CHAPITRE CXCVII
Quand Stéphane et Sébastien sont arrivés, je me suis précipité pour les embrasser. Ils ont remarqué mon cocard et, bien sûr, ils m'ont demandé de leur raconter ce qu'il s'était passé. J'ai dédramatisé au maximum l'incident mais j'ai senti qu'ils étaient inquiets tout de même.
-"On reparlera de ça plus tard, pour l'instant profitons d'être enfin tous réunis !" déclare Stéphane.
-"J'ai préparé une brioche, elle est toute chaude et je vais faire le café.
-"Oh dis donc, tu as fait ça tout seul ?" glisse Sébastien.
-"Non, Thibaud est venu m'aider ; c'est la recette de sa mère, j'espère que ma brioche sera aussi bonne...
-"Oh j'en suis sûr mais ce qui compte c'est l'attention que tu y as mis... merci Didi !"
...
Qu'est-ce que ça fait du bien que Stéphane soit de retour à la maison ! On n'a rien fait du reste de la journée, on est resté tous les trois à discuter, écouter de la musique. En fait peu importe, ce qu'on faisait, ce qui comptait c'est qu'on le faisait ensemble, tous les trois.
'C'est incroyablement banal mais c'est ça le plus important pour être heureux, être avec ceux qu'on aime !'
Dimanche, nous sommes allés faire du sport, tous les trois, comme si rien ne devait nous séparer. Nous sommes allés courir mais une fois sur place, chacun est allé à son rythme. Normalement, c'est Stéphane le spécialiste de la course dans la famille mais il a pour consigne de recommencer doucement. En ce qui me concerne, je n'ai plus mal aux genoux et même si je n'ai pas une grande habitude de ce type d'exercice, je crois qu'avec la natation, j'ai développé des dispositions pour le fond. Nous avons donc suivi Sébastien pendant un petit moment et puis, Stéphane d'abord et moi ensuite, avons ralenti pour le laisser poursuivre son effort en solitaire. J'ai attendu Stéphane et nous avons continué lentement pour bien récupérer.
-"J'ai l'impression que tes genoux te laissent tranquille ?
-"Oui, je n'ai plus mal du tout.
-"Et tu comptes reprendre le foot ?
-"Non, j'aime toujours ça mais ça ne me manque pas... je pense m'inscrire à la natation.
-"Avec Thibaud ?
-"Oui, j'ai bien progressé, j'aime ça et puis c'est vrai qu'on fait ça ensemble...
-"Eh bien on dirait que tu ne peux plus te passer de lui...
-"C'est vrai ! Je ne me rendais pas compte de ce que signifiait être amoureux mais maintenant que je le suis... enfin, j'ai tout le temps envie d'être avec lui, de le regarder, de l'embrasser...
-"Oui, c'est ça, exactement ! Et à l'école, ça se passe comment tous les deux ?"
Je lui ai raconté ce qui s'était passé depuis notre retour de Sarrebruck, les craintes qu'on avait eues, le coming out de Thibaud vendredi dernier.
-"Bon, alors vous allez être ouvertement un couple gay au lycée ?
-"Oui, mais on va pas se faire remarquer, on restera très discret.
-"Je crois qu'en effet, il est préférable de ne pas trop vous afficher mais si vous pouvez vivre votre relation au lycée, c'est magnifique !
-"J'espère bien ! Je pense qu'au lycée on ne craint rien.
-"Je le pense aussi mais tu es mieux placé que moi pour en juger. Et pour le reste, il faudra faire attention, tout le monde n'est pas bienveillant, malheureusement !
-"Je sais, j'ai compris que parfois il faudra savoir ne pas montrer qu'on s'aime..."
On s'est arrêté de courir et nous avons rejoint la voiture en marchant. J'ai retrouvé tout ce que j'aime dans mes discussions avec Stéphane, de la curiosité, une écoute bienveillante, de sages conseils, tout ce qui fait de lui un père aimant et pédagogue.
'Je suis tellement heureux qu'il soit à nouveau là ! Tellement heureux, avec lui, rien ne peut m'arriver !'
...
On avait décidé de ne rien changer et lundi j'ai retrouvé Thibaud comme d'habitude après le déjeuner à la cafète pour jouer aux échecs. Nous avons suivi les consignes de Dylan sur l'utilisation des cavaliers, pièce tellement particulière aux échecs et avons terminé par une partie chacun contre un adversaire différent. J'ai joué contre une fille de terminale, Solène, que j'ai battu assez rapidement suite à une grosse erreur de sa part et nous sommes restés à discuter en attendant que les autres terminent leur partie. Je me suis retourné à un moment pour voir où en était Thibaud et elle a rigolé.
-"Tu t'inquiètes de savoir si ton petit ami va gagner ?
-"Hein ? Qu'est-ce que tu dis ?"
J'avoue que j'étais stupéfait, ne comprenant pas comment cette fille pouvait être au courant ; elle a vu mon étonnement parce qu'elle a repris.
-"Heu, je croyais que c'était officiel, je suis désolée...
-"Heu non c'est pas officiel mais surtout comment t'es au courant ?"
J'ai vite compris que notre secret n'en était plus un et que nous étions d'ores et déjà considérés comme le premier couple gay du lycée. Solène l'a appris par sa sœur qui est dans la seconde H dans laquelle nous avions fait la présentation du projet de loi, vendredi dernier.
'J'en étais sûr que ça allait faire le tour du lycée en un rien de temps !'
J'avoue que je m'en fiche un peu, voire même que j'apprécie le fait que je puisse profiter de mon petit copain au lycée mais c'est plus Thibaud qui, malgré ses déclarations courageuses, semble toujours un peu réservé à l'idée de nous afficher.
-"Vous êtes mignons tous les deux, toutes les filles que je connais sont folles de vous !
-"Ah bon ! Pourquoi ?
-"Oh on trouve ça génial que deux garçons osent dire qu'ils sortent ensemble.
-"Ah non, on ne sort pas ensemble, on est amoureux !
-"Et en plus tu es romantique !
Thibaud qui avait terminé, s'était rapproché de nous et j'ai senti qu'il avait dû entendre les derniers mots de notre conversation car il nous regardait perplexe.
-"Je disais à Solène que mon cœur était déjà pris...
-"Ah heu oui..." répond-il embarrassé.
-"T'inquiète, je t'expliquerai..."
...
Sur le chemin de la piscine, je l'ai mis au courant qu'à priori, une partie du lycée était au courant pour nous.
-"Oui, je m'en doutais un peu...
-"Donc on n'a plus besoin de se cacher, à moins que tu ne sois pas à l'aise...
-"J'hésite encore un peu... j'aime pas me donner en spectacle...
-"Oh moi non plus, je voulais juste dire qu'on pouvait traîner ensemble et de temps en temps se permettre un petit baiser quand il n'y a personne autour..."
J'ai bien vu qu'il était toujours réservé alors je n'ai pas insisté. J'ai repensé à ce que nous avait dit son père, qu'il ne fallait pas imposer à l'autre ce dont il n'avait pas envie. Ce jour-là, je vous avoue que j'avais pensé à autre chose de plus intime...
'Mais il a raison, si Thibaud ne le sent pas, je ne dois pas le forcer ; ça va le mettre mal à l'aise. Je vais attendre qu'il se sente vraiment en confiance.'
...
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