CHAPITRE CLXVIII
L'euphorie n'a pas duré car très vite des interrogations lourdes de sens sont venues me tourmenter. J'ai lu tellement d'articles sur les personnes dans le coma, sur les causes, les conséquences, la profondeur, les risques, la durée et bien sûr sur l'éveil.
Je sais qu'il y a une grande différence entre les différents stades d'éveil et que, bien que cela soit très variable d'un individu à l'autre, plus le temps de coma a été long, plus la phase d'éveil est progressive. Cela peut prendre jusqu'à plusieurs semaines ! Et puis bien sûr, il y a la question que j'ai posée tout de suite à Sébastien. Est-ce que Stéphane a récupéré sa mémoire et ses facultés mentales ?
'Est-ce que c'est Stéphane ou juste un corps qui vient de se réveiller ?'
Je frissonne en pensant à toutes ces questions et surtout en prenant pleinement conscience de toutes les potentielles conséquences de ce coma de plus de deux mois.
'Pourvu que tout se passe bien, pourvu qu'il récupère toutes ses facultés, pourvu...'
Thibaud a compris que je me faisais du souci. Il a pris ma main et la caresse doucement.
-"Allez, ça va bien se passer, j'en suis sûr !
-"J'espère...
-"Qu'est-ce qui te tracasse ?
-"Tout ! Et j'aimerais avoir des nouvelles de Sébastien, ça fait presque deux heures et il ne m'a toujours pas rappelé...
-"Tu sais que ce n'est pas aussi simple, c'est toujours long à l'hôpital. Il faut le temps de faire des examens et ensuite que Sébastien voie le médecin... sois patient, il t'appellera dès qu'il le pourra...
-"Oui, je sais..."
Il m'a rassuré, m'a rappelé que Stéphane avait prononcé quelques mots ce qui était très bon signe quant à la récupération de ses facultés mentales, m'a prodigué tout le réconfort, les marques d'attention et d'amour que le meilleur petit ami du monde pouvait apporter et progressivement je me suis calmé. Je l'ai laissé me dorloter et j'ai essayé de prendre mon mal en patience.
Parfois on ne peut rien faire car cela ne dépend pas de vous, il faut être suffisamment fort et lucide pour l'accepter...
'Mon Dieu, que cette attente est inhumaine !'
...
Sébastien m'a rappelé peu avant 19 heures, juste avant qu'on ne s'arrête pour manger. Heureusement, comprenant certainement l'état dans lequel je devais me trouver, il m'avait envoyé plusieurs messages pour me tenir au courant. Rien d'important, le fait qu'il attendait le médecin ou qu'une infirmière était venu lui parler des tests qu'ils allaient faire passer à Stéphane, mais cela avait pour mérite de faire un peu retomber la pression qui menaçait gravement ma santé mentale.
La sonnerie a à peine eu le temps de retentir que j'avais décroché.
-"Séb ? Alors, comment il va ?
-"Il va très bien, Didi ! Relaxe, il va très bien !
-"Oh tant mieux, j'ai tellement angoissé... et alors, il est complètement réveillé ?
-"Oui mais c'est un peu plus compliqué, je vais t'expliquer ça, je sors juste du bureau du médecin.
-"D'accord...
-"Ils ont trois critères pour mesurer la profondeur du coma : l'ouverture des yeux et sur ce critère là il est à 3 sur 4 donc il a presque complètement récupéré. Le deuxième, c'est la réponse verbale et là c'est encore mieux, il est presque au maximum donc ça veut dire qu'il comprend ce qu'on lui dit et qu'il répond à des choses simples donc il a toute sa tête !
-"Oh je suis soulagé, j'avais tellement peur...
-"Oui, je sais, moi aussi. Et le troisième critère c'est la réponse motrice, c'est à dire s'il arrive à faire bouger ses membres et là c'est un peu moins bien mais le médecin m'a dit que c'est logique compte tenu de la durée du coma.
-"Oh mais ça veut pas dire qu'il est paralysé ?
-"Non, non, pas du tout mais pour l'instant il est très faible et son corps doit réapprendre à fonctionner. Il faudra du temps, du kiné, de la rééducation, pour que tout revienne comme avant. Alors, rassuré ?
-"Oui, oui ! Oh je suis tellement heureux ! Et tu l'as vu, tu lui as parlé ?
-"Non ! Ils lui ont fait passer une batterie de tests cet après-midi et puis il s'est endormi, il était très fatigué ; c'est un comble pour quelqu'un qui vient de dormir pendant deux mois mais c'est normal m'a dit le médecin.
-"Oh d'accord...
-"Vous êtes bientôt à Nantes ?
-"Non, on doit être pas loin du Mans, on va bientôt s'arrêter pour manger et on arrive normalement vers 22 h 30.
-"Super ! Je vais appeler Sophie et mes parents pour leur annoncer les bonnes nouvelles et je te retrouve tout à l'heure !
-"Oui, génial ! Heu, tu crois que je dors au foyer, ce soir ?
-"On verra bien, s'il n'y a personne à venir te chercher, tu dormiras à la maison !"
...
Une nouvelle vague d'euphorie s'est emparée de moi. C'est comme si on m'avait injecté une dose de psychotrope, enfin j'imagine que c'est l'effet que cela procure. Je voyais tout en rose et j'avais du mal à contenir mon excitation.
-"On dirait que ça va mieux ?" me glisse Thibaud alors que nous approchons de Nantes.
-"Oui, je suis désolé, je crois que je vais être invivable tant que tout ne sera pas réglé. Je suis en train de devenir bipolaire !
-"Oh mais non, tu t'inquiètes et tant que tu n'auras pas toutes les réponses, tu ne peux pas être tranquille, c'est normal.
-"Merci d'être aussi compréhensif...
-"Tout le monde peut le comprendre et moi peut-être encore plus..."
Il m'a serré contre lui et je me suis abandonné un instant au bonheur simple de sentir la chaleur de son corps contre moi.
-"Heu, j'ai pensé à autre chose tout à l'heure, est-ce que tu veux qu'on dise aux élèves de ne pas parler de nous pour essayer de préserver un peu d'anonymat à la rentrée au lycée ?" lui demandé-je.
-"Oui, j'y ai pensé moi aussi mais je crois que ce n'est pas la peine d'espérer que ça reste secret... il y a beaucoup trop de monde au courant, c'est impossible que ça ne fuite pas...
-"Oui, je suis d'accord... et alors comment tu vois la situation ?
-"Eh bien, je crois que c'est le moment pour moi de grandir un peu et de faire face...
-"Oh ! Et ça ne te fait pas peur ?
-"Si ! Mais je ne suis pas tout seul maintenant, je sais que tu seras là et je me dis qu'ensemble on y arrivera !"
J'ai eu envie de le couvrir de baiser et de lui manifester ma joie par des petits gestes tendres en entendant ses paroles. Je ne pensais pas qu'il serait prêt à s'assumer aussi vite dans sa classe mais également devant tout le reste du lycée car il ne faut pas se voiler la face, tout le monde sera au courant très rapidement.
-"Bravo, je suis fier de toi !
-"Oh, je fais le fier aujourd'hui mais dans dix jours, je serai mort de trouille !
-"Normal, moi aussi je serai dans mes petits souliers mais je suis sûr que tout se passera bien.
-"Mais on restera discret quand même ?" glisse-t-il avec une pointe d'inquiétude.
-"T'inquiète, je t'embrasserai pas devant tout le monde dans le grand hall, enfin pas le premier jour, j'essaierai de me retenir !"terminé-je en lui faisant un gros clin d'œil.
Autour de nous, j'ai soudain noté une certaine agitation. J'ai regardé par la fenêtre et j'ai réalisé que nous venions de quitter le périphérique. Dans deux minutes, le car allait passer près de chez moi et dans moins de dix nous arriverons au lycée.
Monsieur Zeiger a repris le micro à ce moment.
-"Bonsoir à tous, nous arrivons dans quelques minutes. J'espère que vous avez tous passé un très bon séjour à Sarrebruck. Je suis sûr que vous en garderez, comme moi, un excellent souvenir et je suis impatient de voir à quel point vous avez progressé ! Très bonnes vacances à tous et vérifiez bien que vous n'oubliez rien avant de descendre du car !"
Tout le monde a crié sa joie et a applaudi longuement et le car s'est mis à retentir d'un joyeux tumulte jusqu'à notre arrivée dans la cour du lycée.
...
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