Louca

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Louca quitta la maison où il avait grandi dans l’heure qui suivit la descente du corps de sa mère dans la terre gelée. Leurs maigres économies avaient tout juste suffi à payer un cercueil. Un seul homme avait accepté de creuser la tombe et Louca avait dû participer malgré son chagrin et sa musculature inachevée de jeune homme. Il avait abattu un sacré travail pour ses quinze ans, utilisant sa hargne pour s’enfoncer dans le sol.

A la fin de l’enterrement solitaire, un homme du bourgmestre était venu le voir. Louca n’avait pas desserré les dents. Bien sûr. Sa maison était réquisitionnée. Une famille y emménagerait le soir même. Les autres mots ne furent que bruitages à ses oreilles.

Il rentra, défit la paillasse de sa mère, renversa les chaises. Le bruit lui fit du bien. Il fracassa les meubles que son père avait façonnés dans une vie qu’il n’avait pas connue à coup de chaise, de morceau de chaise, de ce qu’il trouvait pour frapper. Les rares bocaux en verre se brisèrent. Le silence revint.

Il prit délicatement quelques vêtements de sa mère. Respira l’odeur des fleurs qu’elle laissait sécher entre chacun d’eux et les posa au centre de leur pièce commune. Il ralluma une braise du foyer à l’agonie et la vivifia au contact du mélange de paille, plume et tissu sur lesquels il avait dormi si souvent. D’abord timide, la flamme s’éleva bientôt fièrement. Avant d’être rejointe par ses sœurs, leur créateur avait tourné le dos à cette vie.

L’incendie n’était plus contrôlable quand on sonna l’alerte et Louca introuvable. D’aucuns s’en réjouirent et si certains s’inquiétèrent, la pensée inopportune fut vite balayée.

L’entrée de Louca dans la Vieille Forêt se fit avec fracas : le visage sombre, balayant les cailloux de ses pieds, brisant les branches mortes. Une portion de chaos en liberté.

En trois jours de marche, une frêle cité et un village lui avaient refusé l’accès à la communauté des hommes : en cette morte saison, les gens veillaient jalousement sur leurs provisions.

Il lui fallut trois jours et trois nuits pour reprendre pied dans la réalité, pour dissoudre la brume rouge qui l’entourait depuis le dernier soupir de la seule vie qui l’ait chéri. Seul, transi, affamé, il pleura enfin. Quand son chagrin fut un puit asséché, son corps prit le dessus. Il recommença à se mouvoir, à combler ses besoins primaires, tout en occultant les bords ébréchés de ses sens.


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