Partie 1

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Chapitre 1 : Le Poids du Silence

Assis au fond de la classe, Yann regarde distraitement par la fenêtre. Ses yeux suivent les gouttes de pluie qui s'écrasent contre la vitre, laissant des traînées sur le verre froid. Il y a quelque chose de rassurant dans la pluie ; elle masque les sons, étouffe les cris, et, pour un court instant, rend le monde un peu moins bruyant. Mais, même sous le voile de cette pluie battante, Yann ne peut échapper à la réalité de sa vie.

Yann a 16 ans. Il est en première, au lycée Victor Hugo, dans une petite ville grise de banlieue parisienne. Son monde est fait de couloirs lugubres, de regards haineux, et de murmures persistants qui flottent derrière son dos comme des fantômes. Ce matin encore, il a dû traverser un couloir où un groupe de garçons l’a bousculé, lâchant un "Dégage, sale pédé !" à peine murmuré mais assez fort pour qu'il l'entende. Ces mots l’atteignent toujours comme des coups de couteau, mais il a appris à ne pas réagir, à marcher droit devant lui, le regard fixé sur un point imaginaire devant.

Yann est différent. Il est noir, et il est gay. Deux raisons suffisantes pour faire de lui une cible. Il le sait depuis des années, depuis le collège en fait, quand les insultes ont commencé, quand les premières rumeurs ont circulé. Ses camarades l'ont tout de suite catalogué : l'Ivoirien, l'homo. Des étiquettes qu'il porte comme un poids invisible, chaque jour, sans relâche.

Chez lui, ce n'est pas mieux. Son père, Koffi, un homme au regard dur et à la voix tonitruante, ne supporte pas la faiblesse. "Les vrais hommes ne pleurent pas, ils ne plient pas", disait-il à chaque occasion. Yann n’a jamais su d’où venait toute cette violence, mais il a appris à se taire et à encaisser. Koffi n’a jamais pardonné à sa femme, la mère de Yann, d’être partie sans un mot il y a cinq ans. Pour Yann et ses frères et sœurs, le silence autour de son départ est une plaie béante qui ne guérit jamais. Ils ne savent pas où elle est, pourquoi elle est partie, et le père ne parle jamais d’elle. Yann espère seulement qu’elle a trouvé la paix quelque part, loin de la violence et de la misère.

Ses deux petites sœurs, Estelle et Djeneba, partagent la même chambre que lui. Elles sont jeunes, 10 et 12 ans, et Yann fait de son mieux pour les protéger. Quand leur père rentre tard le soir, l’haleine chargée d’alcool, Yann s’arrange pour les éloigner de la fureur qui couve dans l’appartement exigu. Lui prend les coups, les cris, et les insultes, tandis qu'il serre les poings dans le noir pour ne pas craquer.

Chapitre 2 : Espoir Volé

Le lendemain matin, Yann sort de chez lui avec un bleu naissant sur la pommette. Il porte son sac à dos usé sur une épaule, et s'engage dans le trajet habituel jusqu'au lycée. La rue est encore déserte à cette heure. Les passants qui croisent Yann ne lui prêtent guère attention. À l’école, il retrouve son ami Karim, l’un des rares à ne pas juger et à ne pas se moquer.

Karim est d’origine marocaine. Comme Yann, il connaît la dureté des préjugés, mais à sa manière. Les deux garçons se soutiennent sans trop en dire, se comprennent sans les mots. "Ça va ?" demande Karim en jetant un coup d'œil discret au visage de Yann. Ce dernier hoche la tête, esquisse un sourire forcé. Ils n'ont pas besoin d’en dire plus.

En cours, Yann peine à se concentrer. Sa tête est ailleurs, en proie à ses pensées sombres et à ses rêves inavouables. Il imagine une vie différente, loin de la violence de son père, loin des railleries et des insultes. Parfois, il rêve de partir en Côte d’Ivoire, de retrouver la chaleur de ce pays qu'il ne connaît qu'à travers les récits de sa mère. Il rêve aussi d’une vie où il pourrait aimer librement, sans honte, sans peur.

Mais ces rêves restent inaccessibles. Chaque jour, la réalité lui rappelle cruellement ses limites. À la pause, il est accosté par un groupe de filles qui ricanent en le voyant. "Tu fais pitié, sérieux", lance l’une d’elles. Yann serre les dents et continue son chemin sans répondre. Il a appris que se défendre ne fait qu’empirer les choses.

Chapitre 3 : La Faille

Un soir, alors que Yann rentre tard après une journée particulièrement difficile, il trouve son père assis dans le salon, une bouteille à la main. Les yeux de Koffi sont injectés de sang. "T’étais où ?" demande-t-il d'une voix menaçante. Yann tente de répondre calmement, mais son père n’attend pas de réponse. Le coup part sans prévenir, un revers brutal qui fait chavirer Yann au sol. Le goût métallique du sang emplit sa bouche, mais il reste silencieux. Pas de cris, pas de larmes. Juste le vide.

Yann se relève difficilement et se réfugie dans sa chambre. Ses sœurs dorment déjà, paisiblement, inconscientes du drame qui se joue à quelques mètres. Yann s’assoit sur le sol, contre le mur, et fixe le plafond. Il se sent coincé, emprisonné dans une vie qui n’est pas la sienne. Le monde extérieur le rejette, et chez lui, il n’est qu’un punching-ball pour un père brisé par sa propre colère.

Malgré tout, une petite flamme continue de brûler en lui, une lueur d’espoir qui refuse de s’éteindre. Yann rêve de s’évader, de trouver une échappatoire, de construire une vie meilleure, loin du chaos. Il n’a pas encore de plan, mais il sait que quelque chose doit changer. Un jour, il trouvera la force de fuir. Un jour, il sera libre.

Chapitre 4 : Le Jour du Changement

Les semaines passent, et les jours se ressemblent. Mais un matin, en arrivant au lycée, Yann apprend l’existence d’un concours de bourse pour étudier à l’étranger. C’est une chance inespérée, une porte de sortie vers un futur différent. Yann hésite d’abord, hésite à croire qu'il pourrait être choisi. Mais Karim le pousse à tenter sa chance.

"Qu’est-ce que t’as à perdre ?" lui dit-il en lui tendant le formulaire. Yann remplit les papiers avec une détermination nouvelle. Pour la première fois depuis longtemps, il entrevoit une possibilité d’évasion. Pendant des semaines, il travaille d’arrache-pied, enchaînant les devoirs et les préparatifs pour ce concours qui pourrait tout changer.

Le jour des résultats, Yann attend fébrilement devant le panneau d'affichage. Quand il voit son nom inscrit sur la liste des admis, un mélange de soulagement et de joie l’envahit. C’est le début d’un nouvel espoir, un futur qu’il peut enfin commencer à entrevoir.

Son père ne comprend pas, et ne prend même pas la peine de féliciter son fils. Yann s’y attendait. Mais pour une fois, les mots du père ne comptent plus autant. Yann a trouvé une raison de continuer, une lueur au bout du tunnel.

Ce soir-là, il écrit une lettre à sa mère, une lettre qu'il n'enverra probablement jamais, mais qui lui permet de libérer tout ce qu'il a sur le cœur. "Je ne sais pas où tu es, mais je te promets que je trouverai un moyen de sortir de cette vie. Pour moi, pour mes sœurs, pour toi."

Le chemin est encore long, et Yann sait que les épreuves ne sont pas terminées. Mais il a pris la première décision de sa vie, et pour la première fois, il se sent maître de son destin. Parce que, malgré tout, l’espoir n’a jamais complètement disparu.

Et c’est cet espoir qui, chaque jour, le pousse à avancer, coûte que coûte.

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