Rencontres

3 minutes de lecture

Quinze nuits grelottantes plus tard, il fut réveillé au petit matin par un hurlement. Avant d’avoir décidé de ses gestes, il fuit. Il est des peurs instinctives, viscérales : l’homme sait ce que peut le loup. Dans la faible clarté du jour naissant, accompagné d’ombres grises filant à travers le sous-bois, il courut pour sa vie. La meute le parqua comme une brebis, le ramenant sur une sente invisible lorsqu’il tentait de bifurquer, le menant toujours plus profondément dans la Vieille Forêt.

Il lui sembla courir des heures, son cœur cognant dans sa poitrine ; le souffle pourtant ample. Un instant, il crut courir avec les loups. Un instant. Jusqu’à ce que la chef de meute hurle à nouveau et accélère la traque.

Là, au centre d’une clairière, il vit un bosquet de frênes serrés dont les branches les plus basses pourraient lui servir à monter hors d’atteinte.

Il s’élança, grimpa, se retourna. Les loups s’assirent et le regardèrent sans tenter de monter. La chef de meute s’inclina et recula comme devant plus fort qu’elle. Louca respira profondément, caressa du bout des doigts l’écorce nervurée de son abri. Sans bruit, une fine branche s’enroula autour de sa cheville et il se retrouva en une seconde la tête en bas, à bout de branche. Pestant contre ce nouveau coup du sort, il tenta de se rétablir mais une autre branche le saisit, le tirant vers le haut. Cahin-Caha, il fut ainsi mener au centre du bosquet. Il découvrit alors que le bosquet n’en était pas un : il s’agissait d’un seul et même arbre, immense, dont les rejetons poussaient tout en étant lié au socle central sur, à l’extérieur une largeur de main puis de plus en plus. Il se tenait face à une forteresse arbre. Là, toujours immobilisé, il perçut :

- Vivre : Respirer, Abriter, Croitre, Fleurir

Cela communiquait.

- Vivre : Se battre, se nourrir, perdre, répondit-il.

Un maelstrom de perception s’ensuivit, creusant son cerveau tel une terre meuble, épluchant ses souvenirs, attisant sa colère, réveillant ses sanglots pour le laisser finalement éperdu devant les caresses de sa mère sur le visage dodu d’un tout petit pendant qu’une voix chaleureuse et inconnue chantait. Il rencontra ici et maintenant son père d’autrefois. Ses racines le connaissaient même si sa conscience d’homme l’avait oublié.

- Bipède : Inventer, Construire, Partager, Protéger, lui parvint avec douceur.

Refusant de lâcher sa colère, bouclier des injustices endurées dans sa jeune vie, il laissa libre cours à ses ressentiments contre la vie en les étayant de toutes les faiblesses et lâchetés qu’ils avaient vues ou subies. Le frêne lui retourna ses images-pensées : la vie était dure comme lorsque le froid privait de vie des habitants trop fragiles de la forêt. Les animaux abandonnaient parfois les plus faibles créatures, dans l’intérêt du groupe et lorsqu’ils n’avaient pas d’autres solutions.

Il lui montra la vie du loup ‘Vivre : chasser, partager, protéger’ et celle du lièvre ‘Vivre : manger, bondir, fuir, protéger’. Ce que Louca décrivait n’était pas la vie. C’était les bipèdes. Les bipèdes abandonnaient ceux qui ne leur plaisaient pas. Peu à peu, la colère de Louca contre la vie se transforma en respect. Son respect pour l’homme décrut en proportion. Ces hommes soit disant si sage, tellement sûrs d’être au-dessus de la nature, il les haït.

- Le problème, c’est l’homme.

Une brise lui indiqua de poursuivre.

- Détruis-les !

L’arbre-mère de la forêt patienta. Le bipède était si jeune. Louca ragea : « Tu ne veux pas ! Pourquoi ? ».

Se débattant comme un beau diable il fut entrainé dans l’arbre : son corps disparu sous l’écorce. Son esprit voyagea. Il vit Fanon se cambrer. Il vit ses yeux verts scintiller. Il tressaillit et resserra la poigne de son esprit sur sa colère. La dryade, ignorante de son observateur, esquissa quelques pas légers. Penchant la tête à la manière d’un oiseau curieux, elle étudia l’Arnuir. S’approcha de ses cicatrices et plongea les mains dedans.

Ses mains métamorphosées par la sève de l’Arbre cœur furent reconnues comme partie de l’Arnuir et elle put caresser les cicatrices de l’intérieur. Elle les comprit. Elle en souffrit.

Des hommes avaient voulu couper cet arbre pour en faire du bois de chauffage. Le premier coup de hache avait sortie l’Arnuir, un arbre-esprit, d’une torpeur automnale et une de ses branches avait fauché le bucheron en réaction instinctive à l’agression. Le suivant avait trébuché sur une soudaine saillie de racine. Les hommes terrifiés avaient mal réagi. Cet arbre leur faisait peur. S’il ne leur servait à rien, qu’il ne soit plus rien. Jetant de l’huile sur l’écorce, quatre d’entre eux avaient tentés d’y mettre le feu. Rendu fou de douleur, l’Arnuir n’en avait laissé aucun vivant. Les villageois apeurés venus voir si l’arbre avait chuté retrouvèrent des corps martyrisés. La Vieille Forêt devint sinistrement légendaire.

Deux siècles plus tard, Fanon pleura pour l’Arnuir, elle mêla ses larmes à son écorce et ses vaisseaux sanguins aux canaux de sève de l’arbre qui l’avait accueilli. Elle guérit ses plaies visibles et invisibles.

Observateur de ce déferlement de douceur, Louca ne put soutenir sa colère plus longtemps.

- Sois nôtre, lui parvint de l’Arbre-mère


Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lisa.D ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0