Thibaud s'est excusé auprès de Marine.

-"Va manger sans moi, j'ai un rendez-vous...

-"Avec qui ? Oh, avec les auteurs ?

-"Un des auteurs, oui, je te raconterai..."

Il a laissé passé le flot d'élèves affamés qui se dirigeait vers le réfectoire, a patienté quelques instants encore que les couloirs se vident, et s'est dirigé vers les salles de travail. Il a choisi la plus éloignée, celle au fond du couloir et est entré. Florian s'y trouvait déjà, seul.

-"OK, alors explique-toi maintenant !"l'interpelle-t-il directement en s'asseyant face à lui à la table de travail.

-"Heu oui..."

Ce dernier a esquissé une tentative de sourire mais on voyait bien qu'il était tendu. Thibaud, quant à lui, ne saurait pas décrire les émotions qui l'animaient. De la colère, oui bien sûr, une surprise dont il ne se remettait pas, l'envie de comprendre aussi. En fait, un ensemble complexe de sentiments et de sensations qui le mettaient dans une situation inconfortable.

'Ce serait plus facile si c'était un con !'

-"Alors vas-y je t'écoute...

-"D'abord, c'est bien moi qui aie écrit ces mots ; il n'y a que moi mais pour le dernier, j'avais changé mon écriture...

-"D'accord, admettons mais pourquoi tu les as écrits ? Tu es homophobe ?

-"C'est difficile à expliquer. Oui, d'une certaine façon je suis homophobe...

-"Oh... mais pourquoi ?"

Cela fait bizarre d'entendre quelqu'un dire qu'il est homophobe. Thibaud s'attendait à des dénégations indignées. Il n'a jamais entendu quelqu'un reconnaître être homophobe même ceux qui l'avaient harcelé pendant des semaines au collège avaient juré leurs grands dieux qu'ils ne s'étaient pas rendu compte et que c'était juste pour s'amuser...

'Ils ont toujours des explications bidons pour justifier leur comportement !'

Et puis, c'est un élève de sa classe et même si Thibaud ne le connaît quasiment pas, c'est tout de même quelqu'un qui lui est familier et avec qui il a sympathisé vendredi dernier. Alors ça le travaille...

Florian le regarde ; il est mal à l'aise mais son regard ne le fuit pas.

-"Heu, je suis mal placé pour te demander ça mais est-ce que tu me jures que tu diras rien à personne ?

-"Tu ne manques pas de culot ! Ca t'a pas gêné, toi, de vouloir que tout le monde sache pour moi !

-"Oh non, c'était pas ça ! De toute façon, tout le monde était au courant pour toi...

-"Oui je m'en doute... mais bon c'était pourquoi, alors ?

-"Tu ne diras rien ? S'il te plaît, c'est très important pour moi...

-"Ca dépendra de ce que tu me dis...

-"D'accord, je te fais confiance... de toute façon je n'ai pas le choix" dit-il en laissant échapper un petit rire nerveux.

Thibaud est déconcerté. Il s'attendait à des excuses "bateau" de la part d'un garçon se repentant d'une mauvaise plaisanterie et il sent autre chose derrière tout ça, quelque chose de plus profond...

-"Je t'écoute...

-"Je voudrais m'excuser parce que... je crois que je suis comme toi et..."

Florian n'a pas pu finir sa phrase, il s'est effondré en pleurs ; il se tient le visage entre les mains et il sanglote bruyamment sans pouvoir se contrôler.

-"Je n'ai pas bien compris, tu crois que tu es gay, toi aussi ?" demande Thibaud après avoir laissé passé quelques secondes pour que son interlocuteur reprenne un peu le contrôle.

-"Oui !"

Visiblement le garçon n'est pas capable d'en dire plus ; il a relevé la tête et Thibaud perçoit toute la détresse du monde dans son regard. Thibaud voudrait lui montrer qu'il est touché, lui manifester sa compassion par un geste d'apaisement mais il n'ose pas.

-"Oh ! Mais je ne comprends pas, pourquoi tu as fait ça alors ?

-"Je ne sais pas... depuis que j'ai appris que tu es gay, ça m'obsède et j'ai voulu..." il s'interrompt à nouveau."J'ai tellement lutté contre ça et quand j'ai su pour toi, c'est comme si quelque chose s'était brisé à l'intérieur de moi... je t'en voulais d'être heureux alors que moi j'en souffre tant, et en même temps je voulais te dire que... que j'existe... oh, je suis désolé, je suis désolé..."

A nouveau le garçon plonge la tête dans ses mains et ses pleurs redoublent au point que son corps tout entier tremble. Cette fois Thibaud n'a pu s'en empêcher et sa main vient tapoter l'épaule de Florian.

-"Eh, c'est pas grave, c'est pas grave, je te pardonne, ne pleure pas, je te pardonne."

Il a fallu attendre un petit moment avant que Florian se calme et pendant tout ce temps Thibaud lui a parlé doucement et a passé affectueusement sa main sur son épaule. Sa colère et ses peurs se sont envolées et même s'il ne comprend pas encore vraiment ce qui a poussé le garçon à écrire ces mots, il sait que Florian souffre et il veut l'aider.

-"Tiens !" dit-il en lui tendant un mouchoir en papier.

-"Merci..."

Florian s'essuie les yeux et se mouche plusieurs fois.

-"Je suis désolé, c'est difficile pour moi... mais je te jure que je ne voulais pas te faire du mal. Je ne savais pas que tu avais été harcelé au collège, je voulais... enfin, c'est bizarre de dire ça mais je crois que je voulais prendre contact avec toi...

-"Heu oui, c'est sûr qu'il y aurait peut-être eu des moyens plus simples, comme vendredi par exemple...

-"Oui, j'ai essayé de te parler vendredi et je voulais tout te dire mais je n'ai pas osé... je me sens tellement minable...

-"Mais non, tu étais chamboulé et puis ce n'était pas facile... mais si tu es gay, pourquoi tu as dit que tu étais homophobe ?"

Florian esquissa une petite grimace amusée.

-"Oui, c'est contradictoire, je sais, mais en fait ça résume complètement ce que je vis... ça fait des années que je lutte pour ne pas devenir gay, que je me force à regarder les filles, que je me branle en regardant des pornos hétéros, mais ça ne marche pas !

Ses yeux se sont à nouveau emplis de larmes et Thibaud sent les siens s'humidifier.

-"Je voudrais juste être comme tout le monde, sortir avec des filles comme mes copains, être normal ! Alors je me suis interdit de penser que j'étais gay, je me suis fabriqué un personnage hétéro et j'ai commencé à haïr tous les gays...

-"Et à te haïr par la même occasion !

-"Oui...

-"Moi aussi j'ai vécu une période difficile quand j'étais au collège... tu en as parlé à quelqu'un ? A tes parents ?

-"Non, à personne ! Et surtout pas à mes parents !

-"Pourquoi, tu crois qu'ils n'accepteraient pas que leur fils soit gay ? Ils sont homophobes ?

-"Non, je crois pas, mais j'ai tellement honte de moi !

-"Non, il ne faut pas avoir honte, tu n'es pas un malade, tu es gay, c'est tout. Les choses ont évolué, les gens comprennent maintenant qu'il y a des gays et que c'est normal, que ce n'est pas malsain ou pervers...

-"Je sais, et en même temps, je ne veux pas le savoir..."

La porte s'ouvre et un groupe de filles entre dans la salle interrompant immédiatement les deux garçons. Thibaud jette un œil vers la pendule et s'aperçoit qu'il est presque midi et demi.

-"Merde, elles ont déjà fini de manger... tu veux venir au self avec moi ?" reprend-il en baissant nettement la voix.

-"Heu non... enfin oui j'aimerais bien mais...

-"Oui, tu as raison, il ne faut pas qu'on te voie avec moi." répond Thibaud avant de rajouter avec un petit sourire "Pas tout de suite...

-"Oui, c'est ça...

-"Ecoute, pour cette histoire de mots, on oublie tout ; j'irai voir Madame Grivaud mercredi. Je lui dirai que tout est arrangé et je ne lui parlerai pas de toi.

-"Merci ! Oui mais elle le sait que c'est moi...

-"Non, elle m'a dit tout à l'heure qu'elle n'avait pas pu déterminer qui avait écrit les mots.

-"Oh...

-"Mais par contre, je vais en parler à une personne, une seule, en qui j'ai complètement confiance et je peux t'assurer qu'il ne parlera de toi à personne. D'accord ?

-"Je n'ai pas trop le choix ! Mais je te fais confiance.

-"Tu peux le faire et j'ai envie qu'on se revoie, que tu me réexpliques tout ça parce que je veux t'aider.

-"M'aider ?

-"Oui, tu n'es pas le seul gay et tu peux pas rester comme ça à te faire du mal. Crois-moi, je connais pas mal de monde qui est passé par là et surtout qui en est sorti !

-"Merci..."

-"C'est normal.

-"Oh non, c'est... enfin merci, tu peux pas imaginer..."

...