Chapitre 12 - Lettres Anonymes

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Depuis un certain temps, je reçois des lettres anonymes d'une certaine personne qui dit épier chacun de mes faits et gestes. La dernière fois, C’est Yasmine qui m'a remis un message venant du soi-disant espion. D'après la description que m'a faite l'algérienne, la lettre lui a été donnée des mains d'une femme.

Je sais déjà que ce n’est ni ma mère, ni les filles de madame Giordano. Et... je dois avouer... que j'espère au fond de moi que ce soit Angéla. Quoi de mieux que de recevoir des lettres anonymes d'une personne que l'on apprécie tout aussi anonymement ? Ce serait bien qu'elle puisse avoir de telles attentions envers moi. Même s’il est vrai que les messages que je reçois se rapprochent plutôt de la menace que d’autre chose. Il est évident que ce n’est pas Angéla qui pourrait m’écrire des mots pareils. Elle est toujours très attentionnée et bienveillante envers moi. Chose à prendre en compte. Ça et le fait que l’émetteur de la lettre n’est pas toujours le même.

Aujourd'hui, c'est un homme, demain ce sera peut-être une femme.

Ah ! J’ai passé l’âge de jouer aux enquêtes criminelles.


Je n’ai aucune envie de m'embrouiller avec ce bric-à-brac d'absurdité. Que cette personne m'espionne ou pas, qu'importe. Je ne reconnais pas pratiquer des activités dangereuses ou mystérieuses. Je ne suis pas en danger sur ce point-là. Il n’y a aucun sur moi que j’aurais peur d’être révélée. Je n’ai d’ailleurs aucun secret.

L’avantage d’avoir une vie sociale intimement proche de zéro.


- Bonjour Sébastien. Comment vas-tu ?

- Salut Roméo. Je vais bien et toi ?

- Ça va merci.

Roméo est un jeune homme sur lequel je suis tombé à la salle de sport. On partage le même coach et il est tout aussi peiné que moi par les exercices de monsieur Dupinceau.

Carrure physique impose.


- Dis-moi, tu te rappelles un peu de la personne qui t’a remise la lettre de la dernière fois ?

- En fait, je ne connais pas cette personne. Je ne l’avais jamais vu, auparavant. Elle m'a appelé par mon propre nom et j’en étais surpris. Mais, après, comme elle a dit être un de tes proches, j’ai tout de suite baissé ma garde.

Roméo est la première personne à recevoir la lettre de celui qui se dit être l'espion.

- Je ne me souviens pas très bien de son visage. Mais, ce que je peux te dire c'est que c'était un homme d’âge mûr.

- Un homme d’âge mûr ?

- Oui, c’est ça… un homme mûr.

- Ok ! Merci pour cette information.

- Pas de quoi !

- Ok ! Je vois que tu es pressé. Où vas-tu ? Je pourrais te devancer avec ma voiture si c’est sur ma route.

- Non, pas la peine… Je vais chez Suzanne – sa petite amie – C’est à deux ou trois pâtés de maison d’ici ?

- Bah ! Comme tu veux. Moi, je vais à l'école.


Depuis que je suis descendu de ma vieille Mitsubishi, je ne cesse de penser à l'information que Roméo m'a communiquée. Tout le long du trajet, mon attention était focalisée sur Roméo, lui-même. Mais, après avoir acheminé douze minutes de route, je réalise que l'espion ne peut pas être lui. On se voit tout le temps à la salle de sport. Il est la première personne à m'avoir donné le message. Et, je n’ai pas de dent contre lui - Lui non-plus, je pense bien - Il n’a donc pas de mobil apparent.

D’ailleurs, je n’ai de dent contre personne. Chose qui réduit considérablement ma liste de suspects. Même de la part de Yasmine, une femme qui me méprise inexplicablement, je n’ai pas d'arrière-pensées en dehors de quelques fantasmes. Des formalités entre homme et femme.

Je suis un tout petit agneau inoffensif qui ne reproche rien à personne.

Finalement, c'est peut-être moi qui devrais être suspecté. Haha !


Arrivé dans l'enceinte du lycée, je réfléchi encore à la description de Roméo. L'homme d'âge mur qui est la première personne à être intervenu dans l'histoire de la lettre anonyme. Bon après, c'est vrai, il n’est pas le seul. Et, en fait, je n’ai aucune piste. Et, le pire, c'est que même si j'en avais, ça ne changerait strictement rien.

Pénible d'être un Mordécaille !


- Bonjour Sébas.

- Bonjour Angela. Comment vas-tu ?

- Moi, je me porte bien. Mais, tu n’en a pas l'air, toi. Je te trouve un peu inquiet, non ?

- Euh... non ! Ne t'en fais pas. Ce n'est rien.

- Ce n’est pas ce que tes sourcils disent.

Maudits sourcils !

Toujours tordus !


- Ils sont toujours comme ça, ceux-là. N’y prête pas trop attention.

- Ok ! Je n'insisterai pas.

Bien !


- Et, en passant... j'ai une enveloppe pour toi.

J'espère que ce n'est pas encore une lettre du fameux espion ?


- Qu'est-ce ?

- C'est… c’est ta carte d'invitation à mon… mariage.

Pardon ?


- Quoi ?

Après avoir entendu mon intonation de stupéfaction - le cri d’une folle furieuse, je dirais, plutôt - Angéla baisse les yeux vers le sol. Ces derniers s’assombrissent, tout à coup, et Angela s'éloigne discrètement. Quant à moi, j’ai encore énormément de mal à digérer la nouvelle.

Le mariage d'Angela a toujours été quelque-chose d’abstrait dans ma tête, une vue de l’esprit, quelque chose de plus ou moins irréelle. Un évènement qui appartient à un futur qui n’a rien avoir avec le présent actuel. Quelque chose comme la fin des temps - Bon, peut-être pas aussi loin - Un futur inatteignable comme le jour où une femme serait présidente des États-Unis d’Amériques ; le jour où plusieurs croissement d’espèces de volaille donneraient naissance à une naturelle mutation génétique de poules avec des dents ou plutôt le jour où les pays du tiers-monde dirigeraient la planète - Quelque chose d’absurde dans ce sens. Le genre d’absurdité que nous promet vaguement le futur parce qu’on ne le connait pas - Je me confortais dans cette idée de tel sorte à la considérer comme une doctrine. Pourtant, c’est un petit bout de papier cartonné qui a réduit la distance qui nous séparait de ce futur beaucoup trop loin pour être beaucoup trop proche.

Je hais le papier ! Tous les problèmes qu’on a sont de sa faute.

Problème de paperasse ! Problème d’argent !

Un peu plus tard après la nouvelle de la carte, je décide de rester au lycée. Les autres enseignants et moi avons des tas de devoir à corriger. C’est bientôt les fêtes de fin d'année... et mes collègues et moi avions durement travaillé sur la semaine de devoir commun - Je vais enfin pouvoir dire au-revoir avec ce calvaire de trimestre et me reposer un peu - Tandis que les autres ont déjà fini, moi, je dois encore faire deux ou trois corrections de plus. Histoire d'éviter que les notes en philosophie ne soient pas aussi catastrophiques qu’elles le sont, en réalité.

Ces élèves ! Ça vaut bien la peine que je me défonce les jambes sur le plancher pourri et que j'avale la poussière blanche du tableau pour eux, tous les jours.

Des ingrats ! Des paresseux !


En me dirigeant vers la porte principale, j'aperçois le bureau d'Angéla qui est encore ouvert. Et là, tout un monticule d'émotions me parcourent l’esprit en un temps relativement court - Soit le nombre de pas qui me séparent de son office - Je n’ai plus envie de penser à quoique ce soit qu'à son mariage - Je n’en ai plus la force - Et la fougue qui m'anime en ce moment est telle qu'elle m'incite à émettre une objection.

- Alors, tu vas bientôt te marier, dis-je à la hâte, engoncé dans le cadre de la porte de son bureau.

Elle est en train de préparer ses affaires, je crois. Alors, soit c’est pour anticiper sur les vacances de Noël. Soit c’est pour préparer son bureau à un intérim le temps de sa lune de miel.

Les deux cas sont tous aussi horribles, l’un que l’autre. Pourtant, le second a le mérite de joindre un autre qualificatif à son arsenal. Le terme « atroce ».


- Écoute Sébas...

- Non ! Tu n'as pas d'explications à me fournir.

Je tente si bien que mal de dissimuler la douleur que je ressens dans les tréfonds de mon cœur, même si j'éprouve plutôt l'envie de lui laisser libre recours, convaincu qu'elle ferait un meilleur avocat pour ma cause.

- Je savais que c'était prévu pour bientôt. Nous tous, dans l’établissement, le savions.

Une fois après le sport, pendant que nous prenions une glace - chose que le coach nous a pourtant toujours déconseillé - Angela avait balancée que son mariage était imminent. Je suppose qu'avec le recul, le remue-ménage qu'il y a eu à la maison avec la visite de madame Giordano et les lettres anonymes, je n’ai pas vraiment eu le temps pour digérer l’information. D’ailleurs, à priori, Je la considérais même comme étant une blague.

Une blague de très mauvais goût !


Le dehors est calme. L’atmosphère est paisible. Un petit courant d'air passe nous saluer de temps en temps pour se rassurer que l'arrivée du soir nous soit légère. Angela est en larme et les gouttes qu'elle économise durement, ont la fâcheuse habitude de s'évader de ses paupières pour trouver refuge auprès de la pile de papier qu'elle agence sur son bureau.

- Tu sais Sébastien, c'est dure pour moi aussi.

- Pourquoi ?


Techniquement, il n’y a jamais rien eu de concret entre elle et moi. Aucun baiser impromptu, aucun regard complémentaire dans le blanc de l'œil, aucun frôlement de la main. La relation que nous avons n’a rien de particulière et, encore moins, d’intime. Entre nous, plane juste un sentiment à la fois curieux et singulier qui nous signifie souvent quelque-chose d'insignifiant. Une formalité informelle. Un accident handicapé. Un incident horizontal. Un fait tellement absurde et muet que ses caractéristiques lui confèrent une certaine fragilité. Une fragilité qui semble cependant valoir fortement la peine que l'on s'en occupe.

Ah ! Je m’embête.

Il faut que cela cesse. Je dois revenir à la normal. Etre cohérent envers moi et surtout, envers Angéla.


- Je te comprends.

- Que…

- Rassure-toi, Angéla, je te comprends.

Après avoir prononcé ces mots, se jette promptement sur moi, la seule femme envers laquelle je ressens quelque chose qui s’apparente vaguement à de l’amour.

La philosophie est bel et bien mon fort. Cependant, la masturbation intellectuelle qui résulte de l'acquisition de ses connaissances ne m’est pas d'un très grand aide à ce moment-là.


Il est seize heure et quart. Le lycée est silencieux. Tous les locaux sont clos. Tous mise à part un, le bureau d’Angéla. Cette petite pièce dans laquelle Angéla et moi nous trouvons en ce moment. Je relève de temps en temps sa tête pour voir si ses yeux pleurent encore. Elle est enfuie dans ma maigre poitrine et ma chemise est humectée de larmes de femme. Je retire ses bras dont les mains s'étreignent derrière mon dos, se consolant entre elles. J’aurais bien aimé prolonger l’instant présent, mais je pense qu’il est temps de parler.

Pendant que je m'attèle à mettre une distance considérable entre elle et moi, que l’on puisse avoir une discussion, que je puisse rapidement me réfugier sous mes taies d’oreiller, mes mains se perdent dans la géographie de son doux visage. Mes pouces se mettent spontanément à caresser ses pommettes rouges et mes paumes épongent ses joues humides. Je ressens, tout-à-coup, une certaine hostilité dans l'air. Je me sens chaud à l’intérieur. L'atmosphère est différente, comme perturbée, perturbant ainsi les individus que nous somme. Je ressens plusieurs choses en moi, de nombreuses envies divergentes, des émotions parallèles tout aussi hostiles.

Un mélange de plusieurs désirs désordonnés laisse bientôt paraître en moi de la nervosité. Nerveux de ne jamais avoir vécu cela. Nerveux de ne pas savoir quoi faire. Nerveux de ne pas vouloir perturber davantage celle que j'ai en face de moi tout comme je le suis déjà.


Après maintes « méditations » courtes et réflexions un peu improvisées, je le fais. Je lui donne un baiser. Mon premier baiser. Le premier qu'il y a entre nous. Le premier de ce que j’espère être précurseur de mon avenir avec elle. Evidemment, je ne veux pas m’arrêter à cette seule étape. Je veux aller plus loin. J’entreprends alors une folie. Un acte auquel je n’ai jamais vraiment songé. Quelque chose que je n’ai jamais fait avec personne. Je me tente à retirer les vêtements d’Angela. Je commence par déboutonner son chemisier blanc. De prime abord, c’est ce qui me vient de faire. Il laissait déjà paraître un soutien conçu d'un alliage de fibres rouges et de bords en soie de même couleur. C’était la première embuche à la satisfaction de ma curiosité. Angela ne manque pas de répondre à mon geste. Et, alors que sa chemise a péri par mes griffes, les siennes se perdent dans ma forêt capillaire et elle s’accroche à mes cheveux pour ne pas tomber dans le ravin de mon dos. Quand bien même nous sommes tous deux torses-ouverts, la fermeture-éclair de sa jupe noire m'invite à rompre le mystère dont elle était le seul témoin muet toute au long de la journée jusqu'ici.

Quelques instants plus tard, nous nous retrouvons dépourvus de nos vêtements et prêts à conclure notre action quand nous entendons une voix provenant du couloir. « Certainement un des agents de la maintenance qui n’a nullement besoin de venir nous interrompre », nous disons-nous avant de continuer notre jeu.

- Mademoiselle Angela... Mademoiselle Angela, avance la voix de l’inconnu. Je vois la porte de votre bureau ouverte. Vous êtes encore là ?

C’est avec déception que nous reconnaissons tout de suite la voix de Monsieur Granjardin, le proviseur de l'établissement.

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