CHAPITRE CLXXXV
Ce lundi matin, Thibaud est très tendu quand il arrive au lycée. Tout le week-end il s'est demandé qui pouvait avoir écrit ces mots et comment cela allait se passer en français...
Il soupire en sortant du garage à vélo.
'J'en ai marre de tout ça ! Pourvu que tout se passe bien...'
Je l'attendais dans le hall et nous avons discuté quelques minutes. Je l'ai encouragé et j'aurais aimé pouvoir le prendre dans mes bras mais bien sûr ce n'est pas possible, pas devant tout le monde. Nous avons attendu que la sonnerie retentisse avant de nous séparer.
-"Allez, c'est pas toi qui as la pression, c'est ceux qui ont écrit ces billets, d'accord ?
-"Oui, je sais... merci !
-"Allez file, ne sois pas en retard et tu me raconteras à la récré ! Je t'aime !
-"Merci, je t'aime aussi !"
La plupart des élèves étaient déjà installés et quand Thibaud est entré, il a senti tous les regards se tourner vers lui. Il a rejoint sa place en essayant d'ignorer l'attention portée sur lui et a salué Marine.
-"Ah enfin, j'ai eu peur que tu ne viennes pas !
-"Si, si, je discutais avec Diego..."
La deuxième sonnerie a retenti et les derniers retardataires se sont dépêchés de s'installer à leur tour. Madame Grivaud est arrivée juste après. Elle a salué la classe et a jeté un regard vers Thibaud.
-"Bien, tout le monde est là et c'est parfait. Je vais donc demander à celui ou ceux qui ont écrit ces horribles billets à Thibaud de venir devant la classe pour s'excuser de leurs actes."
Un grand silence s'est fait dans la salle et tout le monde, Thibaud y compris, parcourt la classe du regard. Quelques secondes passent sans que personne ne se manifeste et des murmures commencent à s'élever des rangs.
-"Je sais que ce n'est pas facile pour les auteurs de faire face à leurs actes mais je vous conseille vraiment de vous manifester avant que cela n'entraîne des conséquences plus graves. Et pour que ce soit bien clair dans l'esprit de tous, j'ai pu identifier un des auteurs en comparant son écriture avec les copies de la classe donc vous taire ne vous protégera pas..."
Son regard scrutait toute la classe, semblant cependant s'attarder vers les élèves situés dans la rangée de Thibaud. Celui-ci s'est retourné et a découvert avec grande surprise Florian le visage blanc et les yeux baissés. A ses côtés, sa voisine, Rachel, paraissait un peu tendue également.
-"Allez, dernière chance avant que les CPE soient mis au courant..."
Florian a relevé la tête et son regard a croisé celui de Thibaud. Celui-ci y a lu de la peur et une forme de désespoir qui l'ont profondément touché.
-"Heu Madame Grivaud, je ne veux pas humilier ceux qui ont écrit ça, s'ils viennent me voir en privé pour s'excuser, ça ira..."
La professeure regarda Thibaud longuement et opina de la tête.
-"C'est très magnanime de ta part, Thibaud. D'accord, on va faire comme ça. Tu viendras me dire mercredi s'ils sont venus s'excuser et si tu souhaites signaler l'incident aux CPE.
-"Merci..."
Tout le monde s'est mis à parler en même temps. Les élèves étaient stupéfaits, certains déçus, je pense, mais Madame Grivaud a demandé le silence et, avec l'expérience d'une prof aguerrie, a repris le contrôle de la classe et a lancé le cours.
'C'est pas possible, c'est pas lui !'
Jusqu'à la fin de l'heure, Thibaud n'a pas arrêté de se répéter ses mots dans sa tête. Pourquoi Florian, garçon qu'il ne connaît quasiment pas se serait comporté ainsi et si c'est lui pourquoi a-t-il été au contraire aussi sympa vendredi dans les vestiaires ?
'C'est incompréhensible !'
Bizarrement, il a l'impression qu'il a été le seul à remarquer à quel point Florian était pâle et quand Marine lui a demandé s'il avait une idée de qui cela pouvait être, il a secoué la tête. A la pause de 9 heures, Madame Grivaud est venu le voir et ils ont discuté un instant puis le cours a repris sans incident.
...
-"Alors Thibaud a dit qu'il ne voulait pas humilier les pauvres types qui ont fait ça et que s'ils venaient juste le voir pour s'excuser ça suffirait." m'explique Marine ainsi qu'à plusieurs élèves de seconde qui étaient au voyage qui sont venus aux nouvelles.
-"Moi, je les aurais laissés dans leur merde !" s'exclame Enzo.
-"C'est Thibaud qui a été visé donc c'était à lui de décider.
-"Oui, l'important c'est que tu fasses comme tu le sens.
-"Oui peut-être, je sais pas... j'ai trouvé ça malsain de les obliger à venir devant tout le monde...
-"Bon et quelqu'un a une idée de qui c'est ?
-"Non, j'ai rien remarqué." répond Marine.
-"Et toi Thibaud ?" lui demandé-je.
-"Peut-être mais pas sûr alors je préfère ne rien dire. Heu vous m'excusez, je vais aux toilettes..."
Un peu agacé par toutes ces conversations et peut-être aussi par son intervention auprès de la prof qui va retarder la conclusion de cette triste histoire, Thibaud s'éloigne d'un pas rapide vers le hall.
Il y a foule, comme toujours pendant la récré et ce n'est que quelques minutes plus tard qu'il en ressort et tombe nez à nez avec Florian.
Les deux garçons échangent un regard et Florian gêné baisse la tête.
-"Heu... merci pour tout à l'heure... je suis désolé, je voudrais m'excuser..."
'Purée, c'était bien lui !'
Tout à coup, Thibaud sent une bouffée de colère monter en lui ; quelque chose qui vient de loin, de très loin et il laisse éclater sa rage.
-"Mais ça ne va pas de faire des choses comme ça ! Tu ne sais pas ce que c'est d'être gay et d'être harcelé ! Pourquoi tu as fait ça ? Tu me détestes, c'est ça ?"
Même s'il n'a pas crié, le ton de Thibaud est monté et il voit que plusieurs élèves se sont retournés et les regardent.
-"Non, je ne te déteste pas, je suis désolé... je vais t'expliquer mais pas ici, s'il te plaît...
-"Où alors ?
-"Heu, je sais pas... il faut trouver un endroit tranquille...
-"A midi, dans une salle de travail, il n'y aura personne... mais t'as intérêt à être sincère parce que sinon...
-"Oui, je le serai, je te dirai tout... merci, à tout à l'heure..."
...
Annotations