loin. Hurlant ses ordres, Flock essaye de me dissuader de me jeter dans le feu pour sauver la jeune fille en danger. Je reste sourde à ses suppliques et arrose moi-même les draps qu’on m’apporte jusqu’à ce que le tissu commence à gouter. Je prépare trois autres linges puis je me dirige vers la muraille de feu, là où tous s’affairent à arrêter l’incendie. Flock m’arrête au dernier moment, me regarde droit dans les yeux, à la recherche d’une hésitation, et m’embrasse comme si c’était la dernière fois tout en me glissant un couteau en main. Je lui rends son baiser, caresse sa joue et positionne mes protections du mieux que je peux pour éviter de flamber au passage. Je profite qu’un seau se déverse sur les flammes pour me jeter dedans en courant. J’entends des cris d’étonnement puis des hurlements de terreur quand tous comprennent ce qu’il vient de se passer.
De l’autre côté de la muraille de feu, l’air est irrespirable. Les flammes se rapprochent rapidement du tas de bois où Ygri et Bjorn culminent. La jeune fille est à moitié évanouie et tient à peine sur ses pieds. Je ne perds pas une seconde. Je monte aussi vite que la fumée et des draps humides me le permettent en haut du bûcher. Grâce au couteau de Flock, je coupe facilement les liens qui la retiennent prisonnière. Je l’entoure des linges que j’avais préparés pour elle, essaye de la ranimer un peu puis l’aide à descendre. Je sens sa peur de traverser le mur incandescent qui nous sépare de la liberté. Je tente de la rassurer mais elle s’évanouit avant de tenter quoique ce soit. Je n’ai plus le temps. Je la prends comme je peux sur mon dos et fonce à nouveau vers l’incendie.
J’y suis arrivée. Nous sommes toutes les deux vivantes mais mes mains et mes joues ont un peu trop chauffé. Mes vêtements sont légèrement carbonisés, laissant apparaitre des plaques rouges de brûlures. Heureusement, Ygri ne semble pas être blessée. Ses parents, les joues couvertes de larmes, se ruent vers elle. Deux fortes mains entourent ma taille et me retourne. Flock me fait un câlin avant que je n’aie eu le temps de dire « Ouf ». Ses joues sont aussi trempées que celles des parents éplorés. Il m’écrase contre lui, remerciant les dieux de m’avoir protégée et de m’avoir rendue entière à lui. J’essaye de me dégager un peu et de lui faire comprendre que je vais bien mais il ne veut rien m’entendre. À côté de nous, le reste du clan combat toujours le feu mais rien n’y fait. Il continue de se propager vers le bûcher mais aussi vers la forêt. Je propose qu’on coupe les arbres les plus proches, qu’on crée un périmètre de sécurité et de faire un nouveau feu que nous garderons sous contrôle. Certains me regardent comme si mon idée était stupide mais la majorité comprend ce que je veux faire. Rien de mieux pour combattre le feu que de faire du feu.
Rapidement, les arbres sont coupés et transportés vers les réserves de bois. Armés de seaux d’eau, une ligne de feu est créée puis arrêtée quand un bon mètre de terre soit brûlé. Ça devrait être suffisant mais nous devons garder à l’œil l’incendie principal. Celui-ci a atteint le bûcher et de longues gerbes de flammes se déploient vers le ciel blanc. Hans et six autres sont désignés pour veiller dessus et à ce que ça n’aille pas plus loin et nous retournons en ville. Mes jambes et mes mains brûlées me font mal et de petites cloques d’eau se forment mais il faut que je continue d’avancer. Mes forces me quittent rapidement et ma vision se trouble. Avant que je ne l’ai compris, je tombe dans les bras de Meili.
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