Chapitre 24 : Brokilone, vécu de chacun

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Gaëlliane :

 La flèche aux plumes noires rayées de jaune s'était fichée dans le montant du chariot, à quelques centimètres de ma tête. Je savais que s'il y en avait une suivante elle me serait fatale. Lentement, je levais les mains pour montrer que je n'étais pas armée.

 Je savais qu'il était temps d'entonner le chant mais ma gorge était nouée par la peur. Je sentais le sang battre violemment à mes tempes. Ma vision s'obscurcissait. Il fallait que je reprenne le contrôle de ma respiration mais je n'y parvenais pas.

 Ce fut encore une fois le médaillon offert par Triss qui m'aida à reprendre le contrôle face au danger : il se mit à vibrer et à chauffer sur ma poitrine, me provoquant un apaisement salvateur. Ma respiration reprit avec ampleur et ma gorge se dénoua. Ma voix s'envola claire et puissante. Je la faisais porter aussi loin que possible. Jamais je ne l'avais projeté aussi loin d'ailleurs, peut-être l'amulette en forme de trèfle à quatre feuilles l'amplifiait-elle par la magie ?

 Les dryades apparurent devant moi, sortant de la végétation où elle s'étaient fondées, invisibles. Elles faisaient sensiblement ma taille bien que nettement plus fines que moi (qui avait pourtant beaucoup perdu en chemin). Leur peau était verdâtre et leurs chevelures aux couleurs improbables. Leurs vêtements se composaient d'un savant camaïeu de verts et de bruns expliquant en partie leur capacité à se camoufler dans leur environnement.

 Elles reprirent le chant avec moi puis l'une d'entre-elles s'approcha, me regardant attentivement en inclinant la tête de côté. Elle avait les cheveux et les yeux dorés. Il me sembla reconnaître la dryade de ma projection astrale et cela me fit mal mais je n'en montrai rien. Elle pointa sa poitrine indiquant "Taänië" puis me désigna, interrogative "Galeïann"? J'étais donc attendue. Cela me soulagea. Je répondis avec un franc sourire :

– Gaëlliane, oui et Geralt de Riv, indiquai-je en désignant le chariot derrière moi, il est blessé, il a besoin d'aide.

 Elle me regarda interrogative. Je me souvins alors du nom que Jaskier m'avait indiqué :

– Gwynbleidd! Besoin d'aide pour Gwynbleidd !
– Gwynbleidd ?

 Elle semblait savoir de qui je parlais mais ne comprenait pas ma demande. Geralt se fit entendre à l'arrière, provoquant la mise en joue du chariot par quatre dryades. Taänië me fit signe de la suivre, confiant les guides du chariot à une des autres. Elle m'accompagna à l'arrière. Je lui désignai le blessé qui s'exprima avec peine :

Ceádmil ! Vá an Eithné meáth e Duén Canell ! Esseá Gwynbleidd ! [1]

 Taänië hocha la tête et fit signe aux archères qui replacèrent leur arc dans leur dos avant de la rejoindre. Contre toute attente, à elles quatre, elles portèrent sans effort le brancard du Sorceleur. Je guidait Hekké pour lui faire faire demi-tour, récupérai nos affaires et nos chevaux, puis encourageai le cheval pie à prendre le trot. Il reparti d'où nous étions venus sans aucune hésitation, impatient de retrouver son frère.

 Courant à petites foulées avec Orage et Ablette en main, je suivis Geralt, qui restait conscient pour le moment. Deux dryades tendirent la main vers les chevaux. Un regard du sorceleur me confirma que je devais les leur confier. C'était difficile pour moi de laisser partir Orage mais je lui fis confiance.

 Nous marchâmes un long moment. Les dryades, après avoir emporté les chevaux, m'avaient bandé les yeux, me faisant perdre tous repères. Enfin, l'une d'entre-elles vint dénouer le textile qui m'ôtait la vue et je découvris le cœur de la forêt. Nous arrivions dans leur village composé de maisons végétales extraordinaires. Pourtant je ne regardais pas autour de moi. L'angoisse de la confrontation m'avait à nouveau saisi et j'ancrais mon regard sur Geralt, me raccrochant à sa présence rassurante.

 J'aperçus la silhouette de Rodric du coin de l'œil. Juste avant que nous n'entrions dans la maison devant nous, Mélusine m'appela. Sa voix me transperça, un élan d'amour me traversa mais la peur de la confrontation avec Rodric était plus puissante : lâche, je lui offrit un sourire et un signe de main rapide avant de suivre le brancard dans l'habitation.

 Il me fallut du temps pour m'accommoder à l'obscurité ambiante et aux lueurs verdâtres des champignons luminescents. Je fis connaissance avec la reine de ce peuple, Eithné qui, par chance pour moi, parlait la langue commune et, connaissant Geralt, accepta de l'aider. Je demandai à rester à son chevet tant qu'il serait affaibli et cela me fut accordé.

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[1] L'épée de la Providence, Andrzej SAPKOWSKI, p 211.

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