~ Chapitre 1.2 ~ (005) (006) (007) (008)
*
Comme à son habitude, après ses cours et quelques heures passées avec son Crew*, Zack Muller rentre chez lui. Ses yeux bleus foncés, ses cheveux courts, brun-ébène, en bataille avec une mèche qui tombe sur une partie de son visage, lui confèrent un charme certain auprès des demoiselles de son âge.
Il prend souvent le métro pour rejoindre son domicile, sauf quand il s’invite dans la voiture de Joakim, son ami Drifterz et neveu. Un arbre généalogique atypique relie en effet leurs deux familles.
Mère des jumeaux Éva et Jeffrey ; issus d’une première union avec Kylian Gutter ; Vanessa Beckers/Muller refaisait sa vie avec Erwan Muller et donnait naissance à Zack, des années plus tard. Sur le papier, le lycéen de dix-sept ans se situe donc dans la génération de ses neveux, Joakim et Noah.
— Poussez-vous ! braille soudain une jeune fille brune en le bousculant vivement alors qu’il méditait sur la note désastreuse qu’il vient de décrocher en mathématiques.
Il trébuche presque sous l’impact et dirige aussitôt son regard vers l’impolie qu’il aimerait bien affubler de deux ou trois noms d’oiseaux.
Agacé par l’absence d’une éventuelle excuse, car il la voit déguerpir vers les quais, l’air de rien, il ne peut lui soupirer qu’un « Connasse », à peine audible.
Il n’a pas eu le temps de l'observer attentivement, mais les traits remarqués lui révèlent une brune aux cheveux courts et au look « garçon manqué », vêtue d’un long tee-shirt/robe gris ample, avec un singe rose à deux têtes dessus. « Mocheté va » songe le jeune homme en haussant les épaules, alors que l’imbécile détale au loin, sans avoir posé ne serait-ce qu’un seul regard sur lui. Il est outré par cet irrespect.
*crew : bande/équipe/team
*
En fin de journée, Éva Bauer est de retour parmi les siens, ravie de retrouver sa famille. Joakim pénètre dans la pièce principale vingt minutes après elle.
— Mon fils, le deuxième plus bel homme sur terre, avec son père ! s’exclame-t-elle joyeusement en lui sautant dessus pour le couvrir de baisers.
La chanteuse brune aux cheveux longs dégradés et à la silhouette fine utilise le nom d’artiste Éva Lee. Dans la vie civile, elle signe Éva Bauer depuis son mariage avec son âme sœur.
— Désolé, je me suis pourtant dépêché, répond Joakim, gêné et alors que sa mère lui tripote les joues.
— Tu exagères, râle sans attendre Raphaël en le fusillant du regard, déçu qu’il n’ait pas respecté ses consignes.
— Hey, ne lui en veux pas. Tu ne te rends pas compte que c’est prenant une vie d’ado ! rit Éva pour défendre la septième merveille du monde à ses yeux.
— Maman, je peux te montrer l’enregistrement du spectacle ? s’enquit Erika en s’immisçant dans la scène.
Elle trépigne d’impatience derrière sa mère.
— Bien sûr ! Allez, on vous abandonne les garçons ! s’exclame Éva en direction des concernés.
Elle fonce ensuite au premier avec sa fille, frustrée d’avoir raté une représentation de l’école de sa danseuse préférée.
— Hey ! Où est ton sac de cours ? s’interloque Raphaël une fois seul au salon avec son ainé qui s’apprêtait à prendre l’escalier à son tour.
— Au lycée.
— Tu te fous de moi ?
— Mes affaires sont dans mon casier.
— Mais tu ne fais pas tes devoirs alors ?
— Bien vu, Scherlock. Je monte si tu n’as rien d’intelligent à ajouter.
— Ce n’est pas avec ce laxisme que tu auras ton diplôme !
— Tu m’en diras tant ! soupire Joakim en disparaissant au premier.
*
— Alors, ça s’est bien passé en mon absence ? Raconte-moi tout ce que j’ai loupé ! demande Éva une fois dans la chambre de sa fille.
Elles s’installent toutes les deux sur le lit moelleux de l’adolescente, au milieu de sa décoration à l’ambiance très Teenagers ; posters, peluches et magazines qui trainent sur le bureau, entre autres… « Le cliché personnifié » la raillait souvent son frère ainé pour qu’elle lui tire la langue en retour en lui ordonnant de « mourir au plus vite ! ».
La mère et sa progéniture châtain aux yeux verts, le tout hérité de son doux époux, visionnent, tout en discutant, l’enregistrement du spectacle des Watcha Say.
— Il n’y a pas grand-chose à dire, avoue Erika avec franchise en haussant légèrement les épaules. Tu sais bien que tout est calme quand tu n’es pas là…
— C’est de votre faute si je ne passe plus les portes ! Mais tu ne m’apprends rien, je le sais que je vous suis indispensable ! glousse la femme d’âge mûr. Cela dit, je suis certaine que tu as des anecdotes à me filer, alors lâche-toi ! Ils ne peuvent t’entendre et se défendre ! Dis-moi tout sur ton père et tes frères. Je ne vous ai pas porté neuf mois pour tant d’ingratitude ! N’oublie jamais que j’en ai expulsé deux, presque d’un coup… Et que vous étiez les pires, toi et Alarich ! Vous m’avez infligé ensuite un an de sport, trois fois par semaine, pour récupérer ma taille de guêpe !
— C’est vrai que tu as mérité que je balance… rit l’adolescente en réfléchissant avec l’intensité d’un détective privé sur une grosse affaire. Alors du coup, BAM, Joakim a abimé le phare gauche du 4x4 il y a quelques jours ! Papa était vert ! Il l’a vite fait réparer avant ton retour.
— Jojo, Jojo, Jojo… Il n’en loupe pas une ! Il va filer un ulcère à ton père avant la fin de l’année à ce rythme !
— Je trouve qu’il cherche les ennuis aussi ! Pensez-y quand vous vous demanderez qui est l’enfant préféré ici !
— Et sinon, à part te moquer de ton frère, parle-moi de tes amours ! Comment ça va avec David ?
— Bien… grince Erika en forçant un sourire, ce qui intrigue bien évidemment sa mère qui réagit aussitôt.
— Hum ? Il t’a fait du mal ? Tu veux que je m’en charge ? Il n’y a pas de souci, hein ! Ton père m’aidera à jeter le corps dans l’océan, on ne laissera aucune trace ! Tu sais qu’on a suivi chaque épisode de Dexter avec attention !
— T’inquiètes, tout va bien de ce côté-là !
— Mouais ! Si tu souhaites m’en dire plus, mon oreille et mes outils de tortures seront toujours là pour reprendre le sujet. En attendant, continue de tout me raconter !
— Alarich a été un peu malade, mais là, ça va mieux !
— Hein ? Comment ça ? Personne ne me l’a dit, ça, au téléphone ! s’interloque Éva en blêmissant d’angoisse.
— Parce que c’était rien, juste un rhume, on ne voulait pas t’inquiéter.
— Et qu’est-ce que tu es en train de faire, là, banane ?
— Oui, mais là, tu n’es plus en tournée, mais de retour dans la vraie vie !
— Ouh les enfants indignes ! plaisante la chanteuse en mimant l’effroi. Pour la peine, allons voir le plus sage de cette maison. Et oui, tu sais que je ne parle ni de toi ni du grand dadais !
En chemin vers la chambre de son jumeau, Erika demande, l’air enjoué :
— Et toi, la tournée, ça s’est bien passé ?
— Elle était extra ! J’ai d’ailleurs pris plein de photos à New York, je te les montrerai tout à l’heure !
— Bof, New York !
— Je ne parle pas de photos de la ville… mais de celles de certaines stars avec qui j’ai passé quelques soirées. Et il y en a une que tu aimes beaucoup....
— QUOI ? QUI ? MONTRE !
*
Trois heures plus tard, les retrouvailles faites, le repas du soir englouti et les « bonnes nuits » échangés, chaque habitant de la maison Bauer retourne dans ses quartiers et c’est avec plaisir que les parents rejoignent la chambre conjugale, ainsi que leur intimité.
— Tu m’as tant manqué, murmure Raphaël à sa femme avec désir, tout en caressant ses courbes, très peu dissimulées par des sous-vêtements qu’il s’imagine déjà lui retirer…
— Toi aussi, tu n’as pas idée, mais je suis là maintenant, renvoie amoureusement Éva en plongeant dans le regard de celui qui lui plaît toujours autant qu’au premier jour.
Elle a sorti la lingerie affriolante et a bien l’intention de rattraper ces deux mois d’absence, ce soir. Après un long échange de baisers langoureux, elle lui demande avec une suspicion qui la taraude depuis son retour :
— Est-ce que tout s’est bien passé ? Tu ne m’as pas raconté grand-chose. Ça a été, avec Joakim ? Tu es sur ?
— Oui, ne t’inquiète pas.
— Ne te mines pas pour lui, mon chéri, reprend-elle tendrement, notre fils est un grand garçon maintenant et si tu lâches un peu de lest, sans doute que vous vous entendrez mieux.
— Ça m’ennuierait juste que son laxisme lui fasse manquer sa graduation…
— Je ne pense pas cela possible… crois en lui !
Raphaël l’embrasse pour stopper là cette conversation qui n’ira nulle part. La confiance aveugle de son épouse, pour leur ainé, l’agace parfois, car lui se noie constamment dans de nombreuses inquiétudes vis-à-vis de l’avenir du concerné…
*
Dans la luxueuse maison voisine, à droite de celle des Bauer, un frère jumeau appelle sa sœur revenue ce soir de tournée musicale.
Jeffrey Beckers rayonne de bonheur. Il esquisse un large sourire tandis qu’il propose à son double de passer la voir pour sortir avec lui ! « Histoire de fêter son retour ! Leurs retrouvailles ! Tous les deux et rien qu’eux ! Loin de la marmaille », il souhaite marquer le coup, parce qu’elle lui a énormément manqué durant ces deux mois !
La proximité de ces deux-là amusait souvent leur entourage et tous savaient « que la vie ne séparerait jamais les jumeaux Beckers ! » Voilà pourquoi, une fois adultes, ils décidèrent de résider dans le même quartier, dans la même rue, dans des maisons voisines et côte à côte.
— Je suis crevée, Jeff ! Demain, sans faute ? décline timidement Éva en avouant qu’elle avait prévu de passer la soirée en famille. Compréhensif, son double ne lui en tient pas rigueur, mais la prévient qu’il sonnera chez elle dès neuf heures du matin pour la tirer du lit ! Sans attendre, il lui pose ensuite une question existentielle qui le taraude soudain :
— Si, chez nous, les bébés mangent avec une petite cuillère, les bébés chinois, eux, devraient-ils manger avec un cure-dent ?
Éva pouffe de rire et lui souhaite une bonne nuit. « Si son frère n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer… »
Annotations
Versions