Chp 2 - Faith : la saveur du péché

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Je me réveille en sentant un liquide froid me couler dans la gorge.

Tamyan est au-dessus de moi. Il brandit son poignet blafard et entaillé devant ma bouche. En réalisant ce qui s’en écoule, j’ai un sursaut de dégoût.

Sa voix fuse, métallique.

— Ne bouge pas.

Son sang. C’est son sang dont il m’abreuve.

Je tente de me débattre, en vain. Tamyan est infiniment plus fort. Il se joue de moi comme d’une enfant, attrapant mon bras aussi facilement qu’un élastique distendu, le plaquant au sol sans effort. Je frissonne à la pensée de tout ce qu’il pourrait me faire.

— Bois. Cela va te soigner, dit-il en collant sa peau glaciale sur mes lèvres.

Son sang noir a un goût sucré et douceâtre, comme un fruit trop mûr. Je me force à lui obéir, réprimant une atroce envie de vomir. Je connais la propriété des fluides ældiens. Je sais aussi que leur consommation, et même le simple contact avec ces liquides d’outre-monde, est strictement interdit par notre religion. C’est une cause de damnation immédiate.

T’en es plus là. Ne pense qu’à une chose : Mila.

— Voilà, murmure Tamyan. Bonne petite.

Je déteste son ton paternaliste, le terme qu’il emploie. Bonne petite. Où a-t-il entendu ça ? Sûrement pas dans le Triple Livre Saint.

Le plus diabolique, c’est que cette mélasse épaisse possède un goût exquis. Bientôt, je me rends compte que je ne peux plus le lâcher. Tamyan grimace, puis me repousse brutalement.

— Ça suffit. Tu en as assez eu !

Haletante, je prends un moment pour reprendre mes esprits. Je lèche mes lèvres maculées de sang ældien. Si je m’écoutais, je supplierais Tamyan de m’en donner plus. Mais, avec un sursaut de volonté, j’arrive à garder la face.

— Je savais que tu aimerais ça, ricane-t-il. Tous les humains aiment ça. Si tu goûtais le luith… tu ne pourrais plus t’en passer !

Je fronce le nez de dégoût. Le luith : la substance que ces monstres émettent pendant leurs chaleurs. Dasma en était accro. « C’est si bon, ne cessait-elle de répéter. Tu n’en as pas idée… »

L’idée que j’ai pu offrir à Tamyan le même visage extatique que ses concubines esclaves me fait monter la honte aux joues. Mais je sens déjà les effets du fluide dans mon corps. Une douce chaleur, et surtout, la disparition de la douleur.

— Tu pourrais faire le tour de cet astéroïde en courant avec les deux jambes cassées, si je t’en donnais encore, précise Tamyan avec un sourire fier. Et je viens de te donner dix ans de vie supplémentaire, et quelques rides en moins. Sur Ælda, il y a de ça quelques millénaires, tes ancêtres étaient prêts à tuer pour une seule goutte de sang ædhel !

— Je suppose que je dois me montrer reconnaissante, alors.

C’est bien sûr ironique. Mais on dit que les ylfes ne saisissent pas ces nuances.

— Ce serait bien, oui, grogne-t-il. Surtout que j’ai perdu mon vaisseau pour venir te chercher. Quelle folie, de t’enfuir comme ça ! Sur un endroit aussi peu accueillant, en prime. J’ai dû faire une configuration pour te sauver. Ça ne m’était pas arrivé depuis cinq mille ans, au moins… !

J’ose alors le regarder en détail. Il n’a plus ses ailes, et il a récupéré son apparence initiale. Il est à nouveau lui-même.

— Tu es redevenu normal, dis-je tout haut.

Normal. Je n’aurais jamais cru dire ça, pour lui. Tamyan est tout sauf « normal. »

Son rire grave et désabusé résonne dans la grotte.

— Tu me tutoies, maintenant ? Où est passée la politesse, le respect dû à un supérieur ? Je suis toujours ton maître.

— Non. Tu es tout seul, échoué ici comme moi. Et je ne veux pas être ta chose. Si tu veux me tuer, fais-le maintenant, qu’on en finisse.

C’est risqué. Mais quelque chose me dit que le Tamyan psychopathe que j’ai vu tout à l’heure n’est plus là. Il s’est calmé, et n’a plus envie de me tuer. Pourquoi m’aurait-il donné son sang, sinon ? Ces créatures sont cruelles, mais pas stupides.

— Mes chasseurs vont bientôt venir me chercher, dit-il d’une voix aux inflexions mornes. Tu feras moins la maligne lorsque je te punirai devant eux. Ne pense pas t’en tirer avec quelques coups de fouet…

On dit les ylfes incapables de mentir. Peut-être moins les dévoyés comme lui, mais je décide de mettre le vieil adage à l’épreuve.

— Tes chasseurs t’ont abandonné, non ? Sinon, ils seraient déjà là.

Mon audace le surprend. Il me fixe pendant un moment, ses grands yeux en amande écarquillés, puis soupire et chasse ses interminables cheveux de jais de son visage. Je prends conscience qu’il est nu, seulement vêtu de cette chevelure soyeuse qui lui fait comme un manteau, comme c’était le cas tout à l’heure avec ses ailes.

— C’est vrai, admet-il enfin. Ils m’ont trahi. Mais c’est le destin d’un ard-ael. Être défié, remplacé par un plus rusé, plus cruel, plus fort.

— Ça ne doit pas être facile, de vivre avec cette tension, dans une ambiance de compétition permanente… Il y a peu de choses que j’aime de la République, mais j’apprécie leur idée de l’égalitarisme, leur conception de la paix. On peut dire que vous en êtes loin, vous les ældiens !

— L’égalitarisme ? se moque Tamyan. Ça n’existe pas. Quant à la paix, c’est une excuse pour les faibles.

Mon ressentiment explose :

— Les faibles ? Comme ceux que vous avez massacrés, torturés et réduits en esclavage !

Tamyan darde sur moi un regard surpris. J’ai appris à lire dans ces yeux d’un noir abyssal, à y discerner des notes d’humanité, de la lumière.

— Les humains sont nos proies, nos esclaves, créés pour nous servir, siffle-t-il. Souviens-toi comme ces femelles le voulaient ! Il n’y a que toi qui résiste obstinément. Ce serait plus facile si tu cédais !

— Céder à quoi ? À me faire torturer, dévorée vivante, ou vendre sur l’un de vos horribles marchés à la chair ?

Tamyan est hors de lui. Ses yeux sont plissés, ses dents serrées.

— Céder à ça, gronde-t-il.

Et, sans autre préambule, il saisit mon visage dans sa grande main griffue et colle sa bouche glaciale contre la mienne. Je hurle, me débats, le mords. Son sang coule dans ma bouche. Et, aussi horrible que ça paraisse, je me calme aussitôt que le liquide touche mes papilles. Ce monstre m’a rendu esclave.

— Voilà, murmure-t-il. Bois mon sang. Vas-y. Prends-tout. Saigne-moi à blanc ! Profites-en.

Alors qu’il sourit, fier de sa victoire, ses crocs luisent dans la pénombre. Les ténèbres me semblent plus opaques à mesure que je m’abandonne au péché. Seul son visage blafard, avec ses yeux noirs et effilés et ses grandes oreilles pointues, se découpe dans le noir, semblable à une apparition spectrale. C’est la plus terrifiante incarnation démoniaque qui puisse exister, et pourtant, je me cramponne à ses larges épaules et suce cette langue longue et pointue où goutte le si désirable poison. Tamyan s’est mordu la langue à dessein, pour me faire plier.

Tant pis pour lui. Quand je lui aurais tout pris, il restera là, dans cette grotte, alors que je partirai avec les secours.

J’aspire son sang plus fort, comme un bébé tête sa mère. Il laisse échapper un gémissement vulnérable, et je manque de le lâcher.

Qu’est-ce que t’es en train de faire, Faith. Il kiffe ça encore plus que toi.

Je sens ses longs doigts dans mes cheveux. Ses griffes habiles trouvent l’élastique qui les lie, le coupent. Je sens les mèches tomber sur mes épaules. Dans le puits sans fond des yeux du démon, j’aperçois une pupille de chat, jaune, qui s’étire avec concupiscence.

— Lle naa vanimë, murmure-t-il, transporté.

Encore cette langue mystérieuse qui résonne comme une incantation. Il en use comme une arme. Soudain, je me rends compte que je suis nue. D’un coup de griffe, le monstre m’a dépouillé de ma combinaison.

Mais je ne peux pas me défaire de sa bouche. Il me faut son sang. J’attrape ses cheveux, me rapproche de la source : son rire, léger et cristallin, m’arrête.

— Attends, attends. Pas trop vite.

Un autre coup de griffe, et une estafilade s’ouvre sur son torse de marbre blanc, tout près de son téton : il s’est ouvert la poitrine. Le sang perle sur la peau pâle, presque timidement.

Je me jette dessus. Je n’ai jamais eu aussi soif de ma vie.

Alors que je m’abreuve goulûment, je l’entends ricaner. Un sourire sur ses lèvres sensuelles, il s’allonge sur le dos pour m’accommoder. Sa longue main caresse l’arrière de ma tête, s’enroule autour de mes boucles alors que je suce sa vie. Je sens quelques choses – une griffe, ou la pulpe de ses doigts – jouer doucement avec mon téton. Quelque chose dans mon cerveau pétrifié me hurle de réagir, que je suis en train de me faire hypnotiser par ce démon, que je suis à deux doigts de la damnation éternelle et sur le point de commettre un acte contre-nature, abject. Mais mon corps ne m’obéit plus. Je grimpe sur lui pour avoir un meilleur accès à son fluide vital. Il m’aide à me positionner, et ses mains se posent sur mes hanches, précautionneusement. D’un geste, il arrache ce qu’il reste de ma combinaison. Et attend, en plantant ce regard de braise dans le mien. Il ne cherche pas à me forcer. Il s’offre.

Moi, je te fais confiance, ont l’air de dire ses yeux pailletés d’or, si intelligents et presque sensibles, des pièges pour me faire oublier que non, il n’est pas tout à fait un monstre, que je peux y aller, me vautrer dans la luxure avec lui.

Satan était le plus beau des anges, dit-on. Le plus tentateur.

Mon entrejambe trempée cogne contre son ventre dur. Et c’est moi qui saisis ce qui se trouve là, dressé comme un serpent gras et glissant, et le positionne où il faut. Tamyan pousse un bref râle rauque, affreusement sensuel, au moment où je m’empale sur lui.

C’est gros, dur et gelé, comme je m’y attendais. Je sens même les écailles dont parlaient les sorcières dans les rapports de l’Inquisition, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années. Mais je me glisse sur toute sa longueur, comme possédée. Je pensais avoir mal, depuis tout ce temps… mais le plaisir est immédiat. Satan ne radine pas.

Les deux mains à plat sur son ventre, je le chevauche. Mes hanches bougent de leur propre volonté, venant cogner contre la peau blafarde qui se réchauffe sous mes doigts. Mes mouvement sont violents, frénétiques. Les déhanchements d’une ribaude du démon, d’une possédée. Incapable de me retenir plus longtemps, de faire face à ces vagues de jouissance pure, j’explose. Je m’entends blasphémer, hurler le nom de tous les saints.

— Doucement, grimace Tamyan avec un ersatz de sourire carnassier. Essaie de faire durer un peu…

Sa voix a pris une tonalité affectueuse proprement révoltante. Mais que puis-je faire ? Le moindre de mes nerfs tressaille sous l’intensité des sensations que son corps, son sang, son odeur, sa peau douce et son maudit membre me procurent. Diabolique : il n’y a pas d’autre mot pour décrire ce plaisir surnaturel. À chaque pression dans mes chairs, je manque de m’évanouir. Je n’en peux plus, et pourtant, il m’en faut encore, toujours plus.

Lorsqu’il me fait rouler sur le dos, je me laisse faire. J’accepte qu’il me replie les genoux sur la poitrine, m’écarte les cuisses, et me pénètre comme ça, jusqu’au fond, impitoyablement. Je sens ma matrice s’ouvrir en deux. Je crie, et il s’arrête. Ses longs cheveux noirs brossent ma poitrine. Il est si beau… un ange noir. Il se penche sur moi, je sens ses dents, la morsure. Et pourtant, c’est la chose la plus agréable que je n’ai jamais ressentie de ma vie.

Amin vella llë, murmure-t-il. Tu es mienne.

Sans que je me rende compte comment, Tamyan s’est retiré. Il brandit cette chose démoniaque devant ma bouche, que j’ouvre pour en recueillir le nectar. Il avait raison. La saveur, le parfum et la texture… sont incomparables. Mais de nouveau, il rit doucement et me repousse sur le dos. Je me retrouve à quatre pattes, comme une chienne. Une position interdite dans notre culture. Et des délices exacerbés par la honte.

Les cris, les râles. Je me sens sombrer dans la chaleur incandescente de l’enfer. Ma peau rougie et couverte de sueur n’est qu’une brûlure, ma vulve une plaie à vif. Les sensations sont trop fortes. Finalement, ma conscience lâche. Avant de perdre connaissance, j’ai une dernière pensée pour Dasma, et toutes les autres que Tamyan a damnées. Je suis comme elles, maintenant.

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