Chapitre 8

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Plusieurs heures plus tard, nous sortons enfin du lit, le sourire aux lèvres et une douleur sourde au fond de moi. Dehors, le soleil brille fort, presque comme un soleil d’été. La ville semble calme mais je sens que quelque chose ne va pas. Mes jambes sont encore douloureuses d’avoir été brûlées et écartées. Flock m’aide à marcher. Plus nous approchons du port, plus les voix se font fortes. Plusieurs personnes se disputent mais je ne comprends pas ce qu’elles disent. L’inquiétude me gagne. La tension devrait avoir disparu avec la mort de Bjorn et le sauvetage de Ygri.

Malheureusement, ça ne semble pas être vrai. Qu’est-ce qu’il se passe encore ? Je m’attends à retrouver Ygri, Pohn et Hans en train de s’étriper mais ils se tiennent tous les trois sur le côté et regardent deux autres personnes se battre.

La foule est trop nombreuse que pour voir quoique ce soit. En voyant le Jarl arriver, tous s’écartent précipitamment et nous laissent passer, dévoilant toute l’horreur du spectacle devant nous. Tarin est prostrée à terre, du sang coulant à flots de sa bouche et de son nez, et se replie de plus en plus sous les coups qui pleuvent de Heimden. Un regard à Flock me confirme que lui ne comprend pas ce qu’il se passe. D’habitude, tous les deux s’entendent très bien, certains allant jusqu’à leur prêter une relation. Mais là, ça va trop loin. Beaucoup trop loin. Je fais un pas vers eux pour arrêter.

Une main se pose sur mon bras et m’arrête. Je tourne la tête pour voir qui ose me stopper dans mon élan tout en dégageant mon bras. Flock me fait signe de ne pas faire un pas de plus. Puis, me poussant vers la masse choquée, il avance et empoigne Heimden par le col. Il le tire en arrière et le jette à terre. Je me précipite vers Tarin, la prends dans mes bras et l’aide à se relever. J’hèle les autres femmes qui viennent m’aider et nous la portons jusqu’à la maison.

La pauvre ne sait plus tenir sur ses jambes qui sont pratiquement brisées. Elle perd une quantité de sang trop importante. Les soigneurs se précipitent dans notre sillage, hurlant des ordres à leurs assistants pour qu’ils aillent chercher les herbes, les onguents et leurs nécessaires de couture. Aussi doucement que possible, nous posons la blessée sur la table la plus proche qui est heureusement dégagée. J’ordonne aux autres femmes de s’écarter pour laisser les soigneurs et les assistants faire. Et nous sortons.

Les heures passent mais rien ne sort de la grande maison à part des cris de douleurs et des ordres. Flock et la plupart des hommes nous rejoignent et attendent avec nous. La bière passe de main en main, de bouche en bouche. Des feux sont allumés et, bientôt, l’odeur de la nourriture s’élève tandis que le soleil se couche à l’horizon. La nuit avance et la fatigue s’installe. Mes jambes ne me tiennent plus et un banc apparait miraculeusement sous moi quand elles cèdent. Flock s’accroupit auprès de moi, pose sa main sur ma cuisse et me demande si tout va bien, le visage inquiet. Je veux le rassurer mais ma gorge émet autant de bruit que l’habitation qui se tient orgueilleusement devant nous. Il se relève et me soulève dans le même mouvement. Un petit cri surprit sort de ma bouche, faisant tourner quelques visages narquois vers nous. Puis il s’assied et me pose sur ses genoux. Les mains nouées autour de son cou, la joue contre sa poitrine et ses bras me serrant juste comme il faut contre lui, je ne tarde pas à m’endormir.

Un courant d’air froid me réveille. Je frissonne et me colle plus contre la chaleur de Flock. Un rayon de lumière arrive dans mes yeux, me tirant définitivement du sommeil. J’ouvre péniblement les paupières pour découvrir le soleil qui se lève de l’autre côté de la forêt. Mon homme dort toujours, sa joue posée sur le sommet de mon crâne. Tout le monde est resté dormir à la belle étoile, formant un paysage irrégulier de corps dans l’espace entre les maisons, mis en valeur par le rayon de soleil levant. Je regarde la ville se réveiller lentement. Tous regardent la porte qui est restée close toute la nuit puis se tournent vers nous, le regard remplis d’inquiétudes et de questions. J’aimerai les réconforter mais je suis tout aussi inquiète qu’eux. Veillant à ne pas réveiller mon guerrier endormi, je me lève et vais jusqu’à la maison silencieuse. Devant le battant, je reste interdite, me posant mille questions sur l’état de Tarin et si je peux entrer ou non. En général, les soigneurs n’aiment pas trop qu’on vienne les déranger pendant qu’ils fournissent des soins, sauf si c’est vraiment important.

Prenant mon courage à deux mains, je pousse doucement la porte qui ne résiste pas. À l’intérieur, tout est sombre, plongé dans l’obscurité à peine chassée par les bougies qui encadrent le corps de la blessée. Un assistant la veille et je vois les ombres de plusieurs personnes qui parlent dans un coin, d’une autre qui fait des aller-retours depuis la cheminée jusqu’à la table. Je m’approche silencieusement et pose ma main sur l’épaule de l’assistant qui sursaute, surpris de voir que quelqu’un est entré et s’est approché de lui sans faire de bruit. Il m’explique que les blessures de Tarin sont plus sérieuses qu’elles n’y paraissent car le sang se répandait à l’intérieur, créant une trop grande pression sur son cœur et sur son ventre, mettant sa vie et celle de l’enfant qu’elle portait en danger.

C’est un choc et ça le sera pour elle aussi. C’est la première fois qu’elle tombait enceinte et on a dû lui enlever son bébé pour qu’elle puisse vivre. Est- ce là la raison qui a poussé Heimden à lui faire du mal ? Parce qu’elle attendait un enfant de lui ? Je ne pourrais le savoir qu’en allant le lui demander moi- même.

Pour ne pas éveiller les soupçons de la foule qui attend devant, je passe par derrière et fais le tour pour accéder aux quelques cellules de la ville. Derrière les barreaux, Heimden se tient la tête entre les mains, l’air désespéré.

  • L’as-tu frappée parce qu’elle attendait un enfant ?
  • Quoi ? De quoi tu parles ?
  • Je te demande pourquoi tu as frappé Tarin jusqu’à ce que son sang se répande à l’intérieur d’elle et mette sa vie en danger.
  • Je... Ça ne te regarde pas. Ce sont nos histoires et pas les tiennes.
  • Je suis la future femme de ton chef. À ce titre et en tant qu’amie, je me sens tout aussi lésée que Tarin donc tu vas répondre à les questions. Maintenant !
  • Mais.. Je... Bon, d’accord. Elle m’a dit qu’elle porte notre enfant en elle mais ça m’aurait obligé de l’épouser. Je n’ai pas l’argent ni les moyens de prendre soin d’elle et du bébé.
  • Ne t’inquiète pas, il n’y a plus d’enfant. Les soigneurs ont été obligés de le faire partir pour lui sauver la vie. Si c’est la peur de ne pas savoir subvenir à leurs besoins, tu n’avais qu’à venir nous trouver, Flock et moi. On aurait pu trouver une solution. Ensemble. Maintenant, il est trop tard. L’enfant est mort, Tarin dort toujours et on ne sait pas encore quand elle va se réveiller. Tu sais que son père va demander un dédommagement pour les dégâts que tu as fait.
  • Je sais et j’en suis désolé. Je n’ai pas réfléchi, j’ai... juste agi.
  • Comme tout homme. C’est pourquoi on demande souvent l’avis des femmes avant d’agir. Elles sont en général plus posées et son moins sanguines.
  • Sauras-tu m’aider ? Faire comprendre à tout le monde que je n’ai agi que par instinct et surtout par la peur ?
  • Je pourrais et je vais essayer. Je sais que tu aimes Tarin tout autant qu’elle tient à toi. Je vais voir ce que je peux faire mais je ne peux pas te promettre qu’elle te le pardonnera un jour.
  • Je sais. Merci Fraya.

Je le laisse seul avec ses pensées, perdue dans les miennes. Je retourne la situation sous tous les angles possibles et imaginables pour trouver un arrangement pour tous. Je suis tellement concentrée que je ne me rends même pas compte qu’on m’appelle ni que je percute quelqu’un jusqu’à ce que deux bras forts me retiennent. Je relève la tête et vois Flock accompagné de Bjarne, le père de Tarin. Tous les deux ont la tête de quelqu’un qui en a trop vu ou trop entendu. Bjarne a des larmes dans les yeux et son teint d’habitude tanné par le reflet du soleil sur l’eau est pâle comme un mort. Je soupire et pose le front sur le torse large et protecteur de mon homme, avouant que je suis perdue et que je ne sais pas quoi faire. Bien sûr, ils ont parfaitement entendu ma conversation avec Heimden et ça ne m’étonne même pas. Je sais qu’ils doivent avoir des questions pour lui et qu’on y a répondu. Le père pose sa main de géant sur mon épaule puis se dirige vers mon point de départ.

D’où nous sommes, nous les entendons parler. Heimden s’excuse encore et encore, des sanglots dans la voix et Bjarne lui explique qu’il comprend son comportement, même si ça ne l’excuse pas. Lentement, l’ex-futur papa se calme tout en continuant à s’excuser et promet qu’il saura payer le dédommagement qui lui sera demandé. Apaisés, Flock et moi retournons à la grande maison, étonnant tout le monde qui ne nous avait pas vus partir. Les questions fusent dans tous les sens mais nous ne répondons à aucune, continuant notre route jusqu’à la porte qui est encore restée close.

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