CHAPITRE LV
J'ai traîné pour rentrer chez moi, je ne savais pas quoi faire, j'étais complètement au fond du trou et je me suis dit qu'il fallait que je me calme sinon j'allais m'écrouler en sanglots à la première question de Stéphane et s'il y a bien quelque chose dont je n'ai pas envie de parler c'est de ce qui s'est passé cet après midi.
'Ou plutôt, ce qui ne s'est pas passé !'
J'ai décidé d'aller au centre ville voir le magasin du passage Pommeraye dont Stéphane m'avait parlé pour me changer les idées. J'ai pris le tram et je suis descendu à Commerce. Je me suis arrêté devant le Gaumont pour regarder les films qui sont à l'affiche pour notre ciné de la semaine prochaine avec Thibaud et je n'ai rien vu parmi les nouveautés qui m'inspirait mais Skyfall passe toujours donc ça va. Je suis allé faire un tour à la FNAC, juste à côté et j'ai acheté un livre pour Sébastien, "La vérité sur l'affaire Harry Québert", il en parlait avec Stéphane l'autre fois et je me suis dit que ça lui ferait plaisir. J'ai trouvé le magasin dont parlait Stéphane à l'étage dans le passage Pommeraye. C'est vrai qu'il y avait de belles vestes mais c'est carrément hors de prix.
'Il faudrait avoir gagné au Loto pour acheter quelque chose ici !'
Quand je suis rentré, je m'étais quand même un peu calmé. Enfin, j'avais surtout essayé de ne plus penser à ça tout en sachant au fond de moi qu'il faudrait bien y revenir un jour.
'Un jour oui, mais pas aujourd'hui !'
Bref, à l'instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, j'étais en passe de devenir un parfait procrastinateur sans en avoir conscience !
J'ai raconté à Stéphane que j'étais allé me balader en ville avec Bérangère et je lui ai dit en plaisantant qu'à bien y réfléchir, je préférais qu'on achète la maison plutôt qu'une veste en cuir dans ce magasin ! Quand Sébastien est arrivé je lui ai montré le livre que j'avais trouvé pour lui et ça lui a fait très plaisir.
-"Au fait, est-ce qu'on a un peu de temps avant de passer à table ?
-"Heu oui, on mange dans trois quart d'heure à peu près..." répond Stéphane en regardant sa montre.
-"Alors voilà, je voudrais convoquer le Conseil de famille !
Je les ai vus échanger un regard surpris comme pour vérifier si l'un ou l'autre avait une idée de ce qui me passait par la tête. C'est vrai que c'est la première fois que je fais ça mais c'est quelque chose qui me trotte dans la tête depuis quelques temps et j'y ai réfléchi cet après midi pour m'éviter de penser à autre chose...
-"Heu d'accord... Séb', c'est OK ?
-"Oui bien sûr. Heu... c'est pas juste pour qu'on prenne l'apéro, Didi ?
-"Non, c'est sérieux !
-"Alors d'accord, laisse moi deux minutes pour me changer et rendez-vous au salon !
-"OK, je m'occupe des boissons !
-"Et moi des gâteaux apéritifs !
Assis à côté de Sébastien dans le canapé, je regarde Stéphane verser un Martini dans le verre de Sébastien. J'attends qu'il ait terminé et avec un petit peu de nervosité je me lance.
-"Voilà, ça fait un moment que ça me trotte dans la tête... j'y ai beaucoup réfléchi et je voudrais dire à quelqu'un la vérité sur notre famille...
-"Ah oui, je comprends... c'est normal j'imagine de vouloir tout partager mais il faut bien réfléchir...
-"Et puis tu sais Didi, quand on a ton âge on ne se rend pas compte mais si ça se trouve dans un mois ce sera fini entre vous...
-"Oui, tu as l'impression que vous deux c'est pour la vie mais...
Je les ai regardés incrédule, ils n'avaient rien compris !
-"Mais non, c'est pas à Bérangère que je veux le dire !
-"Mais à qui alors ?
-"A Boris ?
-"Mais non, à Thibaud !"
Pour le coup, heureusement qu'ils étaient bien calés dans le canapé et le fauteuil parce que je crois qu'ils seraient presque tombés de leur chaise !
-"Heu pourquoi à Thibaud ?
-"Je vous ai raconté son histoire et je le connais bien maintenant c'est un super copain mais je sens au fond de lui qu'il reste très fragile et qu'il n'a pas confiance en lui parce qu'il est gay. Alors voilà, je voudrais pouvoir lui parler de vous, de notre famille, lui dire qu'il pourra être heureux avec un compagnon peut-être avoir des enfants, qu'il faut être optimiste et que la société change ! Enfin voilà...
-"Ah OK j'avais pas compris...
-"Moi non plus... et je trouve que c'est une très belle idée, très noble...
-"Oui, moi aussi !
-"Merci !
-"Et puis, il saura garder ça pour lui compte tenu de ce qu'il a vécu, le pauvre !
-"Ah oui ça c'est sûr, il n'y a aucun risque ! Avec lui, le secret sera bien gardé !
-"Et bien écoute, ça me parait être une très bonne idée et il pourra être fier d'avoir un copain comme toi parce que c'est la plus belle preuve d'amitié et de confiance que tu puisses lui faire !
-"Oui, bravo Didi, nous sommes fiers de toi !
-"Non, c'est juste normal, vous allez voir, c'est un gars génial et il mérite d'être heureux alors si je peux l'aider un peu...
-"Bien si vous êtes d'accord nous allons pouvoir voter sur cette proposition de Didi. Qui est pour ?"
On a tous levé la main ; j'étais heureux comme jamais et je voyais que Stéphane et Sébastien étaient fiers de moi.
-"Proposition adoptée !"
J'ai sauté dans les bras de Sébastien et Stéphane est venu nous rejoindre sur le canapé. On s'est serrés les uns contre les autres et je me suis dit que j'avais beaucoup de chance d'avoir une famille aussi extraordinaire.
'Tu verras, Thibaud, toi aussi tu seras heureux comme nous, j'en suis sûr !'
...
Bien sûr, le soir dans ma chambre, le naufrage de l'après midi m'est revenu comme un boomerang en pleine figure. J'ai revécu ce qui s'était passé dans la chambre avec Bérangère et j'ai ressenti à nouveau le malaise que j'avais éprouvé. Je ne sais pas quoi en penser et encore moins quoi faire. Il faudrait que j'en parle à quelqu'un mais je ne sais pas à qui. D'habitude je n'ai pas de secret pour Stéphane et Sébastien mais cette fois-ci je répugne à leur en parler...
Bien sûr, il faudra que j'en parle avec Boris et ça me fait un peu peur. J'ai peur qu'il se moque de moi et qu'il ne comprenne pas...
Je me tourne une nouvelle fois dans mon lit, appelant en vain le sommeil qui me délivrera enfin de tout ce qui me tourmente ...
Demain, je pars à Locmariaquer, j'aurai le temps d'y réfléchir et peut-être de trouver une solution...
'Oui, on verra demain !'
'Pourvu que je trouve une solution...'
...
Annotations