La dernière semaine d’août je suis allé avec Sophie, la sœur de Sébastien, chez mes grands parents en Bretagne à Locmariaquer dans le golfe du Morbihan. Morbihan, ça veut dire petite mer en breton, c’est joli et puis ça exprime parfaitement la géographie du lieu. Locmariaquer et Port-Navalo sont les deux portes d’entrée de ce golf magnifique.

Les parents de Sébastien, Edouard et Marie, sont installés là depuis leur retraite. Edouard a connu sa femme ici à Locmariaquer quand elle y venait en vacances et une fois leur vie professionnelle terminée, ils sont revenus pour y couler des jours heureux.

C’est Sophie qui m’a emmené là-bas, elle passe toujours au moins une semaine l’été en Bretagne auprès de ses parents et moi ça me fait toujours plaisir de partir avec Sophie. Sophie, c’est un peu comme ma mère puisque je ne connais ni ma vraie mère ni la personne qui m’a tenu lieu de mère adoptive pour l’administration sociale. Quand j’ai été adopté, c’est une copine de Stéphane qui a accepté de jouer le jeu pour qu’ils puissent m’adopter Sébastien et lui et qui est ensuite partie vivre sa vie. Enfin c’est un peu compliqué tout ça…

-« Alors, Didi pas trop malheureux de partir t’enterrer avec moi chez les grands-parents ?

-« Oh non, j’adore Locmariaquer !

-« Oui je sais et puis Stéph et Sébastien viendront nous rejoindre vendredi soir…

-« Oui mais en attendant, à nous la belle vie et vive la Bretagne !

-« Et bien quel enthousiasme ! Raconte-moi un peu tes vacances… »

On a roulé tranquillement en ce beau lundi matin ; Sophie a une superbe 307 blanche décapotable toutes options et franchement rouler dans le luxe les cheveux au vent c’est génial !

Elle travaille dans la grande distribution, dans un Centre Leclerc à Nantes ; elle est responsable de l’épicerie sèche. Elle gagne bien sa vie, ça c’est sûr mais il faut voir les heures qu’elle fait. Debout à six heures tous les jours et puis souvent présente jusqu’a la fermeture, elle y passe sa vie !

-« Et toi, toujours pas rencontré le prince charmant ?

-« Oh arrête, je crois que je vais me faire bonne sœur !

-« Inscris-toi sur Meetic !

-« N’importe quoi, je cherche un homme pour faire ma vie pas une rencontre d’un soir !

-« Oui mais alors il faut que t’arrête de travailler comme une folle et que tu sortes un peu ! Quand même à Nantes, il doit bien avoir l'homme qu’il te faut ?

-« Oui surement mais pour l’instant, je ne l’ai pas encore trouvé ! Et toi, dis donc j’ai entendu parler d’une certaine Elodie ?

-« Qui t’a dit ça ? Séb’ ?

-« Ben qu’est-ce que tu crois, il peut rien me cacher, j’suis sa petite sœur adorée ! Allez raconte un peu … »

…

On est arrivé en fin de matinée, il n’y avait pas de trafic sauf sur la fin de parcours avec tous les touristes mais Sophie roule prudemment et puis de toute façon, on avait le temps.

Edouard était en train d’arroser son jardin et Marie lisait un magazine sur la terrasse.

On est tombés dans les bras les uns des autres et puis on s’est installés pour boire un verre.

-« Alors raconte-moi un peu tes vacances en Ardèche, Diego ! Mon Dieu, qu’est-ce qu’il a grandi ! » me demande Marie en interpellant son mari.

-« Oui, c’est vrai, tu es le plus grand à la maison maintenant, non ?

-« Oh non Sébastien est largement plus grand mais je suis en train de bien rattraper Stéphane ! »

J’ai expliqué en quelques mots notre périple dans le sud mais je n’ai pas parlé de naturisme ; on avait décidé de ne rien dire aux grands parents seule Sophie est au courant.

-« Et toi ma chérie, toujours seule ?" demande Edouard.

-« Oui à ton âge, il faudrait peut-être songer à te caser… on aimerait bien avoir d’autres petits enfants !

-« Oh Maman, laisse-moi vivre ma vie !

-« Tu n’es pas comme ton frère au moins ?" reprend son mari.

-« Papa, je t’interdis ! Et puis Sébastien est heureux comme il est, c’est ça qui compte ! »

J’ai senti que ça dérapait et je ne savais pas où me mettre. Mamie a bien vu également qu’il fallait calmer les esprits.

-« Oui je sais bien ma chérie mais c’est pour toi que je dis ça… tu devrais y réfléchir, c’est pas bon de rester seule comme ça !

-« A vous entendre, il n’y a que ça qui compte !

-« Bon bon on va pas se fâcher mais tu sais ce qu’on pense… » dit Edouard en tentant maladroitement d’apaiser l’atmosphère.

Heureusement la conversation ne s’est pas éternisée sur le sujet ; j’ai senti que Sophie faisait de gros efforts pour ne pas s’énerver davantage et je me suis dit un peu tristement que les parents de Sébastien avaient encore du mal à accepter l’homosexualité de leur fils.

‘Il a du en baver, le pauvre !’

…

Il a fait beau toute la semaine, ceci pour faire mentir ceux qui prétendent qu’en Bretagne il pleut toujours !

Le programme de la journée était déterminé en fonction de la marée. Quand la marée était basse le matin, Edouard et moi allions à la pêche en début de matinée et puis en fin de semaine comme cela faisait vraiment tôt, on y est allés en soirée mais c’était moins bien parce qu’il y avait beaucoup de monde. Edouard connaît les bons coins, ceux où on trouve les dormeurs, ces gros crabes avec des pinces impressionnantes et puis les crevettes et les étrilles aussi. Je me suis fait pincer deux ou trois fois et je l’ai senti passer ! A chaque fois cela prend bien deux heures, le temps d’y aller en vélo et puis de marcher loin sur la plage découverte pour atteindre les rochers. Il faut dire que c’était le début des gros coefficients alors la mer descendait très bas mais c’est grâce à cela que nos paniers en osier étaient si chargés au retour.

J’adore la pêche, les pieds dans l’eau voire parfois jusqu’à la taille, un crochet à la main pour fourailler sous les rochers, le temps passe toujours très vite et il faut faire attention à la marée qui remonte. Ce n’est pas vraiment dangereux même s’il y a toujours des histoires de touristes qui se sont fait emporter par les vagues. J’avoue que je n’y crois pas trop, à mon avis ce sont des légendes que les habitants du coin se plaisent à colporter pour avoir un peu de tranquillité mais quoi qu’il en soit avec Edouard, je ne crains rien.

L’après midi Sophie et moi, on descend à la plage mais pas à la Grande Plage, on préfère celle de Kerinis car il n’y a pas de parking et donc les estivants y sont moins nombreux. Enfin, il y a quand même du monde et pas question de faire du naturisme, ce n’est pas le genre dans la région et je ne vous dis pas si les grands parents apprenaient ça !

Bon il y a une chose qu’il faut reconnaître, c’est que l’eau n’est pas chaude ; on peut même dire qu’avec ces 17-18 degrés elle est un peu juste mais on s’y fait et puis comme le dit Sophie, « quand on vire au bleu, c’est qu’il est temps de sortir » !

Je reste un peu avec elle et puis je vais aussi jouer avec des jeunes au foot ou au volley un peu plus loin pendant qu’elle bouquine ou reste simplement à se dorer au soleil.

Elle est jolie Sophie et j’ai remarqué que quand je m’éloigne pour jouer, il n’est pas rare que je la retrouve en grande conversation avec un Dom Juan en maillot qui la drague ostensiblement. On a mis au point un code entre nous et quand elle met sa casquette, cela signifie qu’elle en a assez alors j’interviens pour chasser l’importun en prétextant que mes grands parents arrivent et ça marche à tous les coups. Les dragueurs n’aiment pas qu’il y ait beaucoup de monde autour de leur cible !

Bon malheureusement à la fin de la semaine, le constat s’imposait, Sophie a passé son temps la casquette vissée sur la tête !

…

Sébastien et Stéphane sont arrivés pour manger vendredi soir et on est allé à la crêperie. Les crêpes en Bretagne ce n’est pas original mais moi je trouve qu’elles sont meilleures qu’à Nantes ou alors c’est juste parce que le cadre qui nous les rend encore plus savoureuses en tous les cas, j’adore ça !

J’attendais avec un peu d’appréhension les discussions à table, j’avais peur qu’Edouard ne laisse échapper un commentaire peu amène ou maladroit sur les quelques touristes gays qu’il avait rencontré au cours de la saison mais il n’en a rien été. J’ai l’impression que devant Stéphane il fait attention. Ce n’est pas qu’il soit homophobe, non pas du tout, mais il ne parait pas pouvoir s’empêcher de faire de temps en temps une réflexion qui blesse son fils comme si tout n’était pas complètement digéré…

Sébastien en parle parfois, oh juste par des allusions ironiques mais on perçoit la blessure encore à vif derrière les traits d’humour. C’est toujours le moment que Stéphane choisit pour lui caresser la main ou le prendre dans ses bras. C’est un des rares instants où ils s’accordent un peu de tendresse devant moi ; je leur ai dit que cela ne me dérangeait pas et qu’ils pouvaient s’embrasser autant qu'ils le voulaient. Je leur ai même dit une fois que j’avais entendu du bruit dans leur chambre et que compte tenu de ce que j’avais oui, ils pouvaient se permettre un petit baiser devant moi. Alors ils l’ont fait et après ils m’ont pris en sandwich entre eux deux et m’ont embrassé partout. J’avais dix ans, on habitait Dreux et je m’en rappelle comme si c’était hier…

Le week-end est vite passé entre la pêche, la plage et puis le dimanche une visite culturelle, les mégalithes bretons, parce que le temps s’était couvert. Je suis rentré avec Sophie, elle s’envole mardi matin pour le Maroc, un circuit qui s’intitule « Les villes impériales », qui sait, peut-être l’occasion de rencontrer quelqu’un de bien…

J’ai laissé Stéphane et Sébastien rentrer tous seuls, pour qu’ils profitent d’être ensemble puisqu’ils ont sacrifié leur week-end à la famille ; juste une petite parenthèse avant d’être à nouveau réunis pour affronter la terrible rentrée qui se profile déjà…

…