Chapitre 6 : A cœur ouvert, à corps perdu (4e partie)
J'ignore combien de temps s'écoula avant que ma conscience émerge progressivement sous le contact d'un bras derrière mes épaules et de quelque chose de dur contre mes lèvres. Pourquoi est-ce qu'on me réveille? me demandais-je, j'étais pourtant si bien dans cette obscurité douce et moelleuse comme un nuage de coton. J'entrouvris la bouche en réponse à la pression de l'objet sur mes lèvres, un liquide chaud et terriblement amer agressa mes papilles. Je voulu cracher mais une main me ferma la bouche avec douceur. Il m'encouragea, murmurant dans mon oreille :
– Avale Gaëlliane, je sais que c'est fichtrement mauvais mais il faut que tu avales. Ça va contrebalancer l'effet narcotique et soporifique de l'excès de mandragore.
Il avait raison, je le savais, je me forcai donc à avaler son épouvantable décoction, essayant de réprimer mes hauts-le-cœur en me concentrant sur ma respiration. Je tentai d'entrouvrir un oeil pour le refermer aussitôt. Trop de lumière. Je réitèrai plusieurs fois avant de réussir à accomoder un minimum, mes pupilles devaient être complètement dilatées. Le breuvage me rendit de l'énergie, me permettant d'apprécier à nouveau l'acuité surnaturelle de mes sens.
– Diantre ! La mandragore c'est fort! Comment tu as pu louper ton dosage comme ça ? Le minimum avec ce genre de produit c'est de se renseigner sur le poids du patient…
– A dire vrai, pour t'avoir portée, j'ai une idée assez précise de ton poids… Je n'avais juste pas anticipé l'usage sur les muqueuses. Ce n'était pas prémédité. Enfin… Ce qui est fait est fait. Tu avais l'air d'apprécier d'ailleurs, non? me répondit-il un peu sèchement, penaud et vexé.
Je rougis en repensant aux sensations puis bredouillai :
– Heu… Oui… C'était... assez extraordinaire comme expérience… j'irai même jusqu'à dire hallucinant. C'est comme si on avait affiné chacun de mes sens. Tout me paraît dix fois plus puissant. C'est déstabilisant… A ton avis, les effets vont durer longtemps ?
Je le vis hocher la tête puis hausser les épaules en écho à mes paroles. Il semblait d'une part comprendre l'augmentation de mes perceptions, peut-être en écho à ses mutations, tout en n'ayant pas de réponse à m'offrir sur la durée des effets. Tant pis, nous évaluerions au fil de la journée. Il était plus que temps de reprendre notre route, cet intermède avait duré plus longtemps que prévu. Au moins toutes mes douleurs étaient-elles soulagées.
Nous nous préparâmes donc à partir, rassemblâmes nos quelques affaires, nous assurâmes que le feu était bien éteint et Geralt me déposa sur le pommeau de sa selle avant de mettre le pied à l'étrier. Cette dernière étape avant mon village devait se faire par les bois touffus, la jument garda donc le pas. Je bénis mentalement cette impossibilité de trotter : l'huile sur ma peau continuait de faire son effet aphrodisiaque et sensibilisant ce qui me provoquait des sensations de frottement diaboliques à cause du pommeau de la selle. J'essayais de me détourner de cette douce torture en goûtant la forêt avec tous mes sens décuplés.
J'avais toujours particulièrement aimé ce lieu de paix où les arbres sont si hauts qu'ils semblent former une cathédrale de verdure à travers laquelle filtrent les rayons du soleil, projetant des éclats dorés et mouvants. Présentement, chaque détail alentour m'apparaissait avec une netteté incomparable et mon cerveau m'offrait en complément les sensations associées me donnant l'impression de toucher et humer les tronc et les feuilles naissantes rien qu'en les embrassant du regard. Un écureuil, d'un magnifique roux flamboyant, nous accompagna un petit moment, sautant de branche en branche, d'arbre en arbre en parallèle de notre jument. C'était un ravissement de le voir si agile, si proche que j'aurai pu en compter ses poils de moustache. Un peu plus loin ce sont de jolies petites mésanges à longue queue qui m'emplirent de joie par leur présence.
Régulièrement mon corps se rappelait à moi et je devais faire cet effort volontaire et prolongé de me détourner de mes sensations tactiles. Cela devenait de plus en plus laborieux et ma respiration commençait à s'en ressentir. C'est ce qui dut mettre la puce à l'oreille de Geralt qui proposa une halte prétextant un besoin pressant. Et quel besoin ! C'est quand je le vis descendre de cheval en marchant les jambes écartées que je compris qu'il était dans un état d'excitation comparable au mien. Cela semblait même presque douloureux. Il me prit, sans détour, ôtant le stricte minimum de vêtements, à la hussarde, adossée au tronc rugueux d'un chêne centenaire. J'étais toujours sous l'effet de la mandragore ce qui rendit l'expérience particulièrement intense. Quand l'orgasme libérateur, qui se préparait depuis des heures, éclata, j'eus bon espoir d'être enfin soulagée de cette torture par le plaisir. Je pris le parti de marcher quelques temps auprès de la jument pour éviter de nouvelles stimulations embarrassantes.
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