Chapitre 5 : sur le chemin du retour
Quand je m'éveillai, le soleil était déjà levé depuis quelques heures. Geralt n'était plus à mes côtés. La jument non plus : elle s'était levée et broutait un peu plus loin. Je m'assis en m'entourant de la couverture pour mieux observer autour de moi. La veille j'avais été tellement en prise avec mes émotions que je n'avais pas un instant porté mon attention sur mon environnement.
Nous étions installés dans une petite crique de sable bordé d'herbes au bord de l'eau claire. Cet espace était accessible uniquement par un petit chemin en goulet descendant d'une sorte de colline couverte de végétation. C'est là que se trouvait l'arbre, dont les bourgeons commençaient à s'ouvrir, sur lequel séchaient mes vêtements. Je comprenais le choix de Geralt : de là où nous étions personne ne pouvait nous surprendre, même d'éventuels archers seraient en peine pour nous atteindre. La rive opposée était également inaccessible sauf en passant à gué de là où nous étions.
La caresse du soleil me faisait du bien. J'appréciai la sérénité de l'endroit où le murmure de l'eau était agrémenté par la gaieté des chants d'oiseaux. J'avais repéré Geralt à peine plus loin, il était en train de s'entraîner, entretenant ses réflexes. Je le voyais répéter ses mouvements, attaques, feintes, parades, pirouettes… J'admirais la souplesse et la qualité de ses mouvements. Ses blessures ne semblaient pas du tout le gêner. Quand il se rendit compte que j'étais éveillée il prit le temps de se rafraîchir sommairement et me rejoignit aussitôt une pomme à la main.
– Bonjour ! Comment te sens-tu ce matin ?
– Un peu moins mal… J'essaie de ne pas penser et de profiter de ce qu'offre l'instant présent. Tu n'as pas l'air gêné par tes blessures. Tu veux bien me laisser t'examiner à nouveau ? Je voudrai voir comment guérit ta cuisse.
– Tu ne veux pas te vêtir d'abord Dame Guérisseuse ? Me répondit-il avec un sourire goguenard.
Je rougis en réalisant que cela ne m'avait même pas traversé l'esprit. Il devait s'imaginer que je voulais encore profiter de son corps. Je croquais dans la pomme sucrée et juteuse pour me donner une contenance.
– C'est une bonne idée en effet…
Il m'apporta mes vêtements encore un peu humides de la veille et me tourna le dos pour que je me sente plus à l'aise. J'en profitais pour me soulager et faire une petite toilette. Dieu que c'était désagréable cette sensation de textile humide!
– Tu veux bien m'aider à nouer? Lui demandai-je, me battant avec mes bandes de tissu.
– Bien-sûr.
Je pus à nouveau constater comment son simple contact m'électrisait. Je frissonnai puis me retournai vers lui.
– Montre-moi cette cuisse maintenant.
Il avait déjà ôté docilement ses braies et, comme il était debout, je dû m'agenouiller pour l'examiner. Il bascula son poids sur sa jambes saine écartant son genou pour me faciliter la tâche. Je fus une nouvelle fois surprise par la rapidité de sa cicatrisation et par cette excitation que je ressentais agenouillée face à lui.
La culpabilité me poignarda : j'aimais mon mari, jamais je n'aurais imaginé lui être infidèle et pourtant! Cela faisait à peine quelques jours que nous étions séparés, je ne savais même pas si lui et notre fille étaient en sécurité, et j'étais encore en train de m'imaginer accueillir cet homme dans ma bouche! La honte me fit monter le rouge au joues : il y a un nom pour ça, une salope. Voilà ce que je me révélai être. Une monstrueuse salope qui avait en deux jours de temps bafoué deux serments : celui des guérisseurs et celui du mariage. J'avais un nœud à l'estomac face à cette révélation dévastatrice. Je n'osai même plus regarder Geralt qui, respectueux et patient, attendait, observant mes états d'âme sur mon visage. Une larme perla au coin de mon oeil.
Il me tendit la main pour m'aider à me relever, d'un doigt me releva le menton pour plonger son regard dans le mien. C'était un regard très doux, compatissant, tendre.
– Je vais te ramener à tes proches. Indique-moi simplement où aller.
Prise dans mes réflexions je n'avais même pas remarqué qu'il s'était rhabillé. Il déplia une carte de peau rangée dans sa sacoche, m'indiqua où était le camp dont nous nous étions échappés et où nous nous trouvions à présent. Je lui désignai le village où je vivais tout en lui expliquant :
– Je ne sais pas si mon mari et ma fille sont toujours à la maison. Nous avions convenu de nous retrouver dans la forêt de Brokilone en cas de séparation. J'ignore s'ils se sont déjà mis en route… J'ignore s'ils vont bien…
– A cheval nous en avons pour environ deux jours. Mieux vaut contourner la ville.
Comme nous n'avions qu'une monture, nous montâmes ensemble sur Ablette : la jument alezane était bien assez puissante pour supporter notre poids à tous les deux. Je sentais la présence de Geralt dans mon dos. Je pouvais, sans le gêner, me caler contre son torse musculeux et suivre ainsi sans efforts les mouvements de la jument. Je continuai de ruminer de sombres pensées, nourrissant ma mésestime de moi et ma culpabilité.
Nous chevauchâmes ainsi des heures durant, en silence, ne nous arrêtant que pour répondre à nos besoins naturels d'alimentation et d'élimination. Le soir tombant nous nous arrêtâmes pour la nuit. Le Sorceleur nous dénicha une petite grotte, dotée d'une source claire et entourée de bois sauvages. Il dû batailler un peu avec la créature qui vivait là pour qu'elle nous laisse son espace et il flottait dans l'air l'odeur musquée et âcre de sa peur et son mécontentement.
Geralt fit un feu pendant que je ramassai alentour du bois sec et autres branchages, pour alimenter le feu, et des plantes aromatiques dans l'espoir d'assainir l'air et de dissiper l'odeur de la bête. Cela fonctionna plutôt bien. Nous sortîmes les quelques provisions restantes pour les partager tandis que la grotte devenait agréablement tiède. Je me désaltérai à la source, préférant éviter de répéter mon expérience alcoolisée de la veille et voulant désormais garder le contrôle sur mes pulsions sexuelles. Geralt lui se fit plaisir, sirotant à petite gorgées. Il m'observait à la lueur du feu. Il semblait attendre que je m'exprime enfin.
J'avais la gorge nouée. J'étais enlisée dans mes ruminations. Je serrai les dents, les poings, me recroquevillais sur moi-même. Il finit par briser ce silence malaisant lui-même.
– Gaëlliane?
– Mmm?
– Tu as décidé de te torturer longtemps comme ça ? Pense-tu vraiment que de ressasser des évènements passés va les rendre différents ? Penses-tu sincèrement qu'il y avait une meilleure alternative ? Les laisser me mettre en pièce peut-être ?
– J'ai dédié ma vie à prendre soin, à soigner, à guérir. J'ai été à l'encontre de mes principes fondamentaux en brandissant cette épée…
– Dis-moi si je me trompe, dans vos vœux des guérisseurs vous vous engagez à soigner qui en a besoin et à protéger vos patients, non?
– Oui mais...
– Mais rien du tout. J'étais ton patient, tu m'as protégée. Il n'y a rien à ajouter.
– Si c'était aussi simple… et s'il n'y avait que ça…
– Qu'est-ce qu'il y a d'autre ?
– Hormis le fait que je sois une salope qui s'envoie en l'air avec un autre homme pendant que son mari et sa fille ne sont peut-être pas en sécurité ?!
Je lançai ces mots avec une violence et une hargne qui reflétait le dégoût que j'avais pour moi-même. Geralt en fût visiblement surpris. Je vis ses sourcils se hausser et ses yeux s'écarquiller. Il en était bouche bée. Il se ressaisit :
– Ce qui est fait ne peut être défait, dit-il nonchalamment en attisant le feu avec une branche, et s'il y a bien une chose que j'ai appris depuis le temps que je parcours cette terre et que j'exerce mon métier de Sorceleur c'est qu'on fait ce qu'on peut et que les remords sont toujours moins douloureux que les regrets. Pour ma part je n'ai aucun regret ni remords dans cette affaire. Au contraire !
– Mouais…
– J'ai appris également qu'on ne sait jamais de quoi demain sera fait et qu'il faut profiter de tout ce que la vie nous offre. J'ai de la gratitude pour t'avoir rencontrée.
Il y eut un temps de silence avant que je ne dise d'une voix affectée :
– Je ne sais pas s'il sera capable de me pardonner cela… Ni si j'en serai capable moi-même…
– Ne m'as tu pas dit que vous deviez vous rejoindre à Brokilone ? Tu dois bien savoir, pourtant, l'unique condition pour qu'un homme y soit toléré, non?
– Oui…
Le silence s'installa entre nous. Je le sentais tendu, contrarié par cet échange. Il se leva subitement, me tourna le dos les bras croisés. Je l'entendit respirer profondément, me prouvant que contrairement à leur réputation les sorceleurs ne sont pas si dépourvus d'émotions. De le voir réagir ainsi me fit réaliser que je ne voulais pas perdre la qualité de ce que nous étions en train de vivre. Je regardai en face toute mon ambivalence.
– Je suis désolée… Moi aussi je suis heureuse d'avoir croisé ta route… Ma vie est sans dessus dessous mais ce qu'on a partagé était bon, extraordinairement bon! C'est bien là tout le problème… Ma tête dit que c'est mal et mon corps crie encore ! Je ne me reconnais pas…
Je gardai le silence quelques instants puis repris :
– Tu as probablement raison : ce qui est fait ne peut être défait.
– Donc tu as trois options : continuer à te punir, te pardonner et reprendre ce que tu considères comme "le droit chemin" ou accueillir ce qui s'offre. Tu sais que je respecterai ton choix, quoique ta compagnie soit plutôt maussade quand tu te malmène par tes pensées.
Il m'avait lancé ça par dessus son épaule avant de sortir de la grotte, disparaissant dans la nuit noire. Je tendit l'oreille, le cœur battant, analysant les sons nocturnes. J'entendais craquer le feu, chanter la source et striduler des insectes. Un oiseau de nuit hulula.
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