~ Chapitre 1.1 ~ (001) (002) (003) (004)
La Cité des Anges se situe au sud de la Californie, dans la vallée de San Fernando. Étirée, presque tentaculaire, elle se classe juste derrière New York pour le titre de plus grande ville des États-Unis. L.A est mondialement connue pour son activité scientifique, culturelle, mais aussi pour son cinéma, ses faubourgs chics, ainsi que ses plages mythiques. Elle demeure l’un des points d’entrée d’immigrants les plus importants aux États-Unis et attire les populations grâce à son climat agréable, son style de vie et l’opportunité d’y réaliser le rêve américain.
En raison de sa superficie considérable, elle se divise en plusieurs quartiers, chacun fonctionnant de manière autonome avec sa propre administration et ses services. On y retrouve Hollywood, célèbre pour ses studios de cinéma, Beverly Hills, résidence de nombreuses stars…
Au sud se trouvent Venice, Long Beach, San Pedro, Marina del Rey, Malibu, ainsi que Santa Monica et ses faubourgs aisés. La famille Bauer, d’origine allemande, expatriée pour raisons professionnelles, y habite depuis longtemps.
— Tu ne rentreras pas trop tard du lycée, n’oublies pas que ta mère sera de retour en fin d’après-midi, informe Raphaël Bauer, ingénieur du son chez Universal Music.
Il s’adresse à son ainé, qui arrive dans la salle de séjour par l’escalier qui mène au premier. À ce palier se trouve la chambre qu’il partage avec son épouse, ainsi que celle d’Alarich, l’un de ses jumeaux, celui qui requiert le plus d’attention. Ses deux autres enfants pouvant investir leur second étage.
— Ouais, soupire Joakim à son père sans arrêter ses pas.
Pris dans ses pensées, car il songe au moment où il retrouvera l’âme sœur qui lui a tant manqué, Raphaël ne se rend pas compte que son fils de dix-sept ans, actuellement en dernière année de lycée, disparait derrière lui.
Il réfléchit à l’activité de son épouse qui l’a toujours déprimé, car il supporte très mal les séparations que celle-ci impose, même si elles ne durent jamais… « Deux mois, dans une existence, ce n’est rien ! » Tentait souvent de le rassurer l’artiste en tournée, Éva Lee ; mais pour Raphaël, ce temps loin de sa femme demeurait pénible. Ces absences répétées faisaient souffrir l’ancien guitariste/chanteur qui avait justement mis un terme à sa propre carrière pour ne pas qu’elle nuise à sa vie de famille.
L’époux Bauer a toujours été un homme dévoué aux autres et surtout aux siens.
Joakim trouve ridicule ce côté « trop bon, trop con ». D’un pas rapide, il se dirige vers le garage. En l’absence de sa mère, il utilise son 4×4 pour se rendre au Los Angeles Highschool, son lycée situé en plein cœur de L.A, en compagnie de sa cadette Erika. Une passionnée de danse d’un an de moins que lui, à qui il doit généralement lancer un « On bouge ! », pour la déloger de sa salle de gymnastique personnelle pour qu’elle daigne enfin se préparer pour aller en cours. Il la laisse d’ailleurs parfois sur le carreau, quand il juge qu’elle prend un peu trop son temps…
Mais cela ne se produira pas le jour du retour de sa mère, après deux mois de tournée, car rien ne peut ternir son humeur : il entretient en effet d’importants liens affectifs avec elle alors qu’à l’inverse, sa relation avec son paternel reste plus conflictuelle, ce qui en surprend plus d’un, vu que tous adorent le caractère agréable de Raphaël Bauer. Le quadragénaire détient en effet plus d’amis que de détracteurs et on apprécie généralement vivre avec lui. « Les chiens ne font pas des chats », encore un proverbe bien mensonger, tant ils paraissent aux antipodes l’un de l’autre.
Jetant un œil à sa montre pour vérifier l’heure, Joakim pénètre sur la terrasse aménagée d’une piste de danse, où Erika s’entraine, aux côtés d’Alarich, son jumeau. L’ainé de la fratrie doit la prévenir de leur départ imminent pour le lycée, mais il préfère se laisser bercer quelques instants par la symphonie de son frère qui exécute à la perfection Moonlight Sonata de Beethoven.
Malgré sa trisomie 21, Alarich Bauer est un virtuose qui n’a jamais nécessité le moindre cours de piano.
De nombreuses angoisses et doutes avaient évidemment assailli le couple Bauer dès qu’ils furent informés, par échographie, d’une malformation sur l’un des jumeaux que la chanteuse Éva Lee s’apprêtait à mettre au monde. Ce danger n’effrayait en rien les âmes sœurs. Ils chériraient cet enfant comme il le mérite et cette promesse fut respectée au fil des années. « Alarich est épanoui, ils le savent. » Suivi depuis son plus jeune âge par deux orthophonistes, un cardiologue, un kiné et l’un des meilleurs pédiatres du pays, entre autres, on l’assure d’une vie aussi longue que la moyenne ; et presque normale.
— J’ai une prof absente, je commence à onze heures ! Informe la danseuse à son ainé dès qu’elle l’aperçoit, pour qu’il lui réponde un simple « OK » avant de tourner les talons vers le garage.
Alarich se relève de son piano à queue juste après, en s’exclamant, l’air heureux, en direction de sa sœur :
— On man-é gâteaux ?
Il hume avec grand intérêt un délicat fumet de cookies maison qui embaume l’ensemble de la terrasse.
— On va manger DES gâteaux ! corrige Erika sans souligner la prononciation de son jumeau sur certaines consonnes.
Cet exercice reste en effet compliqué pour lui.
— Ma-an' bientôt là !
— Oui, moi aussi j’ai hâte ! répond Erika en se rapprochant de lui pour le prendre par la main et revenir avec lui à l’intérieur.
Ils filent se délecter des biscuits préparés il y a moins d’un quart d’heure par leur cuisinière.
*
Au même moment, dans un quartier différent et dans un tout autre foyer, Tiphanie Cobain observe, les yeux pleins de tendresse, le deuxième homme de sa vie se préparer à partir pour l’université.
Son cœur se serre et son estomac se noue, comme à chaque fois qu’elle le voit quitter la maison.
Asthmatique depuis l’enfance, son fils adoré pratique le breakdance avec sa bande d’amis, alors que les sports exigeants lui sont déconseillés par son médecin.
« Je ne force pas, promis », rassure sans cesse l’étudiant pour combler ses parents. « Il n’exécute que quelques figures simples dans l’unique but de suivre ses camarades, il ne fait rien d’épuisant et n’est jamais essoufflé ! Ils ne doivent pas s’inquiéter pour lui ! »
Il tente ainsi de tranquilliser une mère angoissée et un père méfiant qui le surveillent par la fenêtre du salon, au moment où il grimpe sur son vélo pour filer vers ses cours.
Des parents surprotecteurs envers la prunelle de leurs yeux, car la vie avait apprécié les malmener sans relâche, jusqu’à la naissance de leur rejeton, moment béni où la roue semblait enfin tourner. Tiphanie Cobain le regarde s’éloigner en se remémorant sa grossesse, ses premiers pas et gazouillis, son visage angélique et adorable quand il a prononcé son premier « maman ». Kurt Cobain, quant à lui, le revoit râler parce qu’on tentait de lui apprendre à maitriser le pot, alors que lui, « bébé Andy », trouvait plus pratique d’utiliser ses langes.
Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, de ses cheveux courts d’un noir ébène hérités de ses géniteurs, Andreas Cobain reste un adolescent aventurier qui a lutté des mois entiers pour avoir le droit de se rendre en cours en bicyclette. Il ne voulait pas de scooter, son vélo lui suffisait. Angoissés, mais compréhensifs, ses doux parents abdiquèrent il y a peu, reconnaissant que la petite distance entre son université et leur domicile ne pourrait pas le mettre en danger… Le combat de ce jeune étudiant de dix-neuf ans, pour obtenir cet aval, a duré près de deux semaines, un comble quand on réalise la banalité de la demande. C’est ce qui l’agace le plus aujourd’hui : lui qui déteste se sentir différent.
*
Ailleurs, un sexagénaire enlace sa petite protégée avant de la laisser filer vers le métro le plus proche, en espérant qu’elle continue de lui ramener d’excellentes notes du lycée, car cela le remplit de fierté !
Studieuse, Ashelia Wilson se rend tous les jours au Crenshaw Highschool, sur la onzième avenue, à Los Angeles.
Cette brune aux yeux bleus de dix-huit printemps a vécu la totalité de son enfance dans un orphelinat californien.
En effet, sa mère biologique, dépressive à cause d’un ex qui ne reconnaissait pas sa fille, se décida finalement à l’abandonner, elle aussi, un an après sa naissance. Elle la laissa devant un établissement salvateur. Cette femme meurtrie, détruite par un amour à sens unique, ne trouvait plus la force d’être le parent de celle qui lui rappelait son ex-fiancé. Elle ne pouvait plus prendre soin de qui que ce soit et ne voulait pas infliger une existence horrible à un être innocent qui ne le méritait pas. Le cœur gros, elle la déposait donc dans un orphelinat situé dans la même ville que son père biologique. « Parce qu’un jour, lorsqu’elle irait mieux et se sentirait prête à reprendre sa vie en main, elle reviendrait chercher son enfant pour s’en aller toquer à la porte de celui qui les a oubliées. » C’était cette promesse qu’elle prononça au-dessus du couffin de son nourrisson, tout en lui murmurant qu’elle trouverait elle aussi sa place en ce monde. « Que d’autres sauraient l’aimer et lui apporter toute l’affection qu’elle mérite ! » La femme brisée pleurait toutes les larmes de son corps en gémissant cela.
Considérait-elle vraiment ses propres paroles, ou vivait-elle dans le déni ?
Ashelia, fillette au caractère difficile, traversait alors une enfance tumultueuse où elle enchaina les familles d’accueil et allers-retours à l’orphelinat, car elle s’accrochait à l’espoir de voir réapparaître sa mère devant la grille de l’établissement qui l’avait recueillie. Elle y a cru dur comme fer pendant de longues années, puisqu’on lui avait certifié que celle-ci viendrait la récupérer.
Elle devait donc se montrer patiente. Elle devait l’attendre !
« This is my temporary home… »
Quelques années plus tard, la pupille célébrait ses douze ans et atterrissait chez Garrett Wilson, un vétéran aigri à la retraite qui ne souhaitait pas finir ses jours seul. Il ne possédait plus de famille depuis longtemps et désirait combler ce manque avec cette adolescente qu’il décidait de prendre sous son aile. Ses grands yeux bleus foncés ; pourtant sauvages et indomptés ; l’avaient ému, un matin où il visitait l’orphelinat à la recherche d’un coup de cœur. Qui aurait pu croire que son choix s’arrêterait sur une enfant capricieuse et désagréable…
Par chance pour Garett, à ce moment-là, Ashelia avait déjà cessé de se leurrer d’illusions au sujet de sa mère. Elle ne saccagerait donc pas cette nouvelle relation afin de retourner le plus vite possible attendre une femme qui, au fond, n’était qu’une génitrice pour elle.
À douze ans, Ashelia acceptait de se réaliser seule, dans un monde où elle n’avait pas sa place ; quand la directrice de l’orphelinat la jugeait en âge de découvrir ses véritables origines. Sa mère les lui avait confiées en lui demandant de les lui révéler, un jour…
Soi-disant progéniture non désirée du chanteur « Erwan » et d’une parente dépressive qui n’a plus donné signe de vie depuis très longtemps, personne n’avait su lui dire quoi que ce soit d’autre sur celle qui semblait avoir disparu de la circulation peu après l’abandon de son enfant et malgré les promesses faites à l’époque sur le fait de revenir chercher sa fille ; cette femme n’avait même pas laissé son nom de famille.
*
Il est seize heures et, comme souvent, Trisha Hill et Amy Wills, deux lycéennes en dernière année au L.A Highschool, rentrent ensemble chez elles après les cours.
L’amitié des jeunes filles date de leur première année collège et il n’existe rien ; à part peut-être les garçons ; que ces demoiselles ne partagent pas aujourd’hui.
À ce sujet et alors que leur arrêt de bus habituel ne se trouve plus qu’à une vingtaine de mètres, voilà qu’elles reconnaissent soudain des têtes connues.
Le Crew des Drifterz’s, un groupe de lycéens réunis par la passion du breakdance.
— Oh, regarde ! Viens, on va voir leur show ! S’émoustille aussitôt Amy en constatant la foule qui s’amasse sur le Walk Of Fame d’Hollywood.
— Tu parles de Noah ? s’enquiert Trisha d’un air taquin.
Elle replace une mèche rebelle de cheveux roux naturels, puis dévisage Joakim Bauer avec un intérêt évident, mais aussi une pointe d’agacement. Elle critique ensuite son absence d’humilité qu’elle trouve pathétique et ridicule.
— Oui, ce mec c’est que de la frime, il sert à rien, approuve Amy, amusée par son obsession. « Et je te rappelle que tu es déjà en couple ! »
— Regarder, ce n’est pas tromper !
— Mais dévorer du regard l’est peut l’être, sourit la blondinette en déplorant que Noah ne soit pas dans leur classe à la place de Joakim !
Elle ne supporte pas le caractère horripilant du jeune Bauer, avec ses grands airs supérieurs et son regard condescendant.
— Putain qu’il est doué, Alex, souligne Trisha pour changer de sujet, impressionnée par les figures du concerné.
— Je trouve Noah inégalable, mais oui, Alex se défend !
Et pour cause, Alex Taylor et Noah Beckers restent les meilleurs de leur Crew. Noah vise déjà une carrière, tandis que son compère hésite encore, même si l’idée de suivre ce chemin ne le rebute pas. Il y pense parfois… Avant de se démotiver aussi vite, car grand adepte de procrastination.
— Une chose est sûre, c’est que tu n’es pas impartiale quand il s’agit de Noah, plaisante Trisha en ajoutant qu’elles devraient sortir à la nuit tombée avec leur ami Alex.
Une proposition qui a pour effet de faire immédiatement réagir sa comparse :
— Euh, rappelle-moi le prénom du casse-couille qui te sert de mec ? Il va vouloir venir, et Alex ne peut pas le supporter.
— Je ne pense pas, il a un match de foot cet après-midi et donc ce soir, il fêtera sa victoire avec son équipe.
— Ah oui ! C’est vrai, le match avec lequel il nous a saoulées pendant deux semaines ! J’aimerais bien qu’ils perdent, tiens, ça lui fera les pieds ! ricane diaboliquement Amy.
— Merde, voilà les flics, s’exclame Trisha en voyant arriver les forces de l’ordre pour mettre fin à la petite représentation improvisée des Drifterz’s sur une place non prévue pour ce genre d’animation…
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