CHAPITRE CXXXVIII
-"Heu bonjour, je suis Diego, excusez-moi, je m'étais endormi..."
-"Moi, je m'appelle Gloria !" déclare la petite fille en venant spontanément m'embrasser.
-"Bonjour Diego, Gabriella m'a prévenue ; elle ne va pas tarder, elle sera là dans un quart d'heure."
-"D'accord..."
Elle m'a proposé un café et j'ai accepté avec plaisir. Nous nous sommes installés autour de la table basse et nous avons fait connaissance. J'ai eu un doute au début sur la relation qui existe entre Gabriella et Lisa et puis au travers de ce qu'elle me disait, j'ai compris qu'elles formaient une famille homoparentale qui était somme toute le reflet de ma propre famille en version féminine. J'étais en train de lui expliquer les raisons de ma venue ici et les péripéties de mon voyage quand Gabriella est arrivée, précédée d'un garçon de 6-7 ans vêtu d'un kimono blanc qui s'est arrêté devant moi.
-"Bonsoir tout le monde ! Timéo, je te présente Diego, tu lui dis bonsoir ?"
Le petit garçon s'est approché de moi en souriant et m'a embrassé sur la joue.
-"Bonsoir Timéo, je suis content de faire ta connaissance !
-"Tu vas prendre ta douche, Timéo ? Et puis vous pourrez jouer dans votre chambre avant de manger."
...
J'ai terminé la présentation de ma situation à Lisa nous avons continué à discuter.
-"Alors, explique-moi ce que tu attends de moi parce que j'ai l'impression que tu as déjà tout prévu, non ?" reprend Gabriella.
-"Tout prévu, non mais j'ai bien réfléchi et puis notre avocat nous a expliqué comment cela pouvait se passer et donc ce qu'il fallait prévoir. Mais avant de vous exposer cela, est-ce que je peux vous poser quelques questions ?
-"Tu as vu, je te l'avais dit, on ne dirait pas qu'on discute avec un garçon de quatorze ans !" dit-elle en s'adressant à Lisa.
-"C'est bien, tu as la tête sur les épaules !" répond Lisa.
-"Vas-y, Diego, je suis là pour t'aider !
-"Merci. En fait, et je vous prie de m'excuser si je suis indiscret, pouvez-vous me dire pourquoi vous avez décidé d'aider Stéphane à adopter un enfant ? J'ai l'impression que vous ne viviez pas vraiment ensemble ?
-"C'est vrai. Stéphane était un très bon ami que j'ai connu sur les bancs de la fac à la Sorbonne et comme tu l'as compris, je suis lesbienne. Lui, il est gay et je savais depuis longtemps qu'il avait ce projet un peu fou d'adopter un enfant. C'était son rêve et malheureusement, c'était impossible...
-"Oui et c'est toujours le cas ! Du moins tant que la loi sur le Mariage pour tous n'a pas été adoptée...
-"Tout à fait, on dirait que tu connais bien le sujet !
-"Oui, on va faire un référendum symbolique sur la loi au lycée alors forcément, je me suis renseigné.
-"Belle initiative ! A l'époque, on ne parlait pas de Mariage pour tous, il n'y avait même pas le PACS et les droits des gays étaient complètement ignorés donc un soir où l'on avait refait le monde, j'ai décidé d'aider Stéphane à adopter ce qui nous a donc conduit à nous marier. Et puis, après avoir déposé des dossiers auprès de plusieurs pays, Stéphane a reçu, peut-être un an plus tard, une réponse des Philippines lui demandant de se mettre en contact avec un orphelinat pour débuter la procédure d'adoption.
-"Oh, tu ne m'avais pas dit tout ça !" s'exclame Lisa."Mais il n'y a pas une procédure d'agrément, une espèce d'enquête avant ?
-"Oh oui, il faut prouver qu'on vit ensemble, il y a des visites de la DASS, nous on en a eu deux, je m'étais embarquée dans un sacré truc sans le savoir !
-"Mais comment vous avez fait, si vous n'habitiez pas ensemble ?
-"Nous ne vivions pas ensemble mais nous étions en collocation, nuance ! Et les services sociaux n'y ont vu que du feu !"
Cela se voyait qu'elle était très contente de ce qu'elle avait fait car elle m'a fait un gros clin d'œil. Elle avait l'air espiègle de quelqu'un qui a fait une bonne farce à une société encore très cadenassée et j'ai eu envie de l'embrasser pour la remercier...
-"Et une fois que Diego est arrivé en France, j'ai complètement disparu du tableau, nous avons divorcé. C'est Stéphane et Sébastien qui ont élevé Diego et peu de temps après, j'ai été nommée dans le sud et j'ai déménagé.
-"D'accord... merci, merci pour tout ce que vous avez fait. Sans vous, je ne serais pas là..." déclaré-je très ému.
-"Je t'en prie, c'est Stéphane et Sébastien qu'il faut remercier, moi je n'ai fait que donner un petit coup de main..."
Non, ce n'était pas un simple petit coup de main bien sûr mais Gabriella semble appartenir à cette catégorie de personnes qui a des convictions chevillées au corps et le cœur sur la main.
'Et ça, même si elle ne veut pas le reconnaître, ce n'est pas donné à tout le monde, !'
-"Moi, je n'en connaissais pas plus mais aujourd'hui, cela reprend de l'importance du fait de l'accident de Stéphane."
Je leur ai expliqué qu'en cas de décès de Stéphane, c'était elle, Gabriella, qui se retrouverait être ma seule famille légale.
-"Pardon Diego, mais Stéphane peut encore sortir du coma ou vous n'avez plus d'espoir ?" demande Lisa.
-"Si, si, les médecins disent que tout est encore possible mais plus le temps passe moins les chances sont grandes, c'est sûr...
-"Oui, bien sûr...
-"Et tu voudrais venir vivre ici ?" reprend Gabriella.
-"Non, je voudrais vivre à Nantes avec Sébastien mais il faut que vous fassiez une déclaration au juge.
-"Qu'est-ce que tu veux que je lui dise, à ce juge ?
-"C'est là, qu'il y a plusieurs scénarios en fonction de l'enquête qui va être menée par les services sociaux et de la décision finale du juge.
-"Vas-y, tu as l'air de parfaitement savoir ce que tu veux alors explique-nous...
-"En fait le premier point c'est qu'il ne faut pas que le juge apprenne que le mariage avec Stéphane était seulement un mariage de convenance car j'ai peur que cela n'entraîne une annulation et alors ce serait la pire des situations pour moi car je n'aurai plus de famille ! Mon avocat dit que je ne risque rien mais, moi ça me fait peur quand même.
-"D'accord et qu'est-ce qu'il se passerait dans ce cas-là ?
-"Je ne sais pas exactement, je serais un orphelin qui dépendrait des services sociaux, ce que je vis actuellement mais de façon permanente ! Vous n'avez pas encore été contactée par le juge Ledreff ?
-"Non...
-"C'est pour cela que je voulais vous voir avant que les services du JAF ne vous retrouvent, pour vous expliquer les conséquences que cela allait avoir pour moi...
-"Ne t'inquiète pas Diego, j'ai triché une fois, je vais leur mentir une deuxième fois sans que cela m'empêche de dormir !"déclare Gabriella avec force.
-"Merci !
-"Mais si j'ai bien compris cela ne résout pas le problème de garde en faveur de Sébastien ?" reprend Lisa.
-"Non, vous avez raison. Dans un second temps, il faudra déclarer que vous souhaitez que Sébastien continue à m'élever parce que c'est mieux pour moi, plus logique, etc.
-"Ca d'accord.
-"Et dans un troisième temps, si le juge refuse que Sébastien m'élève, ce qui est complètement aberrant mais pour l'instant c'est la situation que nous connaissons, donc dans cette hypothèse, il faudrait que vous demandiez à avoir ma garde et qu'ensuite vous fassiez une délégation de garde à Sébastien.
-"D'accord, je dis que tu viens ici et je te confie à Sébastien.
-"C'est ça.
-"Et c'est légal ?
-"Oui, un parent peut confier la garde de son enfant à une autre personne, c'est le juge qui accepte ou refuse. C'est un transfert de l'autorité parentale.
-"Mais le juge peut refuser, surtout si c'est le même...
-"Non, ce ne sera pas le même car mon domicile légal sera ici à Martigues.
-"OK, bien vu !
-"Il y a encore une dernière possibilité, si rien de tout ça ne marche, c'est que pendant un an je sois en internat dans mon lycée actuel et qu'à 16 ans, vous déposiez une demande d'émancipation ce qui me permettra de retourner vivre à Nantes.
-"Waouw on dirait que tu as pensé à tout !" s'exclame Gabriella.
-"J'espère...
-"C'est vraiment compliqué comme histoire !
-"Et surtout scandaleux, comment cette prétendue assistante sociale peut-elle agit ainsi ? " reprend Gabriella.
-"Oui, tu as raison, encore quelqu'un qui n'a pas intégré que les gays et les lesbiennes ont des droits comme tout le monde !" renchérit Lisa.
-"En tous les cas, je comprends que tu aies voulu venir m'expliquer ça en face à face plutôt que par écrit, je n'aurai rien compris !"
...
Les enfants sont descendus, ils avaient faim et j'ai joué un peu avec eux pendant que Lisa s'occupait du repas. Gabriella pendant ce temps était au téléphone avec un de ses amis. On a mangé tôt, à 18 h 45, pour que les enfants puissent se coucher avant 20 heures mais cela ne m'a pas dérangé, bien au contraire car mon estomac s'était réveillé dès que j'ai senti les bonnes odeurs qui venaient de la cuisine !
Pendant le repas, j'ai découvert la vie d'une famille avec deux jeunes enfants et cela m'a rappelé ce que j'avais connu il y a quelques années. On a discuté de l'école, de ce qu'ils avaient fait dans la journée, des copains et copines de chacun, du judo, bref tout ce qui constitue le quotidien d'une famille ordinaire.
'Comme dans n'importe quelle famille, quoi qu'en pensent les opposants au Mariage pour tous!'
...
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