CHAPITRE CXXV
Ce week-end, je vais essayer de passer le maximum de temps en dehors du foyer. La règle, c'est de déposer son emploi du temps au bureau des éducateurs et c'est ce que j'ai fait vendredi en rentrant de l'école. Pour la semaine, j'ai déjà rempli un document récapitulant mes activités, le Geography club, la piscine, les visites à l'hôpital et il n'y a pas eu de problème.
-"Bonjour Régis, je viens te donner mon programme pour le weekend.
-"Bonjour Diego, merci je vais regarder ça tout de suite. Comment ça va ?
-"Heu, ça va...
-"D'accord... alors, voyons ça. Alors samedi, déjeuner en ville avec Sébastien Lesquer et cinéma, visite à ton père, retour à 19 heures et dimanche piscine le matin puis déjeuner et après midi chez un camarade de classe, Thibaud Winogravski à Orvault, avec un retour à 19 heures également. On dirait que tu as envie de passer le maximum de temps en dehors du foyer ?
-"Heu...
-"Je peux le comprendre mais ce qui me surprend quand même, c'est que je ne te vois jamais en bas à la salle télé ou dans la salle de jeu ; je sais que tu préférerais être chez toi mais c'est important aussi de te faire des amis ici, de t'amuser, de discuter avec les autres. Tu ne te sens pas seul ?
-"Non, non je ne suis pas tout seul, je suis souvent avec Jimmy.
-"Oui... bon, je n'insiste pas ! Il me faut l'adresse de ton ami avec le nom polonais, le numéro de téléphone de ses parents et également le numéro de téléphone de Sébastien Lesquer."
C'est comme ça ici, ce n'est pas une prison mais on sent tout de même qu'on est en liberté surveillée. Je lui ai fourni ce qu'il me demandait et il a classé ma fiche dans un dossier.
-"Reviens demain matin, ce ne sera pas moi qui serai là mais tu auras la réponse pour ton programme de week-end. A mon avis, il n'y aura pas de problème.
-"Merci, Régis. Bonne soirée.
-"Merci à toi aussi."
...
Je n'ai pas mangé en ville avec Sébastien, je suis allé à la maison. De toute façon, il est au courant de mon programme donc si le foyer appelle, il leur dira ce qu'ils veulent entendre. Je ne l'avais pas vu depuis mercredi soir, après la réunion avec notre avocat et je l'ai trouvé complètement au bout du rouleau. Je crois que ce n'est pas une bonne chose, qu'il ait démissionné. Depuis, il traîne sans rien faire à la maison et il ne fait que ressasser tout ce qui nous arrive.
Quand je suis arrivé, il n'était pas encore habillé et rien n'était prêt pour le repas. D'ailleurs quand j'ai ouvert le frigo, j'ai constaté qu'il était vide.
-"Séb, qu'est-ce qu'on mange, il n'y a rien dans le frigo ?
-"Ah oui, j'ai oublié de faire les courses..."
On est allé à Auchan faire les courses et on a mangé à la cafétéria. J'ai essayé d'alimenter la conversation pendant le repas parce que je voyais bien que Sébastien n'avait pas le moral. Il m'a annoncé que monsieur Frot avait déposé une demande d'annulation de la procédure à mon égard.
-"Il m'a dit que cela avait très peu de chance d'aboutir avant que les services sociaux aient fait leur enquête et même si pour lui c'est tout à fait injustifié, il ne voit pas le juge revenir sur sa décision...
-"Alors à quoi ça sert ?
-"Il dit que c'est important de montrer que nous ne sommes pas d'accord et que nous considérons la procédure comme injustifiée.
-"Oui, d'accord...
-"Je suis désolé de ce qui t'arrive, Didi, je m'en veux tellement...
-"Mais non, ce n'est pas de ta faute, c'est à cause de cette vipère ! Il faudrait prouver qu'elle est homophobe et que c'est à cause de ça qu'elle fait tout ça."
Je lui ai montré la déclaration signée par le proviseur sur l'opposition de l'assistante sociale à l'organisation d'une journée contre l'homophobie au lycée il y a quatre ans. Certes, le proviseur ne dit pas qu'elle est homophobe mais il montre bien qu'il ne comprend pas pourquoi elle s'oppose à cette journée.
-"C'est un bon point de départ, non ?
-"Oui mais ce ne sera pas suffisant..."
Son abattement m'a découragé, il ne voyait rien de positif et il ne faisait que s'accuser de tout ce qui nous arrivait.
Je suis resté tout l'après midi à la maison, pas de cinéma comme je l'avais indiqué dans mon programme, mais ça ce n'est pas grave. Vers 16 heures, nous sommes allés voir Stéphane à l'hôpital et je suis rentré juste avant 19 heures au foyer.
Triste journée !
Sébastien m'inquiète et j'ai peur que si les services sociaux le trouvent dans cet état, cela ne donne pas une bonne image de lui et que cela joue contre nous auprès du juge...
'Il faut que j'en parle à Sophie, elle saura lui dire qu'il doit se reprendre !'
...
Exceptionnellement je suis allé à la piscine dimanche matin. J'avais parlé de cette idée à Thibaud qui m'avait répondu que justement il comptait y aller pour préparer sa prochaine compétition et on s'était donné rendez-vous à 10 heures devant l'entrée. Il était déjà là quand je suis arrivé car j'ai raté mon bus de quelques secondes et, dégoûté, je l'ai vu redémarrer de l'arrêt alors que j'étais à cinquante mètres de là !
J'ai été surpris de voir qu'il y avait plus de monde que d'habitude dans le bassin ; bon, ce n'était pas la foule mais tout de même, les couloirs étaient tous occupés et il y avait bien une quarantaine de personnes dans le bassin.
On a commencé par un entraînement chacun de notre côté parce que Thibaud a les championnats départementaux individuels le week-end prochain et il voulait travailler sa coulée en brasse. Je me suis mis à côté de lui et moi aussi, j'ai travaillé ma brasse en pensant aux conseils que Thibaud m'avait donnés et particulièrement sur la coordination des mouvements des bras et des jambes.
On était dans l'eau depuis une bonne demi-heure quand tout à coup j'ai aperçu une tête vaguement familière debout au bout du bassin qui scrutait les nageurs dans l'eau. J'ai regardé plus attentivement et je l'ai reconnu.
'Merde, Jérémy ! Qu'est-ce qu'il vient faire ici ?'
Question idiote, il a rendez-vous avec Thibaud bien sûr...
Thibaud ne l'avait pas vu aussi j'ai fini par lui indiquer que Jérémy était là et qu'il le cherchait.
-"Hein ? Ah oui..."
Il n'a pas eu l'air très heureux de l'apercevoir parce que son visage s'est fermé aussitôt.
'C'est sûrement parce que je suis là... il aurait préféré être seul avec lui...'
Nous sommes donc sortis de l'eau et nous sommes rapprochés de Jérémy. Je l'ai détaillé avant d'être tout près de lui et je dois reconnaître qu'il est bien bâti. Il n'a pas la silhouette d'un nageur mais il est assez carré d'épaules et musclé, peut-être plus comme un rugbyman car ses jambes sont particulièrement impressionnantes.
Je me suis forcé à sourire et nous nous sommes salués.
-"Salut Thibaud, tu vois j'ai réussi à me lever et je suis venu !
-"Salut Jérémy, tu connais mon copain Diego...
-"Salut Diego, je t'avais aperçu à la fête du 31 mais je suis très content de faire vraiment ta connaissance ! Thibaud m'a beaucoup parlé de toi...
-"Salut Jérémy, très content moi aussi..."
D'habitude, je ne suis pas hypocrite et je crois qu'aujourd'hui seules les convenances sociales m'ont contraint à lui faire bon accueil parce que s'il y avait bien une personne que je ne voulais pas voir, c'était bien lui...
On a discuté quelques instants en faisant le tour du bassin pour que Jérémy aille déposer sa serviette à côté des nôtres et c'est lui qui faisait la conversation.
-"Heu, je voudrais faire quelques exercices encore..." déclare Thibaud en nous regardant.
-"D'accord, moi je vais faire trempette, histoire de dire que j'ai nagé. Vas-y, Diego me tiendra compagnie...
-"Ah oui, bien sûr..." lâché-je, dépité.
Thibaud m'a lancé un drôle de regard avant de repartir et je n'ai pas su comment l'interpréter.
'Peut-être qu'il voudrait que je parte pour rester avec lui ?'
Ca m'a fait mal et ça m'a mis mal à l'aise mais Jérémy continuait à plaisanter sur son niveau de natation et je suis resté à côté de lui tandis que Thibaud rejoignait sa ligne d'eau le visage fermé.
En tous les cas, Jérémy n'est pas un bon nageur, je m'en suis vite aperçu. Il sait nager, certes, mais s'il était en cours dans ma classe, il serait dans le deuxième groupe, celui des débutants. Il dépense beaucoup d'énergie sans technique et se fatigue vite. Quand j'ai vu au bout d'une demi-heure qu'il était complètement épuisé je lui ai proposé de s'arrêter pour se reposer un peu.
-"Oui, je veux bien, je ne suis pas un bon nageur comme toi !
-"Oh moi je me débrouille mais Thibaud, lui, est un très bon nageur. Il va essayer de se qualifier pour les championnats régionaux individuels samedi prochain.
-"Ah oui, c'est encore le niveau au-dessus !"
Nous nous sommes assis dans les tribunes et avons regardé les nageurs évoluer dans le bassin. La classe de Thibaud n'en apparaissait que davantage ; il n'y avait pas un nageur qui lui arrivait à la cheville.
'C'est le meilleur et le plus beau !'
-"Tu viens souvent à la piscine ?
-"A peu près deux fois par semaine, depuis que je ne peux plus courir à cause de mon Osgood..."
Je lui ai raconté mes problèmes de genoux depuis la rentrée de septembre et comment j'avais appris à apprécier la natation.
-"En tous les cas, je comprends que cela soit plaisant, avec tous ces beaux garçons bien moulés dans leur maillot de bain sexy !"
Il m'a regardé dans les yeux en souriant et je n'ai pas su quoi répondre.
-"Je suis gay ! Thibaud ne te l'avait pas dit ?
-"Si...
-"Et toi, tu es gay aussi ?"
Je n'en suis pas revenu qu'il soit aussi direct. Thibaud m'avait dit qu'il assumait son homosexualité haut et fort mais je ne m'attendais tout de même pas à ça !
-"Heu... c'est ce que Thibaud t'a dit ?" réponds-je pour gagner du temps.
-"Non, il m'a seulement dit que tu n'étais pas son petit copain...
-"Ah heu oui... heu j'ai pas trop envie de parler de ça...
-"Ah... oui bien sûr, désolé...
-"Non, non, c'est pas grave..."
Heureusement Thibaud est arrivé à ce moment là ; il a pris sa serviette et s'est enroulé dedans.
-"Bon, je suis crevé moi ! Ca vous dit un café-chocolat pour vous réchauffer un peu ?"
'Ouf, merci Thibaud, tu me sauves la vie !'
...
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