Chp 16 - Rika : les orcanides

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Tanit avait pris les rênes de la cuisine. Au lieu de manger des plats basiques reconstitués de toute pièce par le syntoniseur à partir du carbone que nous avions stocké dans le vaisseau, nous avions droit désormais à de la nourriture fabriquée à partir de produits dont la croissance s'était déroulée de façon « naturelle » : des céréales, des légumes et de la viande, le tout prélevé dans les réserves de Ren. À partir de ces denrées, Tanit nous cuisinait des plats ældiens typiques. Le coimas bien sûr, mais aussi diverses chairs d'organismes complexes délicatement braisées et recouvertes de végétaux colorés ; des petites boules rouges sucrées (des baies, m'apprit Dea), ou des pétales à la couleur pâle et délicate (appelées roses, dont nous possédions un champ entier dans la soute terraformée). Beaucoup de plats étaient à base de fruits de Lomë, et d'un autre, rond, rouge, dur et sucré qu'on appelait cerdyf. Tout le monde se régalait. Jusqu'ici, la cuisine du syntoniseur ældien m'avait parue merveilleuse, comparée à celle que nous avions sur nos vaisseaux, mais Ren, qui connaissait peu de plats, avait configuré moins d'une dizaine de recettes différentes et nous avions fini par nous lasser. Tanit nous apportait un peu de diversité.

Ce soir-là, Mana dînait avec nous. Cela faisait plusieurs fois que nous l'invitions mais jusqu'ici, elle n'avait jamais accepté. Elle mangea de tout sans faire de commentaire, devant probablement considérer qu'un tel faste lui était dû.

Sa fille Angraema, qui comme ses sœurs adorait manger, fut intarissable sur la qualité de la cuisine.

— C'est délicieux ! C'est ce qu'on doit manger tous les jours à Tyrn-an-nnagh. Je crois que je n'ai jamais rien goûté d'aussi bon que ce coelacanthe aux amandes et aux pétales de roses. Vraiment Tanit, je ne comprends pas pourquoi tu n'as jamais fondé de famille ! Tes enfants seraient les plus heureux du monde.

La susnommée sourit d'un air effacé, ignorant le regard vipérin que lança Mana à son impudente de fille.

— Je suis jeune encore, et j'ai fait de longues études, pour devenir barde, répondit-elle.

— On dit que les bardes ont une vie aventureuse et chaotique, tout le temps sur les routes pour recueillir des histoires et à changer de partenaire dans chaque cour où ils passent, intervint Eren avec un demi-sourire provocateur. Est-ce vrai ?

Sa sœur Arda la poussa du coude.

— Tu devrais devenir barde, alors ! la taquina-t-elle.

Cette fois, ce fut au tour d'Angraema de jeter un regard courroucé à sa sœur.

— C'est moche, ce que vous dites ! l'entendis-je chuchoter.

Eren lui répondit par un sourire dentu.

— Vous avez raison, jeune elleth, la vie d'un barde est aventureuse, mais elle est le plus souvent solitaire, répondit Tanit en ignorant le sous-entendu insultant. Il est dur de trouver l'amour lorsqu'on change de domicile régulièrement, et que l'on ne possède pas de foyer... Les bardes mâles, en effet, sont connus pour avoir de nombreuses partenaires, mais c'est parce qu'ils sont sollicités par les reines des cours où ils passent, avides de nouveautés. Le cas des femelles est différent.

Mana intervint, tendant son verre à Ren pour qu'il la resserve en gwidth.

— Oui, bon, pas la peine de nous faire croire que la vie d'une barde est comparable, en termes de solitude stoïque et d'aventure épique, à celle d'un sidhe. Nous savons bien que ce n'est pas le cas ! Les bardes passent leur temps à faire la fête. Tiens, il y avait une barde à la cour de ma mère lorsque j'étais jeune, une certaine Alatorínn-chant-de-ruisseau. C'était l'elleth la plus prédatrice que je n'ai jamais connue de ma vie ! On disait qu'elle avait eu plus de huit mille amants. À la fin, cela ne devait pas être bien drôle, pour les pauvres mâles appelés dans son lit...

Arda et Eren pouffèrent. Círdan rougit comme un cerdyf. Sa réaction, qui n’échappa à aucune des filles de Mana, provoqua un redoublement d’hilarité chez elles.

— Mais nous sommes présents sur les champs de bataille, se défendit Tanit, son regard déterminé planté dans celui de Mana. C'est nous qui sonnons la charge de l'ost de notre seigneur, et, à la fin, c'est encore nous qui comptons les morts et ravivons leur mémoire alors que résonnent les cris des corbeaux et le chant cruel du clairséach. Qui, hormis les aios et les bardes, expérimente cela ?

Mana émit un petit gloussement hautain.

— Les aslith, peut-être ? En tout cas, les bardes ne sont jamais en première ligne, et jamais sur les champs de bataille où il se passe vraiment quelque chose, renchérit-elle. Qui était là, lorsque Silivren a pacifié tout le nord d’Ærung en se battant seul contre une coalition des clans orcanides, aidé seulement d'une pauvre wyrm boiteuse ? Nul barde ne s'est déplacé pour cet évènement qui a changé la face d'Ultar, pendant les deux siècles que cette guerre a duré ! Aucun de ces fiers artistes n'est venu grattouiller sa harpe dans la neige, rougie du sang de mon frère et des mille orcanides qu'il avait abattus ! Qui était là encore, lorsqu'il a affronté les Sans-Yeux ? Moi, j'étais à ses côtés, et j'ai bien vu qu'aucun barde ne se trouvait avec nous, puisque nous avons été abandonnés à notre sort et laissés pourrir là pendant dix mille ans !

Mana expédia son verre de gwidth, et le reposa bruyamment sur la table.

— Les bardes ne s'intéressent à une histoire ou à une personne que lorsqu'on leur verse des espèces sonnantes et trébuchantes, ou quand cela peut servir leurs intérêts fumeux, continua-t-elle. Visiblement, mon pauvre frère est devenu un sujet à la mode, dix mille ans après sa mort. Il aura fallu tout ce temps, et la disparition de notre race entière, tant mieux pour lui... Mais vous ne ferez croire à personne ici que les gens de votre caste sont des héros qui méritent la moitié des honneurs !

Ren posa une main à la fois rassurante et autoritaire sur l'épaule de sa sœur, et Tanit eut l'intelligence de ne pas répondre. La crise avait été évitée.

Mana se retira rapidement : à l'entendre, elle avait des choses urgentes à faire sur son cair. Personne ne chercha à la retenir.

Círdan, qui, visiblement, avait tourné cette question dans sa tête pendant tout le repas, cherchant le moment propice pour la poser, se tourna alors vers Angraema :

— Et vous, dame Angraema, est-ce que vous cuisinez ?

C’était la première fois qu’il lui adressait la parole. Et – je m’en rendis compte – la première fois qu’on entendait sa voix depuis son réveil.

Les trois sœurs se regardèrent et explosèrent de rire, dissimulant avec difficulté leur hilarité derrière leur main. Le jeune ældien les regarda sans rien dire, un peu interdit.

— Ça suffit, grogna Ren à ses filles. On ne se moque pas des invités !

Arda et Eren tendirent le dos. Angraema se tourna vers Círdan :

— Je ne sais pas cuisiner, lui répondit-elle sur un ton défiant. Je ne sais même pas me servir du syntoniseur. Je déteste les tâches ménagères ! De toute façon, je n'ai pas l'intention d'avoir une petite vie tranquille et luxueuse : je veux être sidhe comme mon père et vivre des aventures !

Ren adressa un regard en coin vers sa fille.

— Si tu veux devenir sidhe, tu as tout intérêt à savoir chasser et cuisiner, mais aussi recoudre tes vêtements, te construire un abri et l'entretenir de façon à pouvoir y vivre seule pendant des années, lui dit-il. Si je n'avais pas appris tout ça dès mon plus jeune âge, je serais mort de faim et de froid pendant mes classes. Laisse-moi te dire au passage que mes premières années sur Æriban ont consisté uniquement à faire le ménage dans le temple, du matin jusqu'au soir, en me prenant une bonne volée de bois vert si j'avais oublié de frotter une rampe d'escalier ou un dessus de porte.

Angraema baissa le nez dans son assiette, les sourcils froncés. Elle n'appréciait visiblement pas d'être humiliée devant le prince.

— Et quand as-tu arrêté de faire le ménage ? demanda Angraema sur un ton agressif, loin de se laisser impressionner.

Son père braqua son regard dans le sien.

— Le jour où j'ai tué mon premier adversaire en combat singulier, lui répondit-il. Ce jour-là, je suis devenu un sidhe.

— Il suffit donc de tuer pour être reconnue comme sidhe ? s'enquit-elle en soutenant le regard de Ren.

— Il suffit de tuer un adversaire dangereux et armé, oui, et que cette réalisation soit reconnue par un autre sidhe. Si elle ne l'est pas, ça n'a aucune valeur.

— Est-ce que tu..., commença-t-elle en regardant son père.

Une secousse brutale mit fin à la question d'Angraema. Tout ce qui était sur la table, nourritures et assiettes comprises, valsa par terre, et les innombrables lumignons verts, bleus, violets et roses qui éclairaient notre salle à manger clignotèrent, avant de s'éteindre complètement.

— Qu’est-ce qui se passe ? s’écria Eren, attrapant la main de sa sœur.

— On dirait qu’on vient de heurter quelque chose… ! répondit Pas Douée.

Cela ressemblait effectivement à une collision. Mais ici, dans cette zone vide ? Je chercherai Ren du regard, en quête de réponses. Mais ce fut pour le voir sauter par-dessus la table et disparaitre dans le couloir, alors que son vaisseau, plongé dans le noir, commençait à émettre une lancinante lueur rouge de mauvais augure. C’est alors que la voix métallique d'Elbereth – ou de Dea – résonna le long des immenses arches.

Nous sommes attaqués. Veuillez prendre refuge dans la soute.


*


Je me tournai vers Angraema.

— Il faut que tu amènes tes sœurs à l'abri.

— Et toi ? m'interpella Angraema. Où tu vas ?

— Tu le sais. Seconder ton père.

— Je viens avec toi !

— Non ! Ren m’en voudra si je vous en danger.

Círdan intervint.

— Je m'en occupe. Allez retrouver Ædhelharn, toutes les deux. Dame Tanit, dame Ardamirë, dame Erenwë et moi, allons dans la soute.

Tout en sachant que les ældiens détestaient cela, je le remerciai chaleureusement.

— Merci, Círdan. N'oublie pas de prendre le chien, Dio.

— Dio. D'accord.

Je le laissai partir au pas de course. Mais Arda et Eren se figèrent soudain.

— Et Maman ! Elle est toute seule sur son vaisseau !

Angraema se figea.

— Je vais la chercher ! Je sais piloter l'astronef.

J'avais eu le malheur de lui apprendre, alors qu’elle était encore petite.

— Non, l'arrêtai-je. Tu ne feras rien tant qu'on ne sait pas ce qui se passe exactement.

Arda et Eren se mirent à gémir, mais Círdan prit la situation en main en les poussant devant lui.

— Allez ! les pressa-t-il. Il faut se hâter.

Je profitai qu'il disparaisse dans les étages inférieurs pour courir sur le pont, Angraema sur mes talons. Lorsque j'arrivai dans la salle des opérations, c'était déjà le branle-bas de combat. Dea était en train de détailler les cibles, alors que Ren, debout, se triturait la lèvre en cherchant à analyser la situation. Il n'avait même pas pris le temps de revêtir son armure.

— Des orcanides, m'annonça Elbereth en se tournant vers moi. Toute une armada. Je ne sais pas trop ce qu'ils font là, mais visiblement, ils reviennent d'une bataille. Victorieuse, vu l'état de leur flotte. Il y a six croiseurs.

Des orcanides… Qu’est-ce que c’était, encore ?

Je me tournai vers Ren.

— Pourquoi ne les a-t-on pas vus venir ?

Ren baissa les yeux.

— Ils viennent juste de quitter l’Autremer. C'est de la pure malchance.

— L’Autremer ?

— L’hyper-espace, me traduisit Dea.

— Bon, statuai-je en zyeutant la console de navigation. Ils nous ont tiré dessus, non ? Qu'est-ce qu'on attend pour les atomiser ?

Le visage sombre, Ren pointa un glyphe sur la carte.

— Qu'est-ce que c'est ? m'étonnai-je en avisant les petits triangles rouges – l'ennemi – entourant un triangle violet.

— Le Bronagh, me répondit Elbereth, les bras croisés. La flotte orcanide a réussi à l'isoler et s'en sert comme pare-feu. Si on tire, on risque de le toucher.

Angraema s'avança, les poings serrés.

— Maman est toute seule là-bas, quasiment aux mains de l'ennemi ! Il faut faire quelque chose !

— C'est ce à quoi je suis en train de réfléchir, grogna Ren.

— Mais il faut agir maintenant ! s’énerva Pas Douée. Et s'ils la capturaient ? Je sais ce que les orcanides font aux ædhellith, quand ils en attrapent ! Ils leur font dun dun...

— Tais-toi ! l'interrompit Ren. Tu m'empêches de réfléchir !

De quoi parlait Angraema ? Et qu’était ces ennemis, les « orcanides », que tous les ældiens à bord semblaient connaître ? Ren avait l’air inquiet. Et il y avait de quoi. Malheureusement, pour Angraema, ce fut la goutte de trop. D'un geste aussi vif que soudain, elle attrapa la poignée du sigil dans la ceinture de son père et bondit vers la porte.

— Je vais porter secours à Maman ! hurla-t-elle en se jetant sur le pont. Regarde-moi, Père, et sois témoin ! C’est aujourd’hui que je deviens une sidhe !

Ren se précipita à sa suite. Mais Angraema, maligne, avait enclenché la fermeture manuelle de la porte de la salle avant de partir, ce qui l'arrêta.

— Elbereth ! tonna-t-il, furieux. Ouvre la porte !

La wyrm s'exécuta, mais cela fit perdre de précieuses secondes à Ren. Angraema était rapide. Pour gagner du temps, elle avait sauté directement sur le pont inférieur, sans même prendre l'escalier. Elle bondissait de traverses en traverses, plus rapide qu’une panthère de combat. Probablement paniqué à l'idée que sa fille se jette dans l'espace aux commandes d'un astronef qu'elle savait à peine piloter, Ren lui avait emboité le pas sans réfléchir. Mais, de la salle des commandes, on pouvait accéder à la soute où étaient stockés les deux astronefs de sortie en passant par un ascenseur qui évitait de passer par les interminables et monumentaux escaliers du vaisseau.

— Je vais intercepter Angraema dans la soute, annonçai-je à Dea et Elbereth qui me regardaient boucler ma combinaison en silence. Elbereth, tu devrais rappeler Ren. C'est ici qu'on a besoin de lui.

Elle hocha la tête.

— Je m'en occupe.

J'atteignis la soute avant Angraema. J'eus le temps de décrocher un collisionneur, trois chargeurs et un caisson de grenades thermonucléaires dans l'armurerie, et j'étais fin prête à partir lorsqu'elle débarqua, toute échevelée et pantelante de sa course avec son père.

— N'essaie pas de me retenir ! hurla-t-elle en se précipitant vers le siège du pilote. Je dois aller secourir ma mère ! Hors de question de la laisser tomber aux mains des orcanides !

— Je ne viens pas t'en empêcher, lui annonçai-je. Je viens t'aider.

Angraema se figea net, et pendant un court instant, je retrouvai sur son visage l'expression de la petite Pas Douée. Puis elle sourit. Un sourire lumineux, mais carnassier. Le sourire d’une ældienne qui part au combat.

— Dépêche-toi de monter dans l'astronef, la pressai-je. Ton père va arriver, et il ne sera pas content !

— J'ai bloqué la porte, m'annonça-t-elle fièrement. C'est une porte pare-invasion : même Elbereth ne pourra pas la débloquer tout de suite : elle sera obligée de retourner dans sa matrice dimensionnelle pour le faire !

J’approuvai de la tête. Angraema était vraiment redoutable !

La porte était déjà en train de s'abaisser. C'était une énorme dalle en iridium, absolument inexpugnable. Lorsqu'elle arriva aux deux tiers de sa fermeture, je vis Ren, qui venait tout juste d'arriver, se jeter au sol pour passer de l'autre côté. Mais la porte était déjà trop basse. Toujours aussi réactif, Ren comprit et accepta immédiatement la nouvelle donne, en décidant du même coup de mettre toutes les chances de notre côté : je le vis me lancer son deuxième sigil sous la porte, juste avant qu'elle ne se referme.

Je le ramassai et le serrai contre moi. J'étais désolée de faire un coup comme ça à Ren, surtout dans ce moment-là. Mais, en un sens, c'était nécessaire.

— Ton père nous a donné son second sigil, lui annonçai-je en brandissant l'artefact. Au moins, on pourra se battre un minimum.

Même si j’ignorai comment me servir de cette arme. Pour l’instant, elle avait l’air d’une simple dague en verre, très longue et très pointue entre mes mains.

Dans l'astronef, je laissai Angraema s'occuper du décollage pendant que je revêtais ma combinaison extra-véhiculaire. Hors de question de prendre le risque d’être éjectée dans l’espace sans protection. La pression de la combinaison sur mon ventre lorsque je l'ajustai me fit grimacer. Angraema me regarda avec un air stupéfait et horrifié : elle venait probablement de se rappeler que j'étais enceinte.

— Je dois probablement être la première pilote enceinte de l'histoire des batailles spatiales, lui dis-je avec un sourire pour essayer de la décoincer.

— Tu ne devrais pas être là, murmura-t-elle. Je veux pas être responsable de la mort de mes petits frères et sœurs !

— Tu n'en seras pas responsable, la rassurai-je. En revanche, moi, je le serais, si toi tu meurs. Je ne peux pas te laisser mener cet astronef contre toute une flotte orcanide, alors que tu n'y connais rien en navigation militaire !

C'était vrai. J'avais appris à Angraema à décoller et à diriger un astronef, mais pas à enclencher des tirs de missiles, ou à voler de manière à éviter de se faire canarder ou abattre en plein vol. Ça, c'était ma spécialité.

D'ailleurs, je pris les commandes rapidement. La flotte se déployait devant nous en formant une ligne de front très menaçante. Le cair de Mana se trouvait derrière cette ligne. Il était complètement isolé. Il était malaisé de les distinguer, car les vaisseaux ennemis ressemblaient énormément aux nôtres. Pourquoi ? Ces « orcanides » étaient-ils eux aussi des ældiens ?

— Qui sont ces ennemis, Angraema ? murmurai-je en voyant passer ce qui ressemblait à un cair déglingué.

— Des orcneas, grimaça Pas Douée. L’ennemi ancestral de notre peuple ! Ils sont en recherche de trophées et de femelles à féconder. Il ne faut pas qu’ils nous prennent vivantes !

Je la regardai, horrifiée. Des pirates, donc…

— S’agit-il des dorśari dont vous nous avez parlé ?

— Non ! s’écria la jeune ældienne. Ce sont des créatures viles et sauvages. Ils parlent l’ældarin, et imitent certaines de nos coutumes… mais ils ne sont pas comme nous, et ne le seront jamais.

— Tu en as déjà vu ?

— Jamais. Mais Mère m’a tout raconté.

Je reportai mon attention sur la ceinture de vaisseaux. Ils me paraissaient nombreux, pour une culture disparue. Comment l’Holos avait-il pu laisser passer ça ? L’arrivée d’une toute nouvelle espèce – liée aux ældiens – dans la Voie…

— L'ennemi nous a vu, annonça Angraema, le regard verrouillé sur la baie de notre cockpit. Je crois qu'ils vont nous attaquer !

Trois astronefs plus petits venaient de quitter un des croiseurs orcanides, et se dirigeait vers nous.

— Ennemi engage, annonça justement l'IA rudimentaire de mon astronef. Le tir de missile est recommandé.

— Engage C1, C2, C3, ordonnai-je en verrouillant le viseur sur les cibles. Feu !

Mon premier tir élimina deux cibles sur trois. La troisième nous croisa et nous prit en chasse, cherchant à verrouiller ses tirs sur nous : pour lui échapper et l'empêcher de nous coller un missile aux fesses, je fus obligée d'entamer une série de loopings qui colla Angraema au plancher. Je l'entendis piailler lorsqu'elle se retrouva littéralement scotchée au plafond, mais elle réussit à s'accrocher quelque part et à remonter sur son siège sans dégâts.

— Mets ta ceinture, lui conseillai-je, on va rapidement passer les 5G.

Jamais je n'avais fait passer ce seuil de gravité à Angraema. Mais si elle devenait sidhe un jour, il fallait bien qu'elle apprenne ! Et c'était aujourd'hui le grand jour. Il n'y en aurait pas de second.

— T'as une conduite trop sportive ! gémit-elle lorsque l'astronef fit une nouvelle embardée.

— Avec ce chasseur aux fesses, on n’a pas le choix.

La pauvre Angraema vomit tripes et boyaux quand je décrochai derrière le petit croiseur orcanide, passant de 4 à 6G en quelques secondes. Mais comme d'habitude, elle récupéra rapidement. Je survolai le gros porteur en rase-mottes, suffisamment près pour voir les faces sombres et féroces de l'ennemi à travers les minuscules meurtrières percées dans leur coque blindée, le chasseur toujours derrière nous. Ces orcanides ressemblaient à des ældiens, certes… mais en mille fois plus terrifiants.

— C'est le moment de leur balancer quelques charges, dis-je à Angraema en lui indiquant le bouton de commande des charges explosives. Vas-y, fais-le !

Malheureusement, elles explosèrent avant de toucher la coque du vaisseau ennemi. Ils avaient un bouclier. En passant devant leur nez, je les entrevis en train d'exulter, tous crocs dehors, l'un d'eux – le commandant, visiblement – brandissant une ce qui ressemblait à une grosse massue hérissée de clous. C’était avec ça, qu’ils comptaient nous aborder ? En nous apercevant, ils s'excitèrent deux fois plus.

— Ils nous prennent pour du menu fretin, s'énerva Angraema, piquée au vif par leurs provocations. C'est parce qu'on est des femelles !

— Et alors, y en pas chez eux ? demandai-je en cherchant un minois féminin parmi ces faces de cauchemar.

Angraema secoua la tête.

— J’en sais rien… Mais j’ai toujours entendu dire qu’ils cherchaient toujours à enlever des femelles. C’est le but de leurs expéditions : obtenir du prestige et des femelles.

— Génial, grognai-je. Des barbares de l’espace.

— S’ils s’imaginent qu'ils vont pouvoir nous vaincre facilement… ils vont être surpris ! rugit la jeune ældienne.

Alors qu'Angraema répondait à leur invectives par forces grimaces et menaces, imitant leurs danses guerrières et exhibition de canines, je décrochai de là et passai derrière le gros-porteur. Le cair de Mana était juste derrière, dans mon champ de vision.

— Le vaisseau de Maman n'est pas un bâtiment de guerre, m'apprit Angraema en revenant s’asseoir sur le siège du co-pilote. Il n'est pas configuré comme tel. Mais elle possède quand même un bouclier. Si on le franchit, on pourra l'aborder facilement !

Mais le chasseur orcanide nous collait toujours au train. Soudain, une explosion nous aveugla : notre poursuivant venait d'être oblitéré par un tir venant de notre dos. C'était l'Elbereth. Ren couvrait nos arrières.

— J'aurais dû embarquer une eyslyn, pestai-je. On aurait pu coordonner nos attaques, comme ça !

— Tu n'avais pas le temps, ni l'aval de papa, me répondit Angraema. C'est déjà extraordinaire d'avoir réussi à monter dans cet astronef sans sa permission !

Extraordinaire, oui... Et probablement suicidaire.

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